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Beaucoup plus nettement que lors des éditions précédentes, Belles Montres a donné cette année dans un registre à l'évidence « plus proche, plus humain ».
Ce qui prouve à quel point les valeurs de l’horlogerie ont été bousculées par la crise
Ce qui démontre aussi que les valeurs du nouveau luxe commencent à percer...
••• MIEUX QU’UN SALON, UNE FÊTE DE FAMILLE À NE MANQUER SOUS AUCUN PRÉTEXTE
En trois ans, Alain Faust aura réussi son pari : imposer dans la capitale française le salon horloger de référence qui lui manquait. Même si toutes les métropoles européennes se mettent à l’heure des salons grand public (Londres, Vienne, Munich, entre autres), le fait d’avoir imposé Belles Montres comme un rendez-vous impossible à manquer – pour les marques comme pour les amateurs – est en soi un grand succès pour Paris, qui méritait un salon pour les montres de prestige.
On peut tirer plusieurs leçons de cette édition 2009, première vraie édition d’une crise à laquelle personne ne croyait encore l’année dernière :
• Belles Montres n’est pas un salon où il s’agit de montrer sa marque, mais un lieu où on présente ses montres. Nuance de taille, qui a pénalisé ceux qui n’ont pas compris cette règle du jeu : priorité aux montres et non à l’expression de la grandeur et du prestige de la marque. Participer à Belles Montres, c’est en soi un brevet de prestige horloger : inutile d’en rajouter.
• Belles Montres est un salon ouvert au grand public, dont les stands ne sont ni des boutiques, ni des espaces commerciaux : autant y oublier les réflexes classiques de fermeture et de création d’un espace clos. La clé reste la circulation en liberté : inutile de contraindre l’accès au stand et prière de dégager les espaces de circulation à l’intérieur. Les marques qui ont fait l’effort de travailler dans ce sens n’ont pu que s’en féliciter. Ceux qui ont barré l’entrée de vitrines et encombré l’intérieur de grands bureaux étaient hors sujet...
• Le concept même de vitrine est en train d’évoluer : Belles Montres a donné la prime aux vitrines plus basses (hauteur de nombril ou de poitrine), qui se posent sous les yeux des amateurs et non plus en face et autour desquelles on peut circuler. Ce n’est plus aux consommateurs de lever les yeux vers les stars des vitrines, mais c’est à celles-ci de se découvrir sous leur regard. C’est subtil, mais ça condamne à peu près toutes les vitrines actuelles, d’ailleurs inchangées depuis le XIXe siècle. C’est encore mieux avec un peu de technologie, comme le concept Raptor (escamotable) qu’on pouvait revoir sur le stand Hublot. En tout ca, prime aux vitrines basses : Jaquet Doz avait créé le choc l’année dernière et les marques qui l’ont compris cette année avaient tout juste (Cartier, JeanRichard entre autres). Du coup, les stands très ouverts mais avec des vitrines hautes (Richard Mille, Panerai notamment) fonctionnaient moins bien...
• Tout ce salon sonnait tout de même très nouvelle génération et on y sentait souffler l’esprit d’une autre horlogerie, qu’elle s’exprime dans le néo-classicisme ou dans les révolutions mécaniques en cours. Les montres des années 2010 seront tout sauf banales, et tout sauf identiques à celles de la fin du XXe siècle !
••• MEILLEURES IDÉES D’ORGANISATION
Les plantes vertes dépolluantes de Green Factory, inattendues dans un salon de prestige, étaient on ne peut plus justifiées, de même que l’espace de repos disposé autour : il aurait fallu aller plus loin dans l’aménagement même de cet espace en regroupant au centre du salon – « Plus proche, plus humain » – le dispositif de convivialité : redonner la priorité à l’amateur plus qu’à la marque, ce n’est pas reléguer le bistrot sur les côtés, c’est, au contraire, reconstituer un forum ou une agora au centre du salon. Bonne idée aussi que l’espace Elie Bleu, mais on peut aller plus loin dans les autres « objets du temps » (remontoirs, etc.). L’équipe d’Alain faust a tiré un remarquable parti d’un espace plus ramassé, plus cohérent que la scission en deux salles de l’année dernière. Exposition magistrale de la Fondation de la Haute horlogerie, affluence chez Christies et ateliers horlogers très appréciés : il était difficile cette année de ne pas se faire plaisir, sans la moindre pressions marchance...
