|
Mathias Buttet n’avait plus le choix.
Confronté aux « ardoises » impayées de ses clients et à de sombres complications financières autour du contrôle de l'entreprise, il doit sacrifier 60 de ses 147 emplois.
L’aventure BNB continue avec 90 personnes : il en tient désormais les rênes d'une main plus ferme…
••• EFFET DOMINO
Si les groupes cotés communient avec un ensemble touchant dans le culte d’une reprise qu’ils sont à peu près les seuls à déceler, leurs fournisseurs trinquent et paient au prix fort les multiples annulations de commandes, reports de paiement et autres pannes de trésorerie de leurs « partenaires » des marques…
Dernière victime en date, mais hélas pas dernière de la liste : la flamboyante manufacture BNB, qui se voit obligée de licencier 60 personnes sur un effectif de 147 employés. Licenciements qui prendront effet dès la fin de ce mois, les salariés concernés étant d’ores et déjà dispensés de se rendre à leur travail…
40 % des effectifs, c’est un peu supérieur à la baisse moyenne globale du marché horloger, mais à peu près conforme à la baisse réelle sur le marché de la haute horlogerie compliquée, qui était le pré carré de BNB. C’est tout de même beaucoup plus que les concurrents directs de Mathias Buttet (Christophe Claret, Renaud Papi, Agenhor, etc.), qui ont soit beaucoup mieux géré que lui les impayés de leurs clients, soit mieux anticipé le coup de frein brutal de cette crise, soit disposé de plus importantes réserves financières que BNB, manufacture rattrapée par la crise en plein redéploiement industriel.
60 emplois [on espère un peu moins au final], c’est le prix à payer pour remettre l’entreprise à flots : elle retrouvera ainsi son périmètre de 2007, avec un chiffre d’affaires prévisionnel équivalent à celui d'il y a trois ans. A ceci près que de nouveaux métiers ont été intégrés dans l’entreprise (aujourd’hui, on en compte 14) et que le nombre des clients a été divisé par deux. Ce qui induit une production de pièces à peu près identique en volume, mais à plus forte valeur ajoutée…
Raisons invoquées pour ces licenciements : les factures impayées par les clients [de sources bancaire, on parle d’une dizaine de millions de francs suisses] et le comportement indélicat de certains d’entre eux, mais aussi de sérieuses dissensions au sein du conseil d’administration concernant la stratégie de sortie de crise.
Implicitement et explicitement confirmé à la tête d’une manufacture qu’il est d’ailleurs le seul à pouvoir conduire dignement dans cette épreuve, Mathias Buttet se refuse à tout commentaire concernant les causes non directement économiques de cette crise, dont on avait soupçonné les prémisses fin octobre quand, pour le première fois de son histoire, un souci de trésorerie avait contraint BNB à payer les salaires avec quatre jours de retard.
Sans que ces difficultés soit oubliées [faute d’avoir jamais été admises], il semblerait que la situation soit nettement débroussaillée sur le plan de la trésorerie et que l’entreprise soit désormais à l’abri du pire. Ce qui fera sans doute grincer des dents chez les concurrents de BNB, qui espéraient et prédisaient une curée, ainsi qu'une éjection manu militari de Mathias Buttet – épisode annoncé sous forme de rumeur par une magistrale campagne de désinformation. Les clients de la manufacture, vaguement inquiets pour leurs projets en développement, se sentiront au contraire rassurés par cette restructuration, qui replace la création et l'innovation au coeur du projet d'entreprise !
••• OÙ VA MATHIAS BUTTET ?
Le sait-il exactement lui-même ? Il a rêvé d’une boîte à outils industrielle à la hauteur de ses ambitions horlogères (qui ne sont pas minces) pour mettre en scène, en forme et en musique sa vision de la montre contemporaine. Il a rêvé d’un phalanstère micro-mécanique et d’un kibboutz aussi socialement avancé que techniquement innovant : avec ces 60 licenciements, il se prend le râteau dans le nez, ce qui arrive souvent quand on avance trop vite sans trop regarder où on met les pieds.
