|
Premier épisode d’une série de coups d’œildans le rétroviseur 2009 : distribution des prix, des médailles d’honneur et des bonnets d’âne.
Pas de souci, il y en aura pour tout le monde !
On commence par les mots qu’il vaudrait mieux rayer de son vocabulaire (ordre alphabétique)...
1)
••• CRISE
C’est bon, on a déjà donné, passons à autre chose ! Il aura fallu une bonne année (septembre 2008-septembre 2009) pour que la branche horlogère admette la réalité d’une crise niée en fin 2008 et camouflée sous des annonces de reprise tout au long de 2009. On est en crise et on n’en sortira pas de sitôt : cette situation crisiale est donc aujourd’hui la « norme » du marché, inutile d’en rajouter. D’autant qu’il est illusoire de compter, à court ou moyen terme, sur un retour à la normale, qui serait celui des niveaux d’activité d’avant 2008, 2007 ou 2006. C’est cette surchauffe qui était anormale et qui marquait la Bulle Epoque : on ne regonflera plus cette « bulle » horlogère née d’un abus de crédits douteux et d’une globalisation mal comprise. Le tout est maintenant de savoir si nous vivons, avec la récession actuelle des marchés, une maladie sénile du « capitalisme consumériste » ou une maladie infantile du reploiement de l’économie dans la « coopétition » et la participation (Business Montres des 3 et 4 décembre, ainsi que du 5 novembre dernier)...
2)
••• E-COMMERCE
Pourquoi, parce que vous croyez encore à un commerce qui ne serait pas aussi et surtout en ligne ? L’horlogerie n’échappera pas à son destin, qui est celui de toutes les industries post-modernes : Internet est devenu le pôle autour duquel s’organisent les flux commerciaux périphériques. Donc, inutile de parler de e-commerce, puisque c’est déjà là que ça se passe et que ça va forcément se passer. Comment, vous n’avez pas encore votre module de e-commerce ? Ne le répétez pas à personne et copiez vite celui de Bell & Ross, première marque à avoir revendiqué son passage intégral en ligne : de toute façon, vos concurrents y sont déjà ou s’apprêtent à s’y lancer...
3)
••• GENEVE
Qu’est-ce qu’une « capitale internationale de la haute horlogerie » qui ne dispose même pas d’un modeste musée d’horlogerie ? Arrêtons de nous gargariser avec un nom qui ne signifie plus rien : il suffit pour le vérifier de se promener dans la rue du Rhône, artère théoriquement réputée pour ses alignements de boutiques horlogères, mais surtout remarquable par les excavations de ses travaux publics incessants, sa chaussée éventrée en permanence par des pelleteuses garées n’importe où devant les vitrines et le mépris dans lequel les autorités de la ville semblent tenir ses marques de luxe. Soyons précis : quelle est la légitimité d’un Poinçon de Genève réduit à trois marques du groupe Richemont (Cartier, Vacheron Constantin, Roger Dubuis) ? Autant parler du Poinçon Richemont ! Soyons réalistes : le Grand Prix d’Horlogerie de Genève est-il autre chose que le Grand prix municipal des marques Richemont ? Inutile d’insister : la reine Genève est nue ; mieux vaudrait qu’elle enfile des habits neufs...
4)
••• HAUTE HORLOGERIE, TRADITION, SAVOIR-FAIRE, HÉRITAGE, Etc.
