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Si les Rolex et les Patek Philippe de l’ex-honorable Bernie Madoff n’ont pas fait recette à New York, celles qui étaient dispersées ces jours-ci à Genève ont prouvé que la passion des belles montres restait intacte, malgré la crise.
••• LE GRAND SHOW D’AUREL BACS (CHRISTIE’S)
Les privilégiés qui étaient ce lundi à l’hôtel des Bergues de Genève (Four Seasons pour les non-initiés) ont eu la chance d’assister à un show exceptionnel : c’était du grand Aurel Bacs, mais un catalogue comme celui qu’il proposait méritait une grande mise en scène. Sans revenir sur la matinée racontée hier en direct par Business Montres, un chiffre situe les enjeux : 19 millions et des poussières de francs suisses d’enchères et 17 % d’invendus. On se serait cru deux ans en arrière, en pleine bulle horlogère, avec des acheteurs nerveux pendus au téléphone pour leurs clients collectionneurs (dès qu’on parle en centaines de milliers de francs, mieux vaut avoir la confirmation de l’intéressé) et des chiffres qui donnaient le tournis, pour des montres tout aussi étourdissantes par leur rareté.
Ci-dessus : la rarissime Rolex triple date à cadran étoilé (réf. 6062), adjugée à 495 000 francs hammer price à un collectionneur français bien connu (double de l’estimation initiale).
Si l’après-midi a été moins spectaculaire que la matinée, Jean-Claude Biver n’en a pas moins continué à faire son petit marché familial, avec des enchères records pour quelques Patek Philippe. Vérification faite, c’est bien la première fois dans l’histoire horlogère qu’un patron de marque achète publiquement des montres qui ne sont pas les « siennes » : on peut au minimum y déceler un indice d’ouverture d’esprit et de maturité morale...
Ultime moment marquant de cette vente : l’enchère mobile lancée par un acheteur qui quittait la salle, au moment elle lui était disputée au téléphone par un collectionneur exotique. Les chiffres ont fusé, à la hausse, le temps de remonter l’allée du salon de ventes, avec une pause devant la porte, puis sur le pas de la porte et enfin dans le couloir, avant un dernier chiffre hurlé dans l’escalier ! Malheureusement pour cet enchérisseur nomade, pressé de rentrer et bien connu de tous les marchands présents, l’enchère a été finalement attribuée au téléphone, mais la salle n’a pas manqué d’applaudir ce point d’orgue drolatique à une journée riche en rebondissements...
••• LE PARI GAGNÉ D’ANTIQUORUM
Pas vraiment de bousculade pour les deux sessions d’Antiquorum, qui ouvrait le bal genevois, mais l’affluence des grands jours au moment de mettre en vente le Calibre 89 de Patek Philippe, objet de tous les désirs et de toutes les spéculations (Business Montres du 13 novembre). La tension était palpable dans les minutes qui précédaient l’adjudication, peu de marchands ayant fait part de leur intention d’achat et peu d’ordres ayant été passés. Pour Antiquorum, c’était aussi un pari risqué : ne pas vendre ou mal vendre une pièce aussi prestigieuse aurait envoyé un signal clairement négatif sur la santé de la maison d’enchères et sa capacité à tenir sa place dans le peloton de tête.
Les enchères ont été rapidement expédiées, avec un collectionneur de Taïwan au téléphone. Après enquête et recoupements, il apparaît que ce collectionneur existe réellement et qu’il avait déjà manifesté son intérêt pour les deux autres Calibre 89 dispersées par Antiquorum du temps d’Osvaldo Patrizzi. Même en admettant que la commission sur cette vente a été pré-négociée (et sans doute réduite au minimum), 4,5 millions sous le marteau représentent une performance très honorable en période de crise. L’honorable Yoshiho Matsuda, collectionneur nippon qui revendait cette pièce, pourra s’acheter une Ferrari 250 GTO de plus : il en a déjà quatre dans sa collection, sur une douzaine reconnues comme « authentiques » à travers le monde...
12,2 millions pour cette vente, avec 28 % d’invendus : c’est conforme à ce qu’on pouvait attendre d’un catalogue sans pièces très excitantes en dehors du Calibre 89, mais le soulagement de Bob Maron, le chairman d’Antiquorum, après le dernier coup de marteau en disait long à propos d’une vente sur le fil du rasoir, qui aurait pu devenir celle de la dernière chance. La trésorerie dégagée à Genève, sans totalement permettre la remise à flots de la maison d’enchères, ne peut qu’accélérer son désendettement et favoriser un « retour à la normale » – apurement des créances et restauration d’une capacité opérationnelle autonome – qui était l’objectif fixé par Bob Maron pour le début 2010. Dans la logique du « Ça passe ou ça casse », le fléau de la balance est plutôt désormais du côté « Ça passe » : il était temps...
••• UNE PETITE SOIRÉE CHEZ SOTHEBY’S
Evidemment, après les rencontres de première division, les petits joueurs ont du mal à mobiliser le public et les acheteurs. Sotheby’s jouait mécaniquement une partition on ne peut plus classique et convenue, sous le marteau sans conviction particulière d’un Geoffroy Ader sans émotion, ni passion. Les résultats ont donc été sans surprises et le score sans éclat, même pour les pièces historiques dont on attendait mieux quand elles se sont vendues, ce qui n’était pas le cas pour toutes les vedettes du catalogue (5,1 millions de francs au total, pour 20 % d’invendus). Pour les amateurs de montres militaires, le compteur de bombardier Universal à déclencheur, qui équipait les aviateurs italiens pendant la Seconde Guerre mondiale, a tout même été vendu pour 12 500 francs suisses...
Confirmation de l’effet personnel dans le succès d’une vente : on a vu partir chez Christie’s, à des prix décents, des pièces à références identiques (Jaeger-LeCoultre, notamment) qui avaient été dépréciées ou même « ravalées » chez Sotheby’s et chez Antiquorum. Il est vrai qu’Aurel Bacs, non content de soigner la mise en scène de son show personnel, soigne également son choix de belles pièces : il faut voir, pendant l’exposition qui précède la vente, les marchands avec la loupe à l’œil examiner sous une lumière spéciale les moindres pièces pour comprendre à quel point une ou deux rayures sur le boîtier peuvent faire une forte différence dans le prix d’adjudication (en plus de la fréquence de leur passage sous le feu des enchères : plus une pièce est fraîche, plus elle a de valeur)...
Tout le monde peut dire merci à Christie’s, pour des résultats qui tirent le marché vers le haut et qui font du bien à la réputation des montres, surtout avec l’annonce des mauvais chiffres de ventes obtenus avec ce que les policiers new-yorkais avaient pu retrouver de montres de luxe chez l’escroc Bernard Madoff. S’il y a une morale à tirer de ce week-end d’enchères, c’est bien que les montres exceptionnelles se vendent à des prix exceptionnels, alors que les pièces courantes – neuves de stock, quasi-neuves ou vintage – se vendent à des prix courants. Seule la rareté se paie au prix fort...
On pourra le vérifier lors du prochain round, avec des ventes intéressantes, le 25 novembre à Milan (Patrizzi & Co y dispersera une belle collection de TAG Heuer) et, le mois prochain, à New York (Christie’s, Antiquorum) et à Hong Kong (Christie’s).
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