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Exceptionnel succès de la nouvelle horlogerie, en dépit d’une mise en scène débile
 
Le 16-11-2009
de Business Montres & Joaillerie

Toutes les montres primées pour ce neuvième GPH témoignent d’un nouveau tournant de l’histoire horlogère.

Les horlogers récompensés illustrent une tradition plus vivante que jamais.

Dommage que la fête ait été gâchée par une logique de présentation aussi banalement convenue que ringardement déroulée...


••• FERMEZ LES YEUX ET SOUVENEZ-VOUS...
Aucune des montres récompensées au cours de ce Grand Prix d’Horlogerie 2009 n’aurait été admise par le jury avant la fin de la décennie 2000, disons il y a même cinq ans.

Fermez les yeux, souvenez-vous de ce qu’étaient les catalogues horlogers d’il y a quelques années, rappelez-vous de tout ce qu’on a pu vous raconter sur le « retour au classique » et la fin des « concept watches », regardez une à une les montres primées. Chacune témoigne d’un immense et récent virage dans la production horlogère. Toutes auraient condamnées par les intégristes et les contempteurs de la « nouvelle horlogerie » :

• Montre Homme : le dessin non-conformiste de la Jules Audemars se marie à sa mécanique d’avant-garde pour créer une montre ultra-contemporaine (cette montre est un pont entre XVIIIe et le XXIe siècle)..

• Montre Dame : la Limelight Twice témoigne d’un double rupture, dans le concept réversible intégral comme dans l’interprétation des cadrans, tout sauf « classique » (on est loin du « tour de bras » pour dadame)...

• Montre Design : inutile de revenir sur le saut générationnel que représente cette Opus 9 d’Harry Winston, au carrefour d’un mouvement de haute horlogerie dont la technique a été parfaitement « digérée », d’un dessin qui ne ressemble à rien de connu et d’un respect parfait de l’identité d’Harry Winston (c’est la première fois qu’un diamant donne l’heure)...

• Montre Joaillerie : certes, c’est une Big Bang classique, mais le choix du servi invisible et du diamant noir ouvre une nouvelle perspective sur l’art du sertissage, désormais capable de magnifier une montre et de la rendre encore plus précieuse tout en soulignant ses lignes de force (l’appellation Black Caviar est un soi un trait de génie)...

• Montre Haute Complication : le Double tourbillon technique de Greubel Forsey est tout sauf une « complication » telle que les pensent les grands noms de l’horlogerie. C’est mécaniquement de l’ultra-pointu, au service d’une esthétique ultra-disruptive (pour rassurer les puristes, rappelons que c’est aussi une des meilleures performances chronométriques de la nouvelle horlogerie)...

• Montre Sport : si une montre de plongée ne ressemble pas aux autres, c’est bien la RM 025 de Richard Mille, qui se distingue par sa taille, son volume, son tourbillon, ses matériaux et sa radicalité conceptuelle (apparemment, dix ans ont passé sur Richard Mille sans émousser le tranchant de ses propositions)...

• Prix du public : le sacre de la Meccanico dG signée de Grisogono met un point qu’on espère final à la querelle horlogère des Anciens et des Modernes. Rien n’est plus traditionnellement horloger que cet enchevêtrement mécanique de rouages et de cames, et rien n’est plus avant-gardiste que cette double traduction du temps (le style des couleurs, de la forme et des matériaux renforce l’impact de cette montre conceptuelle de série)...

• Aiguille d’or : la Zeitwerk de A. Lange & Söhne prouve à quel point le cri lancé dans Business Montres (« Reviens, Günther, ils sont devenus fous ! ») a fini par être entendu. Loin d’être la dernière des « kroneries » (comme disent les insiders de Richemont), cette Zeitwerk témoigne d’une appréciable relance créative (comme quoi une marque « classique » peut s’offrir une injection de sérum nouvelle génération sans se renier)...

