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Première marque horlogère à franchir la ligne jaune en se lançant dans la vente de montres en ligne, Bell & Ross a choisi de s’appuyer sur son réseau de détaillants.
Un choix stratégique consumer-centric et retailler-driven qui soulève toutefois quelques interrogations sur l’avenir des nouveaux e-réseaux de distribution.
••• 300 RÉFÉRENCES EN LIGNE, SOIT LA TOTALITÉ DE L’OFFRE
Il était quasiment prévisible que Bell & Ross soit une des premières maisons horlogères à oser la vente en ligne. Il n’est finalement pas si étonnant que Carlos Rosillo ait choisi d’entrer dans l’histoire comme le premier CEO à oser organiser la première e-boutique officielle de montres.
Cette boutique en ligne sera annexé au site, avec la possibilité d’acheter soit directement, soit par l’intermédiaire d’un détaillant [les amateurs auront le choix], et de se faire livrer, soit directement, soit chez un détaillant [la facturation toutes taxes s’effectuera selon le pays de référence]. Au bout du clavier, la totalité du catalogue Bell & Ross, présentée de façon très sobre, dans la logique graphique noire chère à la marque.
Cet outil de vente en ligne [pour l’instant, exclusivement européen, soit une trentaine de pays « ouverts », mais pas la Suisse !] a été développé et installé très rapidement, non seulement pour prendre date vis-à-vis de la communauté horlogère et des réseaux de la marque, mais aussi pour apporter une réponse claire à des détaillants européens qui se posent De plus en plus de questions au sujet du e-commerce. On voit se multiplier les initiatives « sauvages » face à des marques tétanisées par le web : les parallélistes s’en donnent à cœur joie et s’octroient des parts de marché dont il sera difficile de les cramponner. Il était donc nécessaire de frapper vite, fort et bien pour reprendre l’initiative sur le plan de la stratégie commerciale.
••• UN ENVIRONNEMENT DIGITAL DE PRODUITS ET DE SERVICES
Comme l’explique Carlos Rosillo, « ce n’est pas la peine d’avoir tant travaillé à structurer et qualifier notre réseau “physique“ pour négliger ce qui peut devenir un réseau “digital“ digne de ce nom. Il nous fallait donc réconcilier luxe et Internet. L’idée était d’offrir à nos détaillants une compétition à armes égales, dans un esprit d’équité entre la jungle qu’est aujourd’hui le monde virtuel et les boutiques réelles de la vraie vie. Jusqu’à présent, on pouvait parler de luxe sur Internet, mais jamais d’argent : dès le 1er décembre, les amateurs pourront trouver dans notre e-réseau international une qualité de service, de proximité et de convivialité équivalente à celles de nos détaillants « briques et mortier »…
Avantages premiers de ce réseau digital, développé par Bell & Ross pour ses détaillants :
• le renforcement d’une offre et d’une présence internationale
• la possibilité de proposer une collection aussi exhaustive que possible (augmentation de la visibilité des collections et des nouveautés)
• la garantie d’un service client optimisé
• la couverture commerciale de zones où la marque était absente
• la liberté offerte aux consommateurs d’opérer 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7
• l’avantage concurrentiel que procure le fait de démarrer le premier (gain d’image et profits commerciaux pour Bell & Ross, chiffre d’affaires additionnel pour les détaillants)
• la clarification d’une position « officielle » de Bell & Ross dans un univers digital où s’enchevêtrent les offres des faussaires, des parallélistes, des marchands d’occasion ou des margoulins de tout poil…
••• COMMISSION PARTAGÉE À 50/50 ET CONDITIONS DE PAIEMENT
Comment fonctionne cette initiative de e-commerce horloger ? Sur des bases aussi simples que possible, mais dans le cadre d’un e-contrat qui crée une nouvelle catégorie de détaillants : les « Digital Authorized Dealers (logo officiel ci-dessus).
• Les DAD les plus avancées en termes de e-commerce peuvent s’appuyer sur Bell & Ross pour créer leur propre module de vente en ligne sur leur site (s’ils en disposent déjà). Ils vendent les montres de leur propre stock, assurent la livraison au client et sont rémunérés sur la base d’une commission désormais partagée à 50/50 entre la marque et son détaillant. Si le DAD n’a pas une pièce en stock, il peut néanmoins la vendre en ligne, mais par l’intermédiaire de Bell & Ross (la livraison restant à sa charge). Seule obligation pour les futurs DAD : un engagement à proposer la totalité du stock et à maintenir les commandes au niveau d'avant la digitalisation.
• Les DAD encore peu rôdés au commerce en ligne peuvent mettre en place un outil qui reroutera les demandes – de façon transparente pour l’amateur – vers le propre site de e-commerce de Bell & Ross, dans des conditions de livraison et de facturation sensiblement équivalentes au cas précédent : il s’agit ici d’accompagner la marque dans sa maturation digitale.
• Bell & Ross propose aux amateurs qui ne souhaitent pas passer par l’intermédiaire d’un DAD une vente directe en ligne, la livraison pouvant se faire soit directement, soit par un détaillant choisi par l’amateur (dans ce cas, le DAD sera rémunéré).