S’il a rêvé trop grand, c’est aussi qu’il était porté par une marée d’une amplitude exceptionnelle. Le jusant le dépose sur le sable à son étiage d’il y a deux ou trois ans, qui n’était en rien déshonorant, au contraire ! Juste avant la crise, tout était possible, surtout l’impossible, et BNB a beaucoup donné dans les concepts les plus ébouriffants [qu’on songe ici à WX-1 de DeWitt ou à la Concord Quantum Gravity, ou encore à la récente Bullet de la Confrérie horlogère]. Si le retournement de conjoncture n’était pas imprévisible, loin de là [à ce sujet, Business Montres a tiré en vain les sonnettes d’alarme qu’il fallait !], il a néanmoins surpris par l’ampleur de sa correction, qui est loin d’être terminée.
Sans doute, sera-t-il, demain, plus facile d’aborder la sortie de crise avec une manufacture plus ramassée, un personnel remotivé et un outil de travail plus affûté (le parc machines reste intact)…
••• LES ERREURS TACTIQUES
L’illusion a sans doute été de croire à la possibilité d’une haute horlogerie industrielle. On peut produire de la haute complication en série, mais à condition d'y mettre les formes et de ne pas aller jusqu'à la banalisation d'un produit qui doit rester exceptionnel. La « niche » des amateurs de chronographe-tourbillon s’est trouvée plus rapidement saturée que prévu, au moment même où le marché s’orientait vers davantage d’exclusivité et d’originalité dans la substance de chaque montre. Erreur d’analyse tactique classique quand on se trouve très en amont du marché, avec la marque et son détaillant comme écrans entre la vraie demande des amateurs et l’offre qu’on lui propose.
Avec sa Confrérie horlogère, qui n’a que partiellement comblé le départ des clients qui ne payaient pas ou qui se détournaient d’un mouvement de base trop inlassablement et mécaniquement dupliqué d’une marque à l’autre, Mathias Buttet a sans doute compris et appris la leçon : la donnée stratégique fondamentale est aujourd’hui la relation directe avec le client final. Qu’on propose aux amateurs des « tourbillons balistiques » ou des « clés » capables d’arrêter le temps, c’est en prise directe sur les marchés que BNB pourra reformater ses propositions et se concentrer sur un « recentrage » qui est un authentique retour au réel. Ce que la manufacture aura perdu en arrogance, Mathias Buttet l’aura gagné en humilité – et ce ne sont pas ses clients passés, présents et à venir qui s'en plaindront !
Le pionnier de la bio-horlogerie, conscient d’un certain échec dans son approche industrielle (trop, trop vite, trop grand), n’aura eu que le tort d’imaginer une stratégie de navigation hauturière, quand le métier horloger relève fondamentalement du cabotage. Ne pas confondre usine et fabrique, artisanat et taylorisme, haute horlogerie et mass market...
Logique perverse du « bigger is better » : plus on bâtit grand, plus il faut ratisser large, produire beaucoup et vendre cher à davantage des clients, à propos desquels on est de moins en moins regardant. En augmentant la complexité d’un système, on en accroît les rigidités et on en exacerbe les fragilités. On perd en flexibilité ce qu’on pense gagner en réactivité. La verticalisation à tout prix trouve ici ses limites : quand on veut faire voler un supersonique Concorde à l’âge d’easyJet, il faut bien 40 % de sacrifiés pour payer la note d’une sorte de fuite en avant managériale…
••• LES RACINES DU FUTUR
La bonne nouvelle, c'est qu'une des plus fantastiques boîtes à idées de la nouvelle génération horlogère reste malgré tout opérationnelle. Il se peut même que cette épreuve – qui est certainement douloureuse pour l’amour-propre d’un créateur – bronze encore plus à cœur l'âme d’une entreprise pas comme les autres. Le culte des petites séries ultra-inventives s’impose face aux liturgies classiques des grandes complications vendues « sur étagère » : du coup, certains vieux clients partis en grognant reviennent se garer sur le parking visiteurs de la manufacture. Les endorphines de la crise ont dopé la lucidité d’un Mathias Buttet, plus que jamais conscient des faiblesses de sa boîte à outils, mais aussi plus que jamais décidé à concevoir et à réaliser les montres dont on reparlera encore dans des décennies…
60 licenciements pour restructurer BNB et permettre à l’aventure de continuer : l’addition est salée, l’égo managérial écorché et l’entreprise un peu sonnée. Reste une équipe horlogère de 90 personnes face à leur avenir : c’est le moment où jamais de rêver encore plus grand !
|