Regardez bien toutes ces montres et découvrez in vitro l’actuelle révolution horlogère et l’esprit nouvelle génération, qui n’est pas, comme Business Montres le répète souvent, une question d’âge de la marque ou de son capitaine, mais un état d’esprit, un regard différent posé sur les montres et une volonté de repousser les limites dans l’interprétation du temps.

Pour cette nouvelle génération, le Grand Prix d’Horlogerie 2009 était un triomphe, bien anticipé par Business Montres (13 novembre), mais il m'était difficile d’en dire plus long avant samedi...



••• LES HOMMES QUI SONT DERRIÈRE LES MONTRES
Les deux horlogers récompensées illustrent eux aussi cette volonté contemporaine de retremper les racines du futur dans la tradition. On reconnaîtra la « patte » horlogère de François-Paul Journe dans ce choix du jury, qui met en avant des hommes qui le sont rarement, mais qui personnifient une immense valeur ajoutée horlogère sans incarner une marque particulière.

• Le Prix spécial du jury attribué à Ludwig Oechslin est un hommage à une sorte de « professeur Nimbus » horloger, capable d’inventer des complications inouïes sans tirer la couverture à lui. Le jury a fait ici un choix radical dans l’anti-marketing absolu ! C’est également un hommage au Musée de la Chaux-de-Fonds dont il est le conservateur.

• Le prix du Meilleur horloger concepteur est le sacre d’une carrière plutôt que d’une montre en particulier [ce qui est une dérive par rapport à l’esprit initial du prix, mais c’était un choix diplomatique et défensif des jurés] : c’est le pendant symétrique du prix précédent, mais dans le registre traditionnel plus que dans l’avant-garde. Qu’on se souvienne cependant qu’Anthony Randall, autre « professeur Nimbus », a « inventé » le tourbillon deux axes qui a tant dérangé les sectateurs d’une horlogerie « raisonnable », ainsi qu’un concept de spiral en verre qui aurait plu au seul vrai maître qu’il se reconnaît, John Harrison en personne (dont il a remis en état de marche la pendule H4)...

Là encore, on est loin de canons consensuels d’une haute horlogerie conçue comme un club de marques séculaires et uniques détentrices d’un savoir-faire fixé par les bons usages...

• Puisqu’on parle d’hommes : chacun aura apprécié qu’un président rende hommage à un designer et à un constructeur. C’est tout à l’honneur d’Harry Winston d’avoir pensé à faire monter sur scène Jean-Marc Wiederrecht et Eric Giroud, sans lesquels l’Opus 9 n’existerait pas. Beaucoup des patrons horlogers récompensés hier auraient pu, de leur côté, au moins citer les petites mains présentes derrière les montres primées : cet esprit d’équipe est-il le privilège des marques indépendantes ?



••• QUELQUES AJUSTEMENTS DIPLOMATIQUES
Un Grand Prix ne serait pas un Grand Prix s’il ne prêtait pas le flanc à quelques critiques de fond, concernant son fonctionnement autant que ses « arbitrages ».

• On peut estimer que la nouvelle génération aurait pu se tailler la part du lion si la composition du jury avait été réellement respectueuse d’une connaissance minimum de l’horlogerie : 30 % des membres de ce jury (un sur trois, tout de même !) ne connaissaient pas, ou si peu, ou n’aimaient pas (par principe ou par goût personnel), les marques de nouvelle génération présentes dans le concours ou dans la sélection finale. C’est ce qui peut expliquer certains choix un peu bâtards, notamment celui de récompenser plutôt les « ovnis » signés par des maisons traditionnelles, dont ces jurés non-horlogers connaissaient au moins vaguement le nom...

• Le dépouillement des votes du public reste entaché de suspicions dont Business Montres s’est trop souvent fait l’écho pour qu’on y revienne encore. Ni le vote électronique (manipulable à souhait), ni le dépouillement aléatoire [à notre connaissance, sans contrôle d’huissier, ni règle précise] ne sont réalistes, même s’il faut se féliciter d’avoir vu Fawaz Gruosi monter pour la première fois sur la scène du Grand Théâtre.

