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Péré : re-, et stroïka : construction (en russe).
Perestroïka : un vocable gorbatchevien qu a mis fin à la Guerre froideet qui désigne la débâcle de l’ère soviétique, avant l’ouverture de la Russie à de nouvelles influences.
La crise horlogère a favorisé la restructuration en profondeur du groupe Franck Muller, qui ouvre ces jours-ci un nouveau chapitre de son histoire controversée.
••• WORLD PRESENTATION OF HAUTE HORLOGERIE, MONACO, PREMIÈRE...
Toute une aile du nouveau Monte-Carlo Bay mobilisée pour accueillir la première édition monégasque du WPHH : à Genthod comme à Monaco, le groupe Franck Muller – qui n’est apparemment plus Franck Muller Watchland, mais Franck Muller Manufacture ( ?) – sait bien recevoir ses invités.
Cette fois, le « Master of Complications » avait fait les choses simplement, et presque sobrement par comparaison avec les flamboyances inouïes d’avant la crise. Au « château » de Genthod, qui dispose d’une des plus belles vues qui soient sur le lac de Genève et le mont Blanc, c’était plutôt silicone (pour les poitrines) et rock n’roll (dans les hauts-parleurs), paillettes et synthétiseurs, avec à l’occasion pluie de billets aussi verts que les yeux des Ukrainiennes pendues aux bras de messieurs qui n'étaient pas forcément leurs époux légitimes.
Aujourd’hui, Franck Muller se recentre. Le registre du personnel de la manufacture a perdu la moitié de ses pages et le chiffre d’affaires avoué la moitié de ce qu’on en supposait. Mercedes noires plutôt que Ferrari rouges. A Monaco, les dorures pâtissières de l’Hôtel de Paris, sur la place du Casino, ont remplacé les fracas électroniques du Genthod by night. Nouvelle ambiance sonore : La Traviata plutôt que Paul Anka. Tout un symbole de la page qui vient d’être tournée...
Recentrage à ne pas traduire par lissage, mais plutôt par décalage ou même (re)décollage : allégée par une purge sévère de ses effectifs, la marque a regroupé ses forces, bandé ses muscles, ramassé son dispositif et concentré ses moyens. Franck Muller en personne était venu – en voisin – pour légitimer l’ouverture de ce nouveau chapitre d’une histoire mouvementée dans laquelle on pourrait à peu près résumer toutes les folies de la Bulle Epoque qui a précédé la Première Crise mondiale.
Monaco était donc, l’espace de ce premier WPHH, le bûcher des vanités horlogères, l’autel où la marque immolait [sinon expiait !] ses excès passés, les outrances de son passage en mode bling-bling et les dérives d’une production pléthorique rendue totalement obsolète par la crise.
••• « UN TRUC PLEIN D’AIGUILLES COMME IL N’EN EXISTE PAS »
Premières traductions de ce recentrage : le retour en force du « Master of Complications » et le lifting en profondeur des collections. La prééminence incontestable du « Master of Complications » a été solennellement refondée par la livraison des premières super-complications Aeternitas Mega 4, modèle de série (production ultra-limitée, mais non pièce unique) qui est, à ce jour, la montre-bracelet la plus compliquée mise sur le marché (Business Montres y reviendra ces jours-ci avec une étude comparative approfondie des 36 complications logées dans le boîtier).
Un « monstre » qui avait été dévoilé voici deux ans et dont la mise au point vient de se terminer dans le micro-atelier d’ultra-complications mis en place pour Pierre-Michel et Jean-Pierre Golay, au premier étage du « château » de Genthod. Leur brief initial était tout simple : Vartan Sirmakes leur avait demandé « un truc plein d’aiguilles comme on n’avait jamais osé en faire »...
L‘opération de chirurgie esthétique pratiquée sur les collections a permis à Franck Muller d’affirmer sa nouvelle identité sportive (logique dévoilée par Business Montres le 26 octobre), ainsi qu’un original mix diamants-design pour les collections féminines, désormais portées par le concept Infinity (trois formes de boîtes et de multiples déclinaisons). La série des Crazy Hours et Crazy Colors est sauvée, ainsi que les Curvex traditionnelles, qui ne portent cependant plus l’essentiel des ambitions de la marque – davantage focalisée sur la valorisation de ses complications Aeternitas et Mega, condensé du savoir-faire des horlogers de la maison.
