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Ce n’est pas tant le problème de TAG Heuer, qui n’en peut mais et qui doit attendre patiemment la fin de l’orage, que celui de toutes les marques engagées dans le celebrity marketing : que faire quand l’icône dégringole de son piédestal ?
••• LES « TRANSGRESSIONS » QUI TIENNENT LE TIGRE EN LAISSE
Pour TAG Heuer, la pratique des « ambassadeurs » est gravée dans la double hélice de l’ADN de la marque. On peut cependant noter une récente inflexion dans la stratégie, avec la disparition progressive de nombreuses célébrités exotiques, à l’exception de Shah Rukh Khan, [une sorte d’Alain Delon indien à la puissance 10] et de Leonardo diCaprio – ce qui est déjà pas mal. Côté sportif, un peu de ménage a été fait, mais il restait l’icône absolue : Tiger Woods.
Ce dernier, 33 ans, vient de voir sa réputation – jusque-là nickel chrome – écornée à la suite d’un accident de voiture causé par des ennuis domestiques, à l’issue desquels il a dû confesser quelques « transgressions » extra-conjugales. Péché véniel en zone européenne [encore que ça le soit de moins en moins, même en France ou en Italie !], mais faute lourde sur le territoire nord-américain.
Officiellement, les sponsors de Tiger Woods – le premier sportif de l’histoire à avoir encaissé plus d’un milliard de dollars en gains dérivés – le soutiennent sans broncher et continuent leurs campagnes de publicité le mettant en scène (TAG Heuer et Accenture, dans la presse américaine de ces derniers jours). Officiellement, pas question de renoncer aux gains d’image générés par le sportif le plus populaire de la planète et le plus connu dans le monde, même loin des fairways.
Officieusement, c’est une autre paire de manches ! Nike n’a pas cru devoir publier moins de trois communiqués pour réaffirmer son soutien à Tiger Woods : autant dire que cela n’allait pas de soi. Officieusement, TAG Heuer s’est refusé à tout commentaire – ce qui pourrait passer pour un commentaire ! Officieusement, les marques qui ont intégré Tiger Woods dans leur communication ne peuvent pas ne pas se poser de questions sur un champion éclaboussé par une faute morale personnelle, autrement plus difficile à effacer médiatiquement qu’un incident de parcours professionnel.
Tout aussi officieusement, il paraît évident que « quelqu’un » a conseillé à Tiger Woods de tenter un désamorçage médiatique de cet accident de voiture qui s’annonçait comme une bombe capable de ravager son image : ce « quelqu’un » – un spin doctor à l’américaine – a forcément pris en compte les intérêts des sponsors dans la confession que personne n’attendait (ni ne réclamait) des « transgressions » extra-maritales du champion de golf. Le « Tigre » est désormais en laisse, et elle est maintenant tenue très courte...
On tombe là au cœur du dossier brûlant et controversé qu’est devenu le celebrity marketing. Les réactions du public à la pratique des « ambassadeurs » sont de plus en plus contrastées selon les marchés : si les néo-consommateurs de pays émergents sont encore très sensibles à l’argument de la star prescriptrice, le modèle ne fonctionne plus vraiment aux Etats-Unis et plus du tout dans les pays de vieille culture marketing (Europe occidentale et notamment en France, où c’est plutôt le « jeu de massacre » anti-célébrités qui l’emporte). Si un « ambassadeur » de prestige peut faire gagner quelques années de notoriété à une marque de montres, ce raccourci peut se révéler fatal pour une marque de prestige surexposée aux risques inhérents à cette personnalité.
D’autant que les facteurs de risques ne manquent pas, le sociopolitiquement correct étendant son emprise dans les médias et l’opinion publique : on peut aujourd’hui fauter contre l’écologiquement correct [même Rolls-Royce fait des voitures électriques pour calmer la conscience des super-riches], contre le sanitairement correct [fumer en public s’avère ravageur, surtout si ce n’est pas du tabac], contre le politiquement correct [les tabous ne manquent pas], contre le caritativement correct [qui n’a pas sa « grande cause » devient suspect !], contre le familialement correct [Tiger Woods vient d’en subir l’épreuve... sans autre preuve que sa confession] ou même tout simplement contre le socio-médiatiquement correct [terrain de jeu où on peut trébucher à chaque pas, dans sa vie privée comme dans sa vie publique]...
Le cas de Tiger Woods est exemplaire : champion inoxydable et imbattable sur le terrain, il était un porte-parole idéal du fait même de son inaltérabilité. Cette affair ne va sans doute pas ruiner la réputation du golfeur, juste l’effriter et rendre plus difficile la tâche de ses sponsors : quand Accenture parle, dans ses publicités avec Tiger Woods, de la « route vers la haute performance qui n’est pas toujours pavée », tout le monde ricane en pensant à l’accident de voiture qui a tout déclenché. Certains mots seront désormais ravageurs...
Toujours à propos du « Tigre » et compte tenu du contexte américain, toujours très puritain à ce sujet, on peut imaginer ce que ce « coup de canif » extra-conjugal aurait causé comme dommages si le groupe Rolex — si puissant aux Etats-Unis ! – était resté lié à Tiger Woods, comme c'était le cas via Tudor avant que TAG Heuer ne reprenne le contrat...
Un Tiger Woods n’est pas qu’un sportif et il n’est pas qu’un mari. Il est devenu beaucoup plus que cela : un symbole international à haute intensité communicationnelle. Il se pose en « marque commerciale » et il a donc lui aussi des responsabilités en tant que « marque-repère » sur un marché : « What are you made of ? », se demandait-il avec TAG Heuer. A un milliard de dollars le premier accroc, on peut se poser la question...
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