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Quand on aime l’America’s Cup, on adore forcément le Louis Vuitton Trophy, qui en perpétue le fighting spirit sans les déluges de dollars, de francs suisses et de frais d’avocats.
Tout le plaisir du match racing sans les scories friquées des caprices de milliardaires.
C’est à Nice qu’on pouvait découvrir ces jours-ci ce que sera le vrai luxe des prochaines années dix...
••• LOUIS VUITTON FAIT VOILE DE TOUTE PART
Alors que l’America’s Cup se court désormais devant les Cours de justice, Louis Vuitton a bien perçu le désarroi du grand « village mondial » que forme la communauté de la Coupe, ses équipages, ses équipes, ses familles et ses codes. Une sorte de « famille » internationale riche de plusieurs milliers de personnes, qui fait vivre une magie vélique capable de rassembler plusieurs centaines de millions de passionnés. On n’a pas le droit de changer une épreuve qui gagne, surtout quand elle est la plus ancienne et la plus prestigieuse du monde...
Tournant le dos aux canons classiques des manifestations sportives de luxe, Louis Vuitton a donc conçu une sorte de Coupe bis, dans un format accessible, qui permet à des nombreux teams de s’affronter avec l’aide de quelques sponsors, et donc loin de la débauche budgétaire insensée d’une America’s Cup récemment transformée en champ clos pour armateurs milliardaires. Le Louis Vuitton Trophy reste travaillé à une appréciable échelle humaine, avec beaucoup de proximité entre les spectateurs directs – les Niçois, pour ce premier épisode – et les équipages qui s’affrontent en match racing (bateau contre bateau) sur des coques identiques de Class America prêtées pour l’occasion. Un concept égalitaire, peu coûteux, qui concentre l’attention sur les qualités manœuvrières des équipiers plutôt que sur leurs budgets : l’argent est visible dans le recrutement de ces équipiers [sur une Cup, c’est l’homme qui fait la différence] et non dans la surexposition médiatique des images de marque. Ce qui est finalement très sympathique...
••• UN SEUL « BATEAU HORLOGER »
Quoi de plus normal, pour un journaliste horloger, que d’embarquer à bord du seul « bateau horloger » de la compétition ? Un seul bateau ? Eh oui, première surprise : alors que l’élite mondiale de la voile et les meilleurs barreurs, tacticiens, wincheurs et régatiers du monde s’affrontent en baie de Nice, face à la Promenade des Anglais, pas un Suisse à l’horizon ! Ce n’est pourtant pas une question de budget, puisqu’une marque française comme Saint-Honoré a pu s’offrir un partenariat remarqué avec All4One, le nouveau team franco-allemand monté à force de volonté et d’opiniâtreté par le Français Stéphane Kandler (ex-K-Challenge). C’est donc une question d’intelligence marketing et d’ouverture d’esprit : quand on a sous la main le modeste ticket d’accès (quelques dizaines à quelles centaines de milliers d’euros) à cette mini-America’s Cup, qui sait cependant en concentrer les plaisirs sans s’encombrer de ses dérives, on n’hésite pas...
Donc, ce sera All4One, qui proclame sans timidité son allégeance à Saint-Honoré Paris : dans le ciel bleu de la Baie des Anges, c’est assez fier comme inscription sur une voile. Embarquement sportif à bord du Class America, à bord duquel on est jeté par le tendeur d’accompagnement en même temps que des paquets de voile et des containers mystérieux. Pas de mondanités, les dix-sept hommes de l’équipage ayant à cet instant d’autres soucis que le confort du dix-huitième, qui se cramponne comme il peut aux structures en fibre de carbone de l’arrière du bateau, ouvert et dépourvu de panneau, ce qui offre une belle perspective sur le sillage, plus quelques giclées d'eau salée.
Grand silence dans les minutes qui précèdent le départ : c’est au moment de franchir la ligne de départ, après de subtils entrechats d’intimidation et de frottements territoriaux, que se décide le plus souvent l’orientation de la course et sa décision finale. All4One est un jeune équipage de vieux briscards français, allemands et italiens (menés par l'ex-AlinghiJochen Schueman, Sébastien Col, John Cutler), qui apprennent seulement à travailler ensemble : beaucoup ont quelques Cups à leur actif et ils connaissent le métier. Les autres ne manquent pas de muscles, d’intelligence tactique ou de solides palmarès en compétition. Chacun est à sa place, dans ses marques, et il sait à l’avance ce qu’il doit faire, parce qu’il sait aussi ce que les autres doivent et vont faire.
Pour la cellule arrière, un regard suffit pour accorder les violons de chaque équipier. Une seule voix égrène les temps qui restent avant les manœuvres, dictées à la fois par le vent, l’approche de la bouée et les positions respectives du bateau adverse. Réduit au silence, le dix-huitième équipier – une sorte de ballast honorifique, mais admiratif – n’a qu’à se cramponner, le regard à hauteur de bastingage, en prenant des paquets de mer parce que ça va très vite et que l’étrave du Class America hache sans ménagements le clapot niçois.