Le bric-à-brac de la communication passe-partout a transformé ces belles notions en infâme bouillie pour les chats : plus personne n’y croit, à part les Chinois qui en abusent dans leur plans marketing pour classes terminales. Qu’est-ce donc que la « basse horlogerie » ? Et la « haute » : par rapport à qui, à quoi, à quand ? Qu’est-ce qu’une échelle qui n’aurait que des barreaux supérieurs, à part un piège à cons ? Ou un brancard ? A force de vouloir toujours monter plus haut, on se prend pour Icare et les ailes se délitent au soleil : il faudrait rendre l’analyse du mythe d’Icare obligatoire dans les mastères de marketing horloger (ci-dessus : l'Icare de Matisse). La mutation radicale des paradigmes horlogers a démonétisé tous les mots-dérapages d’une vulgate sémantique désormais totalement obsolète. Il va falloir trouver autre chose que ces vocables incantatoires, qui évoquent aujourd’hui le culte du cargo dans les tribus mélanésiennes : la pensée magique tient lieu de culture et le mimétisme de lien créatif (phénomène aggravé par la pratique rituelle du karaoké médiatique : on psalmodie les textes d'un autre sur la musique d'un autre)...
5)
••• LUXE, LUXURY, LUXUS, LUJO, LUSSO, LUXUSSZALLODA, LUXO, Etc.
Sauf si c’est pour l’écrire 豪華, Роскошные, إترف, 豪華な, Πολυτελή, لوکس, לוקסוס ou Розкішні. Bref, il faut maintenant considérer que le « luxe » tel que les Européens l’ont inventé et diffusé à travers le monde n’a plus aucun sens sur son terroir d’origine, et que ce mot-valise [Sonia Rykiel chez H&M, c’est du luxe ?] est même devenu dangereux par son ambivalence teintée de bling-bling, pétrie de madofferies et dégoulinante d’argent trop facilement ou trop mal acquis. Prétendre à ce statut est le meilleur moyen de prouver qu’on ne le possède pas. Redéfinissons l’essence de ce qui faisait la gloire du luxe à l’européenne et laissons les marchés émergents se repaître provisoirement de cette quincaillerie qui évoque la verroterie de l’ancien commerce de traite...
6)
••• MANUFACTURE
N’en jetez plus, la cour horlogère est pleine de ces « manufactures » cantonnées à un vague atelier (dans le meilleur des cas) et de ces mouvement « in-house » livrés sous blister après avoir été achetés sur étagères ! Que de « manufactures » sans le moindre copeau et de bureaux paysagés rebaptisés à la hâte « centre de R&D », mais qui n’ont de calibres en construction que sur les affiches apposées sur les murs. L’imposture suffisante ne paie plus : elle se révèle plus ravageuse pour l’image de marque qu’une saine humilité ou qu’un prudent silence. Nouvelle règle du jeu : il y a toujours un blogueur capable de vérifier que le colis vient d’arriver de Shenzhen ou qu’on travaille activement sur ce calibre chez Christophe Claret...
7)
••• PARTENARIAT
Ne répétez plus jamais ce mot à vos fournisseurs : même dans le cercueil où ils ont été expédiés par les marques, certains vous retourneraient un coup de pied ! Le « partenariat » est la nouvelle tarte à la crène du baratin B to B. Le verbiage managérial et les illusions lyriques sur le « partenariat » entre marques et prestataires ont volé en éclats aux premiers grondements de tonnerre de la crise : commandes annulées par un simple mail, interlocuteurs aux abonnés absents, cost killers qui renégocient prix et délais déjà largement sousfacturés, nouveaux contrats léonins qui ne laissent que les yeux pour pleurer et les traites des machines à rembourser. Sans parler des équipes à licencier alors qu’elles avaient été redimensionnées dans le cadre d’un « partenariat » les yeux dans les yeux. Inutile d’en rajouter dans l’évocation de la plus inacceptable des goujateries, trop de fournisseurs ont déjà payé les pots cassés par le manque absolu d’anticipation et de sang-froid des marques. On pourrait en dire autant sur le chantage au surstockage pratiqué chez les détaillants dont on assèche volontairement la trésorerie pour leur assouplir l’échine. Vous avez dit « partenaires » ? J’avais cru comprendre « prolétaires » ! Bientôt réfractaires ?
