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Les liaisons tumultueuses de l’innovation et de l’horlogerie
 
Le 20-11-2009

Elmar Mock, co-inventeur de la montre Swatch, a donné une conférence dans le cadre des Journées de la Métropole horlogère à La Chaux-de-Fonds.

Quel est le moteur de l’innovation ? Quels en sont les mécanismes ? Que peut-on encore inventer dans une montre ? Elmar Mock, co-inventeur de la montre Swatch, s’est récemment penché sur ces questions lors d’une conférence donnée au Club 44 dans le cadre des Journées de la Métropole horlogère à La Chaux-de-Fonds. Délibérément provocateur, il a d’abord fait un tour d’horizon des blocages qui empêchent l’horlogerie suisse de se réinventer.

Invité par la Fondation suisse pour la recherche en microtechnique (FSRM), le fondateur et directeur de Creaholic à Bienne s’en est donné à cœur joie mardi dernier lors de sa présentation. « Pourquoi parle-t-on tant de créativité, alors qu'on en fait si peu ? C'est un peu comme avec le sexe », explique Elmar Mock sur un ton goguenard. Devant une assistance acquise à son humour débridé, ce fils d’horloger de 55 ans natif de La Chaux-de-fonds n’hésite pas à comparer l’horlogerie suisse à un colosse aux pieds d’argile, qui plus est, sa niche mécanique à une réserve d’indiens : « Nous avons des marques extraordinaires, mais sur les centaines de millions de montres produites dans le monde chaque année, 100 millions le sont en Suisse, dont seulement 4 millions de mouvements mécaniques ». Et de fustiger la pensée qui veut que l’« on est tellement bien entre nous, pourquoi changer ? ».

Pour cet esprit libre, l’industrie suisse de l’horlogerie est obnubilée par sa propre image et dépense des milliards de francs dans le marketing au détriment de l’innovation technologique : « Nous avons les connaissances, déposé une mine de brevets, mais nous ne faisons rien, nous n’en voyons pas l’intérêt ». La faute en revient au management qui est passé à côté de tant d’occasions, estime Elmar Mock. Selon lui, les barons de l’horlogerie restent englués dans les modèles du passé en ne jurant que par la montre mécanique, seul produit noble à leurs yeux. Il met en garde : « Ces derniers répètent aujourd’hui les mêmes erreurs que leurs aînés à l’orée de la crise des années 70 » provoquée par la déferlante de la montre à quartz – inventée par les Suisses – engendrant la perte de près de 60'000 postes de travail dans le secteur. Et la menace commence à pointer à nouveau son nez. Il prend ainsi l’exemple de Seiko qui s’est mis à produire des montres qui ne subissent pas les affres du temps et ne s’usent pas : « Toute cette technologie est décrite dans un brevet suisse de 1972. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose ? ». S’il est louable de « gagner beaucoup d’argent en faisant peu d’efforts », il est également dangereux de fabriquer des garde-temps qui ne sont plus abordables pour le commun des mortels, avertit en outre l'homme aux cheveux en bataille.

Innovation de rupture

Pour éviter de « vivre dans l’illusion que demain existe, ce qui nous rassure, il faut se rendre compte que nous ne sommes pas uniques », explique l’ingénieur en microtechnique formé à l'Ecole technique supérieure de Bienne. Dans une région du monde chère comme la nôtre, il faut toutefois une innovation de rupture pour garder de l’avance : « Nous avons des qualités certaines, mais il faut savoir faire ce qui est critiquable, inconnu et non pas fabriquer ce que font les autres ». Toutes les bonnes idées ne débouchent pas sur la concrétisation et ne dépassent souvent jamais l'état du dessin ou le stade du prototype. Il faut des gens derrière pour les réaliser et ce n’est jamais sans risques, financiers surtout.

Avec la Swatch, la chance est au rendez-vous. Le 27 mars 1980, Elmar Mock a 26 ans et son compère Jacques Müller quelques années de plus. Tous deux travaillent pour ETA à Granges (SO). Ernst Thomke a 38 ans et est à la tête de la manufacture depuis deux ans. Il veut une invention forte pour sortir du marasme. Les deux ingénieurs arrivent dans le bureau de leur patron muni d’une seule feuille de papier millimétré où est dessinée sommairement l’ébauche de la Swatch. « Nous n’avions pas de plan marketing, rien, on nous a traités de fous ! », raconte le conférencier. Mais leur chef, au tempérament tyrannique, accepte de se lancer malgré l’hostilité ambiante au projet. Ernst Thomke a une vision : il veut une montre de « combat industriel », soit une montre qui est produite industriellement et qui constitue la base à côté du luxe.

Un an plus tard, cinq prototypes fonctionnent cinq jours, « mais les aiguilles tournaient à l’envers ! ». En 1983, la Swatch sort, avec le succès qu’on lui connaît. Selon Elmar Mock, « la révolution a été d’être capable de produire au tiers du coût pour la même qualité ». Simplicité, robustesse, peu de composants (55), prix de revient équivalant à cinq francs, plus tard accessoire de mode : des qualités qui scellent le destin d’abord improbable d’une montre en plastique prévue à l’origine pour le tiers-monde. Contre toute attente, les ventes s’envolent en Europe et aux Etats-Unis. C'est un produit de rupture, surprenant. Du coup, la Swatch devient le porte-drapeau d'une Suisse qui sait encore créer et résister à la concurrence étrangère.

Celui qui quitte le groupe en 1986 après avoir été fondé de pouvoir, croyait que le monde l’attendait : faux. Il avait été le premier maillon de la chaîne, mais sans les autres, il n’y serait pas arrivé. Il fonde alors son entreprise, Creaholic (la contraction de créativité et de workoholic), dédiée à l’innovation. Il travaille depuis avec Nestlé, Tetra Pak, Bosch, Roche, BMW, ou encore Du Pont de Nemours, entouré d’une trentaine de designers et d’ingénieurs qui transforment des idées en quelque chose. Pour innover, il n’y a pas de recette miracle. « Être créatif, imaginatif, c’est un état mental. Nous sommes nombreux à naître avec. Malheureusement, la plupart le perdent en cours de route et deviennent logiques, structurés, efficaces », résume le Biennois. En 30 ans, il a appris des choses : « qu’il faut se tolérer, discuter, échanger, la seule manière d’avoir une vision d’avenir, d’être intuitif ». Trois caractéristiques sont importantes à différentes étapes de sa vie, voire ensemble, précise encore Elmar Mock : il faut premièrement aimer son travail (qui correspond au côté technophile, soit l’expertise technique), deuxièmement, être inventif (être artisan bricolier, soit un nomade intellectuel autodidacte) et enfin agir en entrepreneur (être un explorateur stratégique, soit être convaincu, convaincre et prendre des risques). « C’est seulement grâce à cet équilibre multipolaire que l’on pourra être innovant ».
Nicolas Paratte

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