••• L’EFFICACITÉ D’UN CALIBRE DE HAUTE PRÉCISION
Au loin, l’horizon des Alpes déjà enneigées, la Suisse et ses montres, les monts du Jura français et Saint-Honoré, dont l’état-major siège à Charquemont. On comprend beaucoup mieux les affinités profondes, anciennes et toujours renouvelées, de l’horlogerie et de l’esprit America’s Cup quand on est posé sous cette voile qui craque comme un orage au moindre virement de bord, les pieds calés sur cette coque de carbone qui craque tout autant de façon inquiétante.
Un équipage en match racing, c’est aussi fascinant qu’un mouvement mécanique : chaque rouage du team connaît sa mission et son devoir d’exactitude dans la manœuvre. On est juste et précis à la seconde près, surtout quand ça « frotte » pour ouvrir ou fermer la porte à la bouée. On donne l’énergie qu’il faut dans chaque geste, à chaque instant, pendant une heure et demie. C’est un ballet aussi bien réglé qu’un balancier, avec pour amplitudes les virements de bord où chaque geste vaut son pesant de centimètres gagnés ou perdus sur la ligne d’arrivée. On pourrait multiplier ainsi les analogies entre un calibre horloger et le travail à bord d’un tel voilier. Un match racing, c'est une épuisante course contre la montre, la sienne et celle de l'adversaire.
Quelques secondes de différence pour franchir la ligne d’arrivée : on a été à peine meilleur ou tout juste moins bon, avec un meilleur vent ou une tactique légèrement moins efficace, les deux équipage comptant de toute façon quelques-uns des meilleurs marins du monde. La victoire et les points gagnés soulèvent à peine plus d’enthousiasme que la volonté de ressouder dans l’épreuve l’équipe perdante qui songe déjà à la revanche, dans quelques heures. L’essentiel n’est plus forcément de gagner [ce qui fait bien], mais de courir et de s’affronter [ce qui fait également du bien]. L'important, c'est la mer, le vent, les copains du team et le thé chaud à l'arrivée. Au final, Saint-Honoré engrangera d’ailleurs trois points (meilleure performance franco-allemande), ce qui prouve, un, que All4One a du potentiel et, deux, qu’il y a une forte marge de progression – ce qu’on vérifiera dans les épisodes suivants du Louis Vuitton Trophy, en Sardaigne, aux Etats-Unis ou à Hong Kong.
••• COUPE OU PAS COUPE ?
On ne sait toujours pas, à ce jour, si la Coupe se décidera vraiment en février, ni où il faudra la suivre. Le vainqueur horloger en sera de toute façon Jean-Claude Biver, qui a raflé pour Hublot l’embarquement à bord d’Alinghi. Au fait, toujours pas de parrain horloger pour BMW Oracle ? Là, ça fait quand même désordre...
Côté Louis Vuitton Trophy, le vainqueur est de toute façon Saint-Honoré, qui verra All4One porter en solitaire les couleurs de l’horlogerie européenne sur bon nombre de grands marchés internationaux. C’est déjà, en soi, une belle récompense pour Thierry Frésard et son équipe : il fallait oser s’engager ainsi en pleine période de crise, et ce n’est pas une question de dollars, mais une affaire de « vision ».
Le Trophy de Louis Vuitton est, en soi, une Coupe de l’America à part entière, avec un format beaucoup plus intéressant et contemporain que l’hyper-événement qui s’était déroulé à Valence : les valeurs humaines y sont récompensées sans interférences, ni parasitages financiers, ce qui est une approche totalement nouvelle et fondatrice de ce que seront les piliers du vrai luxe dans les années dix.
Il est étrange que Saint-Honoré ait eu le bon réflexe, alors que tant d’autres marques parrainent des manifestations autrement plus datées et moins médiatiquement profitables. Il est paradoxal de retrouver ici Saint-Honoré au coude à coude avec Louis Vuitton, dont l’exploitation horlogère du Trophy se révèle finalement très modeste...
Ultime méditation d’un dix-huitième homme, couvert d'embruns et d'éclaboussures à son retour sur les pontons : toutes proportions gardées, ce Louis Vuitton Trophy est à l’America’s Cup ce que The Watch Factory est aux grands salons horlogers ! Même souci de créer un nouveau format de communication accessible, de privilégier la créativité personnelle et de souder une communauté de partenaires en ne dépensant son argent que là où c’est indispensable. Le plaisir de se retrouver et de travailler ensemble plutôt que les galères du show off et d’une écume de représentativité. La bonne idée plutôt que le gros budget !
• CI-DESSUS : le protoype de ce qui sera la montre Saint-Honoré Haussman Regatta (image non officielle, récupérée sur les pontons, à Nice). La version finale aura un timer de régate calé sur 10 minutes – règlement America’s Cup oblige ! Le SH en pavillons nautiques annonce la couleur. Editée en série limitée (125 exemplaires), cette montre sera officiellement présentée en janvier 2010 à Genève, dans le cadre de The Watch Factory @ Geneva Time Exhibition (même semaine que le SIHH)...
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