|
Idées reçues, bullshit, intox, mensonges délibérés, forfanteries marketing et n’importe quoi : plus c’est gros, plus ça passe.
Encore que ça passe de moins en moins bien, comme on a pu le vérifier dans l’affaire Seiko-TAG Heuer !
Echantillon non exhaustif de quelques-unes (pas toutes !) des plus belles perles de l’année, sans citer personne pour ne pas faire de peine aux CEO fatigués dont on admettra qu’ils se donnent souvent du mal pour exercer leur ministère de la parole...
1)
••• « JE SENS QUE LES AFFAIRES REPRENNENT »
« C’est la fin de la crise et la reprise est pour demain matin, le mois prochain, cet été, cet automne, la fin de l’année, le début 2010 (rayez les mentions inutiles). On a tout entendu, surtout de la part de ceux qui avaient commencé par nier l’existence de la crise. On n’est donc pas obligés de les croire quand ils annoncent une reprise imminente. Bien entendu, le marché se reprend sporadiquement, plutôt ici (Grande Chine) que là (Etats-Unis) et plutôt mal (Europe) que bien (Corée), mais jamais de façon consistante et homogène. La grande erreur aura été de faire croire, dans un premier temps, que ce n’était qu’une dépression passagère qui n’allait rien changer, puis que l’horlogerie allait échapper à la récession mondiale, puis que ce n’était qu’un accident conjoncturel dont on se remettrait vite, puis que tout était en place pour une reprise rapide. Il est plutôt vraisemblable que l’horlogerie sortira de la crise après les autres secteurs de l’économie et qu’elle en sortira en plus mauvais état que ces autres secteurs, faute d’avoir fait son auto-critique et d’avoir tiré les leçons de ce qui lui arrivait...
2)
••• « FINALEMENT, NOUS ALLONS FAIRE UNE BONNE ANNÉE 2009 »
« Nous avons battu des records en 2008 et j’ai l’intuition que nous ferons mieux en 2009 » : dans l’esprit des déclarations immortelles de l’Himalaya de la pensée horlogère, d’autres managers ont tenté d’acclimater la méthode Coué en terrain horloger. Malheureusement pour eux, les paroles s’oublient, mais les écrits restent très longtemps sur les sites : le florilège des bêtises proférées en 2009 mériterait à lui seul un mémorial Internet ! A quelques exceptions, toutes les marques ont sérieusement plongé sur le marché américain, et d’autant plus fort qu’elles y étaient plus exposées : combien l’avouent lucidement ? Combien admettent – à part quelques pionniers, comme Jean-Claude Biver (Hublot), ou des grands réalistes, comme Bruno Meier (Rolex) – qu’elles ont pu fléchir en 2009 et que ce n’est pas forcément gagné d'avance pour 2010. Indice le plus flagrant de mauvaise foi : l’argumentation positivement segmentée – « J’ai particulièrement bien vendu telle série dans tel pays », ce qui peut se révéler exact, mais comme la série en question ne représente que 10 % des volumes sur un petit marché, c’est déployer un rideau de fumée sur les 90 % qui restent dans les grands marchés... La profession a plus que jamais un besoin dramatique d’instruments de navigation plus fiables que les seules statistiques douanières, qui ne disent rien de la situation réelle dans les boutiques et dans l’esprit des consommateurs. Pour l’instant, côté Suisse, le secret horloger résiste autrement mieux que le secret bancaire, mais Business Montres a remis en chantier son Top 200 marques, dont la publication avait fait scandale en décembre 2006 : c’était la première fois qu’on osait publier un classement – non autorisé ! – des marques avec leur chiffre d’affaires annuel et leur volume de production (publication programmée aux alentours de Baselworld)...