Moralité : les idées reçues et les préjugés concernant le groupe Franck Muller sont à oublier, au moins provisoirement. Pas un des détaillants et des distributeurs internationaux qui avaient fait le déplacement à Monaco ne paraissait s’en plaindre : ruche bourdonnante dans le salon japonais, sourire épanoui du côté des Singapouriens de Sincere (aujourd’hui complètement remis en selle, avec un Liam Wee Tay aux anges), Indiens pressés de conclure, Américains très motivés pour repartir du bon pied, Russes hyper-optimistes et Européens ravis de retrouver une dynamique capable de réveiller un marché languissant.
••• TRANSMISSION DE TÉMOIN
On a même assisté à une forme virtuelle de passation des pouvoirs entre Vartan Sirmakes et son fils, Sassoun, officiellement adoubé – au moins moralement – comme héritier de l’empire, le propre fils de Franck Muller étant lui aussi placé sur orbite horlogère au sein du groupe. Touchante transmission de témoin, qui était également repérable dans l’ajonction d’un salon Cvstos à ce WPHH, dont les « petites marques » du groupe étaient écartées [Vartkess Knajian, l’homme de Backes & Strauss, n’étant là qu’à titre plus personnel que commercial]...
Fausse note possible, précisément : le sort incertain de ces « petites marques » dans cette perestroïka horlogère, conçue pour mettre tous les moyens du groupe sur la marque Franck Muller et, indirectement mais très logiquement, sur Cvstos [il s’agit ici d’une logique génétique et culturelle plus que d’une logique managériale].
Aucun souci pour Backes & Strauss, qui n’est pas sous perfusion du groupe (pour mémoire : révélation de Business Montres sur la « petite Anglaise » du groupe Franck Muller). De même, Pierre-Michel Golay devrait avoir toutes les chances de lancer, à plus ou moins court terme, une collection de complications qui porterait son nom : il dispose ainsi d’un « tourbillon mystérieux » qui fera causer les puristes. Rodolphe peut continuer – au moins provisoirement – sur sa lancée et sur la base de son style actuel. La marque Pierre Kunz doit se résoudre à redevenir une hot shop artisanale et elle a les moyens d’être un des laboratoires les plus créatifs de la nouvelle génération. Tant que Barthelay maintiendra ses positions commerciales sur quelques marché de niche, tout ira bien, mais on est plus sceptique sur le devenir de Martin Braun et des autres marques, pour ne rien dire des projets de lancement toujours dans les tiroirs...
• Ci-dessus : le mouvement de l'Aeternitas Mega 4, avec son tourbillon, sa grande et sa petite sonnerie, son quantième séculaire (un calendrier perpétuel prévu pour 10 000 ans d'exactitude), son chronographe et une phases de lune astronomique qui ne perdra qu'un jour de précision en à peu près 1 000 ans !
Une manière symbolique pour le groupe Franck Muller de se projeter dans l'avenir et d'afficher de façon presque psychanalytique une ambition de durer dans un univers de très longue mémoire...
••• AU-DELÀ DE CE WPHH « ON THE ROCK », DES PROJETS DE SIHH À MONACO, DE LA PÉRENNISATION D’ONLY WATCH et de multiples initiatives monégasques, para-monégasques ou helvéto-monégasques dans le champ de la haute horlogerie, on voit se dessiner une sorte de fascination monte-carliste chez les horlogers, envoûtés par l’inaltérable image de luxe et de glamour qui s’attache à une principauté dont le souverain adore les montres. De là à considérer Monaco comme une nouvelle watch valley, il y a qu’un pas à ne pas franchir trop vite, mais la tentation est patente. Surtout à une heure où la souveraineté monégasque semble soucieuse de ne plus laisser son enviable prospérité reposer sur les seuls piliers du tourisme friqué et de la défiscalisation off-shore...
• Vartan Sirmakes, qui n’est jamais en retard d’une bonne idée, l’a sans doute senti avant tout le monde : ses contacts avec le ministère de l’Economie de la principauté lui ont permis de trouver, dans le nouveau quartier de Fontvielle (terrains gagnés sur la mer) un plateau « industriel » capable de devenir l’embryon d’une future « manufacture de haute horlogerie monégasque » : un parc de machines y est déjà installé et les recrutements des opérateurs sont en cours. A quand un label « Fachuria en Munegu » ?
• Ce WPHH en format XS doit également faire réfléchir sur l’évolution des salons horlogers comme média d’accompagnement : les grandes messes du luxe ont vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin d’euphorie. Un dimensionnement était nécessaire, à Genève comme à Bâle. Franck Muller en a pris acte avant les grands groupes – et après la mise sur orbite du concept The Watch Factory, inscrit dans la même logique...
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