Estimation : à ce jour, sur les 350 détaillants européens de la marque, seule une moitié ont un site Internet (30 % ne sont pas du tout présents sur le web), mais à peine 10 % disposent d’un site de e-commerce et 1 % pratiquent la vente en ligne de montres Bell & Ross. L’initiative de la marque devrait accroître cette digitalisation globale du réseau, jusqu’à représenter un chiffre d’affaires supplémentaire de 5 % de l’activité actuelle de la marque (estimation pour 2010). Il est évident que l’actuel positionnement prix de Bell & Ross (prix moyen autour de 3 000-5 000 euros) facilite l’acte d’achat en ligne.
Il est évident que, dans un premier temps, c'est le catalogue des accessoires (bracelets, objets divers) qui bénéficiera le plus de cette vente en ligne, mais on peut parier que, dans un an ou deux, Bell & Ross aura développer tout un environnement de nouveaux produits relatifs aux temps : sans aller jusqu'aux décors aéronautiques chers à la marque, on pourrait imaginer des blousons d'aviateur, des bagages « professionnels » ou des gadgets « paramilitaires »...
••• RACCOURCI OU ACCÉLÉRATION ?
Ouverture officielle le 1er décembre, avec une autre innovation de taille : la mise en place, pour certains pays et pour les détaillants qui le souhaitent, de formules de financement de type crédit gratuit sur un an, les frais financiers de l’opération étant co-supportés par la marque et par le détaillant concerné.
Les premières réactions du réseau à la mise en place de ce canal parallèle semblent plutôt encourageantes. Pour les primo-accédants à la vente en ligne, l’initiative de Bell & Ross est un raccourci efficace et rapide vers les virtualités commerciales du web. Pour les professionnels déjà aguerris à ces réalités, c’est un élargissement profitable – à court terme – de leur périmètre de séduction d’une nouvelle tranche de clientèle.
••• C’EST UN SECRET DE POLICHINELLE AUQUEL BUSINESS MONTRES faisait récemment allusion : au moins une dizaine de marques ont développé des modules de e-commerce pour leurs propres montre, mais aucune ne voulait prendre la responsabilité de briser le tabou du e-commerce par peur des réactions négatives de détaillants déjà nettement déstabilisés par la crise. On avait déjà vu, ici et là, sur tel ou tel continent, pour quelques montres bien sélectionnées ou quelques détaillants, des initiatives de e-commerce officielles assumées. Aucune marque horlogère n’avait cependant pris le risque de mettre en ligne la totalité de son catalogue. Bell & Ross en pionnier : on serait tenté de dire que c’est un des traits de l’identité de la marque, qui confirme ainsi sa volonté de « faire bouger les lignes ».
• Bell & Ross prend ici ses concurrents de vitesse, mais la réaction en chaîne est inévitable d’ici à Baselworld. C’est là que l’effet de surprise et la volonté d’être le premier peuvent handicaper Bell & Ross : les concurrents suivants disposeront de fonctionnalités électroniques sans doute plus attractives que l’actuel proposition de e-commerce de la marque, toujours axée sur une logique fiche produit-bon de commande. Business Montres évoquait récemment l’impact des réalités augmentées sur la communication on-line : dès les logiciels de tracking de poignet seront opérationnels (on attend les premiers à Bâle), l’achat en ligne sera déconnecté du problème que pose l’essai physique de la montre. Pour rester vraiment séduisante et garder une longueur d’avance, la proposition de Bell & Ross devra intégrer au plus vite ce type de fonctionnalités, à commencer par le plus élémentaire configurateur en 3D, à présent proposé par plusieurs marques.
• Enfin, on ne peut pas s’empêcher de voir dans cette initiative de Bell & Ross le symbole des mutations profondes qui attendent la distribution horlogère, déjà minée de l’intérieur par la multiplication des boutiques des marques et fragilisée par le rapport de forces défavorable – pour ne pas dire le chantage – que celles-ci imposent à leurs Authorized Dealers physiques.
• En organisant son débarquement sur le terrain du e-commerce, Bell & Ross s’appuie sur son réseau (comment faire autrement ?), mais il s’agit aussi, au-delà du chiffre d’affaires additionnel et des différents avantages de la formule, d’« apprendre le métier digital ». Une fois les arcanes de ce métier bien décodées, une fois prise l’habitude de fréquenter en direct le client final, une fois acté le basculement définitif de la planète luxe sur le web, la marque se posera forcément la question de l’intérêt de démultiplier cette offre en ligne à travers les ramifications d’un réseau. Il semblera alors bien plus simple de consolider l’offre centrale et de rapatrier le trafic vers une offre unique encore mieux maîtrisée et vers des outils conversationnels et communicationnels plus mobilisants…
• En attendant, rendez-vous le 1er décembre pour les premières montres de luxe officiellement vendues en ligne par une marque horlogère (excluons Boucheron, maison joaillière, de ce classement). C’est un grand pas en avant dans la stratégie de digitalisation de l’horlogerie et dans l’ambition d’offrir aux amateurs d’aujourd’hui des services en ligne dont ils ont déjà l’habitude pour d’autres catégories de produits : depuis le temps que Business Montres explique, étude après étude, que les clients du luxe sont surconsommateurs de sites et de e-commerce, il était temps… |