••• PLUS BEAU STAND
Cartier, qui a tiré les leçons de son « bide » en 2008, pour revenir avec une proposition qui a prouvé que la marque avait tout compris. L’année dernière, belle esthétique, mais totale erreur de casting, avec un stand hérissé de branchages qui le faisait ressembler à un kraal zoulou. Erreur de concept avec d’immenses vitrines ringardes et une accumulation de montres qui faisaient plus penser au Grand Bazar d’Istambul qu’à la rue de la Paix. Cette année, une sélection très serrée de pièces exceptionnelles, soit joaillières, soit horlogères. De montres autour desquelles on pouvait tourner pour les admirer : une pièce par alvéole, avec. Des notices didactiques elles aussi aussi simples qu’explicatives. Une volonté d’ouverture mentale et physique marquée par la conception même de la circulation dans cet espace Cartier. Pas la moindre arrogance, mais une démonstration d’intelligence tactique et de repositionnement tout en finesse sur ses propres codes (manifestement, Cartier avait correctement lu le commentaire de Business Montres à ce sujet, le 2 décembre dernier, et bien compris le message).
••• MEILLEUR NOUVEAU VENU
Rolex, bien sûr, qui a compris d’emblée à quel point l’idée même de salon horloger avait mûri dans les esprits. Pas d’espace pharaonique, une sobriété de bon goût dans la décoration et une accessibilité totale aux produits : carton plein pour un premier débarquement à Belles Montres. Les amateurs étaient heureux d’une telle proximité avec les montres, sans le décor réfrigérant, ni le cérémonial paralysant des boutiques Rolex. Les montres étaien bien choisies pour une population d’amateurs moins portés sur le bling-bling que les habituels clients exotiques. Rolex « plus proche, plus humain » : c’est une forme de révolution culturelle ! Les responsables de Rolex présents sur place étaient eux aussi tout surpris de se trouver au contact direct avec des clients ou des amateurs qu’ils ne connaissent pas vraiment, leur réseau de distribution faisant généralement écran...
••• MEILLEURS NOUVEAUX INDÉPENDANTS
Confrérie horlogère, qui s’est offert un grand stand pour sa première apparition et dont chaque vitrine abritait un trésor, et H. Moser & Cie, qui vient de confier à Romain Réa sa distribution sur Paris : deux espaces très ouverts, qui ont révélé aux amateurs des pièces horlogères encore jamais vues sur le marché français.
••• PLUS FORTE INTENSITÉ CRÉATIVE
La désormais célèbre « allée des Petits Suisses » (concept apprécié par Business Montres dès l’origine) a prouvé une fois de plus qu’un tel salon doit laisser beaucoup de place aux jeunes créateurs. D’autant qu’on sortait cette année du seul cadre helvéto-suisse pour trouver un jeune horloger indépendant français, un Finlandais, un Anglais, un Néerlandais, un Espagnol et quelques autres. Un vrai bonheur pour une nouvelle horlogerie qui fusait dans toutes les directions : les amateurs français ne se sont pas fait prier pour regarder, toucher, essayer et commenter. Mêmes élans sur les autres îlots d’indépendance créative (le pôle Hautlence-Cabestan et quelques autres, Fabrication de montres normandes, etc.). Quel goût aurait eu Belles Montres 2009 sans ce renfort (ne serait-ce que numérique) des marques de nouvelle génération, dont le nombre a permis d’esquiver le débat sur les marques qui avaient fait défection ?
••• MEILLEUR COUP D’AIGUILLE
Celui de l’équipe de Jean-Claude Perrin (Atelier du bracelet parisien), aussi heureux de retrouver « son » public que celui-ci l’était de retrouver « son » établi, ses peaux et son savoir-faire : une adéquation totale entre l’esprit de cet Atelier et celui de Belles Montres, qui explique le succès d’affluence autour de ces tables qui débordaient de galuchat (il y avait même une raie naturalisée), de dépouilles de crapauds à pustules dorées et d’alligators aux nuances magnifiques...
••• MEILLEURE BONNE HUMEUR PAR LA COULEUR
Alain Silberstein, forcément, avec ses iKrono à déclinaisons multiples et à bracelets interchangeables : le vétéran de la nouvelle génération n’a rien perdu de son enthousiasme et les nouvelles marques (MB&F pour la superbe HM N° 2.2) commencent à lui rendre un hommage dont on comprend, au vu de cette iKrono, qu’il n’est en rien un enterrement. Décidément, l’horlogerie française se porte bien (voir ci-dessous)...
