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Le retour de Pierre Nobs et des montres Ventura sur le devant de la scène, après trois ans d’absence, appelait quelques questions.
Premier entretien du Quotidien des Montres avec un des électrons les plus libres du paysager horloger.
Annonce intéressante : le retour de Paul Junod dans le nouveau board de Ventura.
••• TEMPS FORT POUR LES MARQUE DE NICHE
Depuis sa mésaventure précédente, on pensait Pierre Nobs vacciné contre les investisseurs (révélation Business Montres du 3 novembre). Pour repiquer au petit jeu horloger, il a trouvé de nouveaux financiers, ainsi que l’aide d’un personnage inattendu : le « magicien » Uri Geller, grand amateur de montres. C’est peut-être cette magie qui est la nouvelle assurance-vie de Ventura...
• Pourquoi faire confiance à des nouveaux investisseurs ?
• Pierre Nobs : Ceux qui m’aident à relancer Ventura sont le groupe Zeon (Londres, Royaume-Uni), ainsi qu’Uri Geller, le fameux magicien conu dans le monde entier. Richard Tibber, qui a créé et qui préside le groupe Zeon, m’encourageait depuis longtemps à relancer Ventura : je l’avais rencontré après un dîner avec Uri Geller, qui est un grand fan de Ventura depuis des années...
En 2005, j’avais vainement cherché un investisseur. Cette fois, c’est lui qui vient à moi. Nuance ! L’autre grande différence, c’est que Richard Tibber sait ce que c’est qu’une entreprise et comment la manager correctement. Il sait aussi ce qu’est la vraie valeur d’une marque qui combine design, tradition et avant-garde. Nous parlons tous les deux le même langage. En plus, je dois avouer que, à 65 ans, mes ambitions sont plus que limitées : je veux simplement remettre Ventura sur ses deux pieds et le plus grand défi sera ensuite de me trouver un successeur...
• Quelle est votre nouvelle promesse aux amateurs ?
• Pierre Nobs : Avant tout, ils savent que je ne les ai jamais abandonnés. Au cours de ces dernières années, j’ai continué – à mes frais ! – à assurer un SAV international grâce à Ventura Europa (Würzburg, Allemagne), société récemment renommée Preciluxe Europe. Ventura est donc resté une marque « active ». J’en profite pour remercier ici tous ceux qui m’ont maintenu leur confiance et qui n’ont cessé de croire en la marque. Il m'on toujours encouragé à la relancer. La nouvelle aventure de Ventura, à travers Ventura Watch SA, doit les rassurer sur notre engagement à réaliser des montres à haute intensité dans la qualité et à haute intégrité dans le design...
• Qu’est-ce qui a le plus changé sur le marché de la montre depuis que vous en êtes parti ?
• Pierre Nobs : D’un certain côté, je me félicite d’avoir « manqué » ces années d’excès ridicules, dans le bling-bling et dans le kitsch flamboyant. Elles ne me manquent pas. Le marché revient à plus de sobriété et les consommateurs attendent plus de contenu : parfait pour un retour de Ventura !
• Nouveaux concepts ou retour aux icônes de la marque ?
• Pierre Nobs : (rires) On m’a dit souvent que les montres Ventura avait un petit truc de plus ou un peu plus d’avance que les autres, et que c’est pour ça qu’on les recherchait. Les modèles dessinées hier par Hannes Wettstein et Paolo Fancelli ont gardé toute leur fraîcheur et toute la force de leur avant-gardisme : il y a toujours autant de demandes pour les légendaires v-matic et v-tec, pour lesquelles il existe un vrai marché de la collection. Dès le mois de décembre, nous allons remettre sur le marché quelques-unes de ces montres, en quantités limitées, sur la base des composants que nous avons pu trouver. Bien entendu, nous avons aussi plein d’autres idées, mais nous tenons à n’avancer que prudemment. Ceux qui espèrent des rééditions commémoratives des icônes de Hannes Wettstein risquent d’être déçus : pas question d’exploiter commercialement son nom et sa réputation ! S’il était à notre place, lui-même préférerait d’ailleurs que Ventura donne leur chance à des jeunes designers capables d’enrichir son héritage créatif. Je suis très heureux que Paul Junod (ex-Milus) vienne nous rejoindre à la direction de Ventura : il pourra piloter un nouveau groupe de designers...
