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Il aura fallu l’actuelle Première Crise mondiale pour que les marques admettent que le marketing horloger peut servir à quelque chose et que la priorité est aujourd’hui à l’écoute du client final.
Il était temps, mais la Journée internationale du marketing horloger (JIMH) sert à ça : une fois par an, ça ne peut pas faire de mal...
••• QUEL CHANGEMENT DEPUIS L’ANNÉE DERNIÈRE !
Kalust Zorik, le président de la Journée internationale du marketing horloger, me confiait, non sans émotion, que c’était la première fois en treize épisodes de JIMH qu’il voyait trois CEO assis côte à côte déclarer tous en chœur que seule une analyse marketing plus poussée et des outils de recherche plus performants dans ce domaine leur permettaient de garder le bon cap dans la tempête.
Face à lui : Antonio Calce (le CEO de Corum), Nathalie Veysset (la directrice de DeWitt) et Emmanuel Vuille (le directeur général de Greubel Forsey), soit des marques de haute horlogerie soumises à des problématiques très différentes sur leurs différents marchés (exclusivités des collections, perspectives commerciales, logistique de production, etc.). Leur diagnostic devait être confirmé ultérieurement par les interventions de Renaud de Retz (Hautlence), Yavn Arpa (Black Belt) et Françoise Bezzola (TAG Heuer).
Cette communion d’esprit n’était qu’un des temps forts de cette 13e Journée internationale du marketing horloger, la seconde pour une industrie de la montre déstabilisée par la Première Crise mondiale. Sujet 2009 : « L’utilisateur horloger dans un monde en mutation : valeurs, tendances, environnement : tout change ».
Effectivement, quel changement depuis l’année dernière ! On parle désormais de nouvelles valeurs environnementales, d’une horlogerie recentrée sur le « facteur humain » et sur l’utilisateur, voire même de morale. On y évoque les nouvelles impatiences des nouveaux expérimentateurs du temps : désormais, ce ne sont pas les montres qui donnent l’heure, ce sont les amateurs qui donnent du temps aux marques (intervention très philosophico-littéraire de Philippe Geslin, professeur HES).
••• COMPLICATION MÉCANIQUE ET COMPLEXITÉ POLYPHONIQUE
On a étudié cette année, avec beaucoup de subtilité (Claudio Chiacchiari, fondateur de Saisir le Temps), les rapports entre simplicité et complexité, musique et horlogerie, surexpertise poyphonique et complication mécanique : pas évident a priori, mais convaincant une fois qu’on a procédé à l’écoute comparative d’Aquila Altera de Jacopo da Bologna (complexe démonstration de pure virtuosité vocale, datée de 1355) et un air de cour de Pierre Guédron (simplissime monodie vibrante d’émotion, vers 1600), le tout en admirant du Botticelli.
C’était assez inattendu pour parler de marketing horloger, mais on ne peut plus révélateur pour expliquer les différences et les convergences qui peuvent exister aujourd’hui entre les montres conceptuelles de la nouvelle génération et la nouvelle sobriété du « Back to Classics ». Une sorte de duel Max Büsser contre François-Paul Journe qui se jouerait en dégainant son luth !
••• « SATURATION STATUTAIRE ET RETRAIT TECHNOLOGIQUE »
Autres moments forts (et faible) de cette journée de remue-méninges pour mieux préparer l’après-crise et l’avant-reprise :
• Les écrins de montres comme reflet de nos incohérences dans l’approche des nouveaux paradigmes horlogers : qui s’est demandé si les consommateurs voulaient vraiment ces écrins dont ils ne savent plus quoi faire, mais qu’ils n’osent pas jeter [normal quand on sait qu’il faut déforester à peu près un hectare de jungle tropicale pour réaliser un coffret de bois exotique !]. Qui s’est soucié de créer des écrins multi-dimensionnels et multi-usages ? Objectif : réconcilier horlogerie et écologie au regard de l’ergonomie (Malik Attouche, Haute Ecole Arc Ingéniérie)...