• Groupe Richemont : 3 prix sur 8, le groupe Edipresse – dont Richemont est aujourd’hui l’annonceur majeur – n’a pas perdu la face et a dû faire des concessions...

• Marques du SIHH : 5 prix sur 8, ça reste très voyant, un peu trop, mais, là encore, il faut savoir ménager la chèvre et le choux, c’est-à-dire le choix des jurés et la pression des annonceurs. Equilibrage diplomatique où les fautes se payent cash...

• Marques indépendantes : 2 sur 8, mais il s’agit de marques genevoises, ce qui cantonne une fois de plus le GPH dans un registre municipal beaucoup trop exclusif...

• Groupe LVMH : 1 prix sur 8, mais Hublot reste dans l’orbite genevoise, ce qui confirme un peu plus la vocation trop obsessionnellement cantonale de ces prix...

• Si on prend en compte la liste des trois montres finalistes dans chaque catégorie, la dérive est impressionnante : 12 marques sur 20 pour le SIHH et 9 sur 20 pour le groupe Richemont. Ça finit par se remarquer, ce lobby de la haute horlogerie ne représentant qu’une infime partie de la production horlogère suisse ou même genevoise (rappelons que Rolex, Patek Philippe, le groupe Franck Muller, le Swatch Group ou même Cartier et tant d’autres refusent de participer au GPH, pour beaucoup des raisons citées ci-dessus) !

• Manifestement, comme il ne fallait tout de même pas trop récompenser les jeunes marques trop liées à l'esprit The Watch Factory, on a créé un pare-feu en accordant une prime aux manufactures de tradition qui font de l'innovation. Ce qui va tout de même dans le bon sens...

• Les deux horlogers récompensés par le jury représentent une tendance « chaux-de-fonnière » un peu étrangère aux coteries genevoises ou péri-genevoises, ce qui les rend très peu dangereux pour les intérêts des uns et des autres. D’où ce choix un peu surprenant et jailli d’une connaissance intime de l’histoire horlogère clairement étrangère à une majorité des jurés...



••• UNE MISE EN SCÈNE LAMENTABLE
Un peu inquiet des dérives sexistes sur scène l’année dernière, j'avais personnellement suggéré à Pierre Jacques, l’animateur du GPH, un présentateur comme Laurent Piccioto. Avec les superbes animations Robocop conçues par RGB Prod, Laurent Piccioto pouvait redonner du piquant à une cérémonie toujours un peu languissante et convenue.

Belle idée que Lolo sur scène, mais tête-à-queue lamentable à l’arrivée, avec un Christian Luscher cramponné à son micro et bien soucieux de ne pas laisser à Laurent Piccioto le moindre espace d’expression. Sympathique comme un bateleur d’estrade et bavard comme un politicien [normal, c’est son métier !], Christian Luscher et son alibi décolletté ont plombé la soirée en lui enlevant toute émotion et toute fraîcheur communautaires. Bavardages mécaniques, effets de micro archi-usés [même dans les supermarchés, on n’ose plus le « On l’applaudit bien fort » !], propos intempestifs et méconnaissance tragique de l’horlogerie ont empêché ce qui aurait pu devenir un grand « Lolo show », fait de connivence, de partage et d’ empathie avec une salle pleine à craquer (Business Montres vous avait prévenu d’arriver tôt !)...

Comme on dit dans une régate, la « cellule tactique » ne communiquait pas avec la « cellule technique ». Même l'intelligence était court-circuitée. Qualifier à plusieurs reprises François-Paul Journe de « sempiternel » était à la fois inapproprié et légèrement désobligeant : chez Rabelais (Pantagruel, XII), le mot désigne une... très vieille femme ! Les blagues romando-alémaniques étaient tout aussi déplacées pour un GPH multi-national : Suisses, Français, Anglais et Allemands, avec un Luxembourgeois, un Américain et un Italien, sont montés sur scène – toujours cette méconnaissance tragique de la vraie horlogerie...