• Quel positionnement pour les Ventura saison 2 ?
• Pierre Nobs : Pourquoi faudrait-il payer plus cher un beau design ? Hier, les prix des montres Ventura n’étaient pas décidés en fonction de la tendance, mais de la qualité : on faisait des modèles en Titanox, un titane « durci » qui ne s’altère pas après des années d’usage. Impossible désormais de s’en passer pour repasser à des qualités inférieures ! Certes, l’innovation a un prix, mais il reste inférieur à celui d’une décoration inutile ou d’un marketing abusif (je ne citerai pas les marques !). Une montre Ventura doit rester accessible, pour trouver son marché et ses consommateurs en quantités suffisantes, ce qui permet ensuite de réinvestir dans les innovations, qui nourrissent de cette manière un cercle vertueux. Le positionnement prix sera définitif fin novembre : les montres électroniques (dont la SPARC, la seule « montre automatique digitale ») seront lancées à des prix très attractifs, alors que nous relancerons le fameuse v-matic au même prix qu’il y a cinq ans...
• L’électronique a-t-elle sa place dans la haute horlogerie ?
• Pierre Nobs : Ventura est une des rares marques qui ont réussi à rester crédibles sur ces deux terrains, aussi bien pour ce qui concerne la tradition mécanique que l’électronique horlogère – deux marqueurs génétiques fondateurs de notre identité. Se poser en seule « manufacture électronique » serait trop segmentant et trop coûteux pour une petite entreprise. Abandonner les montres mécaniques enrichies d'un design contemporain – il existe un vrai public – serait un erreur, que nous ne répéterons pas dans Ventura saison 2...
• Y a-t-il encore de la place dans les vitrines pour les petites marques indépendantes ?
• Pierre Nobs : L’espace est désormais très compté dans la distribution, surtout du fait des grands groupes, qui ont placé beaucoup de détaillants dans une dépendance financière gênante. Toutefois, que de détaillants indépendants sont à la recherche de marques et de montres alternatives, aux volumes de production plus exclusifs, pour des consommateurs avides d’exclusivité ! Ventura a été une des premières marques à vendre ses montres sur Internet : cette expérience nous donne envie de continuer, même si les consommateurs préfèrent encore acheter une « vraie » montre dans une boutique physique – nous les encourageons d’ailleurs à faire confiance à des revendeurs officiels. Toutefois, une nouvelle génération d’e-acheteurs se manifeste et elle a le « profil Ventura » : il nous faut donc repenser notre boutique en ligne pour créer un climat de confiance et une crédibilité propice. Là où les grandes marques restent timorées pour agir sur ce terrain, c’est une chance d’être une « marque de niche ». Hier comme aujourd’hui, notre devise reste : « Time has come ». C’est le bon moment !
••• AVANT L’HEURE, C’EST PAS L’HEURE ! Avec Ventura première version, Pierre Nobs avait peut-être quelques années d’avance : son mix design/quartz haut de gamme était trop avant-gardiste et surtout trop isolé pour résister à la vague du tout-mécanique qui a emporté l’horlogerie depuis les années quatre-vingt-dix. Le reflux de la Bulle Epoque a fait tomber quelques œillères. Des tabous sont brisés. Une injonction d’électronique bien pensée dans des montres mécaniques de haute horlogerie ne fait plus frémir personne : Jaeger-Lecoultre a déjà sa montre-transpondeur et d’autres projets sont développés, tant du côté des nanoLED que des verres saphir à capacité d’affichage. Une révolution se dessine : l’heure a peut-être sonné pour Ventura...
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