••• MEILLEUR COCORICO
Celui des horlogers français qui ont créé leur mouvement : ils étaient là tous les trois (BRM, Viot, Fabrication de montres normandes) et ils ont vraiment suscité la curiosité des amateurs, secrètement fiers de ce sursaut tricolore face à l’impérialisme helvétique.
••• MEILLEURE BONNE NOUVELLE
L’annonce par Alain Faust d’une déclinaison de Belles Montres au Brésil (Sao Paolo, en septembre prochain) et probablement en Italie (Milan) : on n’abandonne pas une idée qui gagne. Seul souci : la maturation interne des « grandes » marques et leur sensibilité à ces nouveaux concepts de salons grand public (voir ci-dessous l’erreur stratégique des marques qui avaient décidé de ne pas venir).
••• PEUT MIEUX FAIRE (CÔTÉ ORGANISATION)
On aurait aimé une extension des surfaces d’expression artistique : Stéphanie Guglielmetti a sauvé l’honneur avec quelques nouveaux objets du temps, mais d’autres artistes ont leur place à Belles Montres (ci-dessus, l'extraordinaire Robe de Haute Horlogerie créée par Stéphanie Guglielmetti à partir de cadrans de montres). De même, la librairie était réduite à la portion congrue, alors qu’il y a un vrai intérêt de la part du public (le chiffre d’affaires de Watchprint en témoigne) et de belles animations à concevoir autour du livre horloger. On peut regretter la disparition de la garderie, qui aurait permis à quelques papas d’avoir le bras moins encombrés...
••• PROPOSITIONS HORS-SUJET
Hermès a refait cette année la même erreur qu’en 2008 : une sorte de sas d’entrée, qui s’avère psychologiquement et physiquement dissuasif dès qu’il y a plus d’une poignée de visiteurs dans la forteresse : comme, en plus, il n’y avait rien de bien excitant dans les vitrines intérieures, beaucoup d’amateurs ont malheureusement manqué la démonstration de savoir-faire proposée par Hermès (la réalisation d’une horloge de table). Même erreur pour Jaeger-LeCoultre, dont le stand en cul-de-sac ne permettait pas de profiter de l’Hybris Mecanica : au lieu de pouvoir tourner autour de l’établi qui présentait cette complication, tout l’espace semblait disposé pour en bloquer l’accès !
••• ERREURS STRATÉGIQUES
Les marques qui n’étaient pas là, celles du groupe LVMH (hormis Hublot) ou celles du Swatch Group (pas une seule !), mais aussi quelques absences inexplicables chez Richemont (IWC, notamment) : le morning brief de lundi matin sera douloureux pour quelques patrons de marque, qui n’ont rien compris à l’intérêt stratégique de Belles Montres, ni à l’esprit de cette fête de famille, qu’il ne fallait surtout pas aborder en calculant le ROI ! Les absents ont toujours tort, surtout à une heure où la clé stratégique pour les marques est le contact direct avec le client final...
••• CONTRIBUTION SUPERFLUE
On aurait pu oublier le partenariat avec Porsche : peut-être que ça faisait chic il y a deux ou trois ans, mais les limousines ne s’imposent absolument plus dans un tel salon. Sauf si c’est pour l’ouvrir aux passions périphériques à l’horlogerie (voitures, vins, art de vivre), mais on déborde là du concept Belles Montres pour entrer dans celui du Top Marques. Ce qui ne serait pas illégitime, mais c’est un autre débat. Reste l’inutilité d’une proposition automobile (au demeurant sous-exploitée pour ce qui est de se rendre dans les boutiques), à moins qu'il ne s’agisse d’exposer un vrai partenariat montre-voiture...
••• ET « BUSINESS MONTRES », DANS TOUT ÇA ?
Business Montres est, depuis la première maquette du premier projet d’Alain Faust, un soutien tellement naturel de Belles Montres qu’il n’y a aucune justification à en rajouter par un stand, un comptoir ou un quelconque institutionnalisation sur place de ce soutien. Business Montres n’avait donc qu’une priorité : être au salon, avec tous les amateurs, et prendre la température des attentes du marché, qu’on parle des professionnels ou des amoureux de la montre. Pas de fête de famille sans Business Montres en liberté dans les allées (on reverra bientôt le « franc-tireur des salon horlogers » et ses échos de Genève et de Bâle), mais merci tout de même à Alain Faust pour nous avoir proposé un espace qui était de toute façon plus utile à une marque (en 2008, Business Montres avait cédé son stand à Cabestan, qui faisait là sa première apparition sur le marché français !)...
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