Même les propos appuyés de Christian Luscher en hommage à Jean-Claude Pittard, co-fondateur du GPH, tombaient à plat tellement ils semblaient malhabilement « téléphonés ». Il faut dire que la direction d’Edipresse avait beaucoup insisté pour cet hommage à Jean-Claude Pittard, scandaleusement oublié lors de la fête des 30 ans de Tribune des Arts. Toute la communauté de la montre sait ce qu’elle doit à Jean-Claude Pittard, qui se débat aujourd’hui comme un mal dévorateur, mais on aurait aimé un peu plus de chaleur, de réelle sympathie et de conviction dans l’hommage qui lui a été rendu sur scène, conjointement à Gabriel Tortella.

Un peu désemparé de se voir ainsi « couper les c... » par un couple de présentateurs hyper-conformistes et dénués de toute fantaisie, Laurent Piccioto s’est éteint dans la présentation des prix [vingt secondes par montre, c’est ridicule pour des produits comme la Greubel Forsey ou l’Opus 9] pour ne se rallumer qu’en de rares instants d’émotion, par exemple quand il a évoqué la mémoire de Günther Blümlein à propos de la Zeitwerk. Quel gâchis !

Si on ajoute à « mise en scène » pathétique la pesante ritournelle des sponsors à remercier, on tombe immanquablement dans la fête du patronage local, avec la petite robe fournie par le mercier du coin, le nom de l’épicier qui a offert les confitures et le PMU-bar tabac qui a prêté les chaises. La haute horlogerie genevoise – puisque c’est d’elle qu’il s’agit – mérite mieux comme final que ce désuet bricolage d’amateur...




••• AU FINAL, UN EXCELLENT CRU 2009, MARQUÉ PAR L’IRRUPTION de la nouvelle horlogerie sur le devant de la scène et sur le haut du podium, mais perturbé par un concept d’animation aussi minable qu’obsolète. Le GPH est une grande fête de la communauté horlogère : ce moment doit être partagé entre membres de cette communauté, qui possède en son sein assez d’animateurs talentueux et même de musiciens virtuoses pour transformer cette soirée en vraie fête de famille. Les animations mercenaires n’y ont manifestement plus leur place.

• Quelques grincements de dents, également, en raison du rôle grandissant des détaillants dans ce GPH : entre Les Ambassadeurs, Chronopassion, L’Heure AscH ou L’Emeraude (Patrick Cremers, patient et diplomate commissaire du jury), c’est beaucoup pour une même année, voire même trop ou trop peu au regard de leurs concurrents...

• Il reste également de nombreux points du règlement intérieur à revoir (exemple : la seule sélection des montres sur les dossiers des marques, et non par droit de saisine du jury, est dépassée), de même que la composition du jury, trop restreint pour se permettre d’accueillir un tiers de « touristes ». Si le GPH affiche son intention officielle de se constituer en « fondation », l’ambition est louable, mais l’écueil principal reste les liaisons dangereuses entre cette fondation et un groupe de presse dépendant des marques engagées dans le concours : tant que le cordon ombilical ne sera pas tranché, les préventions des marques réticentes l’emporteront. Il serait temps que le groupe Edipresse prenne conscience de l’erreur stratégique initiale que constituait le rachat de prix et en tire toutes les conséquences...



• CI-DESSUS : la One Million $ Black Caviar de Hublot, marque qui remporte son troisième Grand Prix d’Horlogerie en cinq ans. Une vitalité explosive (rare dans l’univers de la haute joaillerie horlogère), une sensualité quasi-animale et une sorte de spiritualité ouverte sur des univers parallèles : du jamais-vu dans l’histoire des montres de joaillerie du GPH...

 



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