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Il y a des journées marquantes pour un passionné de montres.
Ce vendredi 13 était le jour d’une chance à peu près unique : tenir en main la montre la plus compliquée jamais réalisée, la faire sonner et partager cette émotion avec des vrais amoureux de l'horlogerie.
C'est à ce partage qu'on reconnaît les vrais amis !
••• « VIENS VITE ME VOIR À MON BUREAU ! »
Quand un ami comme Gabriel Tortella lance ce genre de message à 10 heures du matin, c’est qu’il se passe vraiment quelque chose. Quelques coups de pédale plus tard (Genève est une petite ville, mais un paradis pour les cyclistes), je suis dans le bric-à-brac qui lui sert de bureau, chez Edipresse, entre machines à tailler les roues [il en possède une des plus grandes collections du monde, commencée dans les années soixante, quand les manufactures jetaient tout à la benne], juke-box Wurlitzer de la meilleure époque et cartons de pâtes italiennes grâce auxquels il jouera dans quelques semaines le père Noël.
Sur le bureau du « père Joseph » de l’horlogerie, une dizaine de Patek Philippe, de ces références rarissimes qui font battre le cœur des enchérisseurs dans les salles du monde entier. Ce serait déjà un excellent prétexte pour partager un café. D'autant qu'il y a dans un fauteuil Bob Maron, le CEO d'Antiquorum, venu de Californie pour les ventes aux enchères genevoises de ce week-end.
Entre les mains de Gabriel Tortella, un objet rarissime, d’un beauté à couper le souffle, même quand on ne connaît pas les montres : la Patek Philippe Calibre 89 en or jaune. Même le musée Patek Philippe ne l’a pas : celle qui est exposée – également en or jaune – n’est qu’une « coquille » vide, sans mouvement (les trois autres – platine, or rose, or blanc – sont entre des mains privées, c’est-à-dire au fond d’un coffre-fort).
Inutile de rappeler ici que cette Calibre 89 est la montre la plus compliquée jamais construite par l’homme, avec un total de 33 indiscutables complications et indications horlogères (dont l’ultra-complexe date de Pâques jusqu’en 2018), 24 aiguilles, 184 roues et 1 728 composants (précisions pédagogiques et images fléchées)...
Tenir en main cette pièce mythique est une expérience génératrice d’émotions fortes, d’autant qu’il est possible de la manipuler, de lancer le chronographe, de la faire sonner ou de vérifier la température de la pièce. Généralement, c’est le genre de pièces qu’on approche avec des gants, dans une ambiance religieuse de recueillement et en retenant son souffle.
Avec le sympathique Bob Maron, l’actuel CEO d’Antiquorum, c’est plutôt la décontraction californienne qui l’emporte : une montre est une montre, même quand elle pèse 1,1 kg et que la tenir au creux de la main est impossible sans ouvrir les doigts. Avec tout le respect qu’on doit à cette Calibre 89, qui résume en quelques centimètres cubes cinq siècles de savoir-faire horloger, on peut tout de même lui faire avouer une à une ses 33 complications, sachant que certaines aiguilles ne bougeront qu’au siècle prochain...
Emotion, donc : merci, Bob Maron, pour ce partage entre passionnés et merci à Gabriel Tortella pour cette alerte. Combien de temps se passera-t-il avant qu’un Calibre 89 ne revienne sur le marché, le temps d’une enchère, avant de retourner dans l’ombre funéraire d’un coffre-fort de milliardaire. Pour remettre la main sur une telle montre, il faudra ce week-end se délester d'environ 5 à 6 millions de dollars (3 à 4 millions d’euros), ce qui est dans les cordes des nouveaux tycoons chinois...
• CI-DESSUS : avec mon ami Bob Maron, le CEO d’Antiquorum (à droite), qui avait ce matin dans sa mallette pour 10 millions de dollars de montres (Cal. 89 et une dizaine d’autres Patek Philippe ultra-rares, qui seront dispersées ce week-end à Genève). Avec un garde du corps, évidemment. Plus un grand sourire californien. On devine la taille de la montre tenue dans la main, mais avec les doigts bien écartés ! Désolé pour la qualité, mais ça sort d’un iPhone...
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