8)
••• SUPPLÉMENT HORLOGER
Franchement, à part vous et votre dir’com’, qui peut croire aux tirages pharamineux annoncés par les éditeurs de ces suppléments ? A part vous deux, qui accorde du crédit aux millions de visiteurs annoncés sur les sites Internet : + 30 % de fréquentation 2009/2008 quand les ventes plongent de 30 %, bizarre, non ? Qui mise un centime (suisse) sur l’avenir d’une presse spécialisée qui ne se réformerait pas en profondeur, en rompant avec sa perfusion publicitaire, son alignement éditorial sur la communication des marques et son tragique dévoiement dans les advertoriaux qui ne se donnent même plus la peine de se présenter comme tels ? Experts en décodage rédactionnel, les amateurs évolués ont depuis longtemps compris. Restent les néo-consommateurs émergents, toujours avides de pipoleries tarifiées et de « bombasses » photoshoppées : on peut parier qu’ils n’en ont plus pour longtemps à comprendre l’arnaque [ceux qui auraient des doutes n’ont qu’à suivre le parcours des créateurs de Revolution, à Singapour]...
9)
••• SWISS MADE
Que d’agitations et d’hystérie autour des projets confédéraux relatifs au Swiss Made ! Et quels résultats dérisoires que ceux d’un projet qui verra les fromages (80 % de « matière première » suisse) moins bien protégés que les montres (60 % du prix de revient, c qui autorise toutes les tricheries) : on aura compris que le lobby du gruyère est plus malin que celui de la montre ! Là encore, un peu de réalisme : le Swiss Made horloger n’aura de sens et ne sera respecté par les amateurs du monde entier que s’il va plus loin que la loi-passoire fédérale et que s’il est strictement respecté, sanctions à l’appui. Faute de pouvoir réformer facilement le Swissness du fait des lourdeurs bureaucratiques générées par les accords internationaux de la Suisse, il faut plutôt le surmonter pour sortir de ce débat par le haut : un nouveau label horloger 100 % et authentiquement suisse devrait faire partie des chantiers prioritaires de la FH. Mais y a-t-elle vraiment intérêt ? That is THE question...
10)
••• TOURBILLON
Et mode, elle a vécu ce que vivent les modes, l’espace d’un lustre : le tout-à-l’égo marleting – « Moi aussi, j’ai mon tourbillon » – n’aura guère duré plus de cinq ans et on manufacture désormais chaque année plus de tourbillons qu’on n’en avait jamais fabriqué entre son invention par Abraham-Louis Breguet et sa réinvention par Audemars Piguet, un peu moins de deux siècles plus tard. Disposer d’un tourbillon dans son catalogue ne signifie plus rien pour une marque, sinon qu’elle manque d’imagination. Il en faut au minimum deux, voire trois ou quatre, sur un cadran pour prétendre sortir du lit, mais l’idéal reste d’associer ce tourbillon à une autre complication (une répétition minutes, un chronographe, des rouages verticaux, une machine à café...) : tout sauf l’ennui d’un tourbillon solitaire !
••• IL Y AURAIT SANS DOUTE BEAUCOUP D’AUTRES MOTS à bannir de notre vocabulaire en 2010, mais nous aurons l’occasion d’y revenir tout au long de l’année...
À SUIVRE, DANS LES JOURS QUI VIENNENT,
UNE SÉRIE À NE PAS MANQUER
POUR BIEN COMMENCER L'ANNÉE 2010...
• Les 10 meilleures montres de nouvelle génération pour 2009...
• Les 10 ratages les plus monumentaux de l’année 2009...
• Les 10 hommes de l’année horlogère 2009...
• Les 10 montres dont on aurait pu se passer en 2009...
• Les 10 montres (néo)classiques de l’année 2009...
• Les 10 mensonges et promesses non tenues de 2009...
• Les 10 mots-clés à retenir de 2009...
• Les 10 nouvelles marques à surveiller en 2010...
• Etc...
|