• Coup de projecteur pour la « Génération Y » (18-35 ans), ces Yers qui « achètent des marques pour laisser leur marque » sur le monde (joie formule) : experts, cosmopolites, précoces, impatients, opportunistes, ce sont aussi, nous a rappelé Stéphane Madoeuf (HEC Paris) des internautes infatigables et des blogueurs infatigables. Ils commentent les montres, ils veulent dialoguer avec les marques et s’impliquer dans les nouveaux produits : comment leur parler, les fidéliser et les intégrer dans les entreprises ? C’est une question de survie pour les marques horlogères, dont les clients sont devenus des « Whyers »...
• Au prisme de la socio-économie (intervention de Frédéric Godart, INSEAD, qui devait recevoir le prix JIMH de la meilleure communication à la 4e Journée de recherche en marketing horloger), deux scénarios pour la sortie de crise : le changement de paradigme (« saturation statutaire assortie d’un retrait technologique ») ou le retour à la normale (consolidation socio-statutaire et utilitaro-fonctionnelle de la montre). Avec cette question existentielle : est-il vraiment dans l’air du temps de remettre tradition et technologie au centre de la marque, alors que le retour du style et d’une nouvelle polarisation esthétique semblent s’annoncer ?
• Alors que la perspective d’une communauté horlogère plus « participative » et plus « coopérative » venait de se dessiner, Hubert Lapipe (Gfk horlogerie, France) nous a offert un véritable exploit pour tout statisticien qui se respecte : parler 40 minutes sans livrer une seul chiffre, avant de nous assener en cinq secondes d’écran un tableau totalement incompréhensible et hors sujet [il devait intervenir sur les changements générationnels dans les panels de distributeurs] ! Soyons justes à propos de « coopération » : Hubert Lapipe aura tout de même lâché un scoop de taille à l’assistance : la marque leader en Espagne est... Festina – ce dont aucun professionnel présent dans la salle ne devait probablement se douter. Pas vraiment de quoi inciter quiconque à souscrire à un de ses panels, de toute façon très spécialisés dans le bas de gamme et entachés de sérieux biais statistiques pour les marques de luxe...
••• LE NOUVEAU « SYSTÈME DES OBJETS »
Le meilleur pour la fin, avec une communication sur « Lire l’heure demain » de Nicolas Babey (professeur, Haute école de gestion Arc) qui a largement dépassé son titre : il a souligné à quel point l’actuel « système des objets » (issu du capitalisme consumériste) se trouvait disqualifié par les nouvelles logiques sociétales. Un flux intense et d’une richesse telle que Business Montres y reviendra bientôt dans une interview dont le contenu cerne, en termes universitaires et avec un regard distancié, les perspectives ouvertes ici même en termes médiatiques au fil de l’actualité.
Questions lancinantes en filigrane tout au long de la journée : le contact direct avec le client final comme clé de toute stratégie (question souvent abordée par Business Montres), l'évolution de la distribution vers plus d'implication, de professionnalisme et de spécialisation (avec, à terme, une redistribution des portefeuilles de marques), l’impact du changement générationnel à l’œuvre dans la communication horlogère (le nouveau rôle des médias et des réseaux digitaux, autre fil conducteur de nombreux articles de Business Montres), les nouveaux devoirs de solidarité environnementale et de responsabilité sociale (au feu de la dialectique massification/personnalisation), le sentiment diffus que plus rien ne sera comme avant (marques, montres, hommes, détaillants, motivations, ce qui est aussi un thème classique dans Business Montres)...
Prochain rendez-vous : 2 décembre 2010, pour la 14e JIMH, toujours à La Chaux-de-Fonds-« Métropole horlogère ». D'ici là, les actes de cette 13e JIMH auront été édités pour ne rien perdre de la richesse des débats...
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