3)
••• « MOI, ÇA VA ENCORE, MAIS QU’EST-CE QUE MES CONCURRENTS DÉGUSTENT ! »
« J’ai réussi à limiter la casse parce que j’avais anticipé la crise, mais, malheureusement, mes concurrents font déprimer les détaillants ! » Mon œil... Quasiment personne n’avait anticipé la crise, ou du moins voulu l’admettre, même si certains réduisaient la voilure en douce en constatant que plus rien ne sortait dans les boutiques alors que les vitrines regorgeaient des montres. Ceci posé, certains modèles de certaines marques ont évidemment performé sur certains marchés pour certaines gammes de prix. Pas de quoi donner une idée réaliste de la totalité d’une activité et pas de quoi pavoiser non plus face aux concurrents. A quoi servent ces messages faussement positifs adressés aux réseaux ou à la presse, sinon à décrédibiliser celui qui les tient ? On rassure tout au plus certains analystes financiers, mais on déboussole les acteurs de la branche en les berçant de faux espoirs. Ce type d’affirmation est d’autant moins risqué qu’il existe de multiples artifices gestionnaires pour maquiller les comptes officiels et que personne ne publie vraiment ses comptes – surtout depuis le déclenchement de la crise. Admettons donc une fois pour toutes qu’on peut se trouver un peu (beaucoup) au-dessus ou un (beaucoup) au-dessous de la moyenne du plongeon statistiques des exportations : une chute de 25 % à 30 % sur près d’un an, indice global de performance et non reflet réel de ce qui se passe sur le terrain. On demande à voir, preuves à l’appui, les marques qui auraient sincèrement égalé en 2009 leurs chiffres réels de 2008...
4)
••• « LES GRANDES MARQUES VONT MIEUX S’EN TIRER QUE LES PETITS INDÉPENDANTS »
« La crise va remettre l’église au milieu du village et les consommateurs vont revenir vers les marques dignes de confiance ». Sauf que le village est bombardé et qu’il a fallu évacuer d’urgence une partie de ceux qui se pensaient à l’abri dans l’église en question... La vérité est que tout le monde est touché – même Rolex, même Patek Philippe ! – dès lors que les amateurs de montres ne font plus confiance aux marques en tant que marques (repères sur un marché) et qu’ils se fient plus à leurs émotions et au bruit de fond médiatique qu’à la langue de bois stéréotypées des discours corporate. La fable selon laquelle les petits meurent quand les gros maigrissent n’est vraie qu’à très court terme et pour les très petits déjà très maigres, mais, à moyen terme, au printemps, les petits qui se seront mis en quasi-hibernation se réveilleront alertes et amincis, alors que les gros se traîneront, diminués et languissants. La souffrance est collective, mais les blessures individuelles : si les grandes marques ne meurent que très rarement [tout comme les petites, d’ailleurs, qui trouvent toujours un repreneur !], elles peuvent mettre des années à guérir leurs plaies...
5)
••• « L’HORLOGERIE EST UNE INDUSTRIE À L’ÉPREUVE DES CRISES »
« Les montres sont des produits intemporels et indépendant des modes, en même temp qu’une valeur-refuge dans l’esprit des consommateurs ». C’est le message « patrimonial » que les marques auraient voulu faire passer auprès des amateurs, mais il s’est trouvé disqualifié par la pratique éhontée des déstockages privés, des enchères en chute libre pour les pièces de série courante et des discomptes sauvages pratiqués par la distribution. On n’est pas crisis-proof quand on encaisse de plein fouet l’effondrement de la consommation à crédit, les vaches maigres des années sans bonus et la dépression des économies trop endettées (Dubai, Islande, Californie, Espagne, etc.). L’horlogerie est une activité cyclique, qui alterne « bulles » et récession, et qui est capable de retomber d’autant plus bas qu’elle était montée très haut. Le brevet de survivant des crises précédentes est d’autant moins une garantie de sagesse que ces crises n’étaient plus, depuis la révolution du quartz, que des ajustements conjoncturels : on aura noté, depuis un an, la prudence ophidienne des « grands anciens » (Nicolas Hayek, Franco Cologni, entre autres) qui sont de vrais rescapés et qui connaissent le vrai prix à payer pour toute recomposition du marché. Même en admettant (ce qui est loin d’être prouvé) que cette crise est moins grave que celle du quartz, le séisme a été d’une brutalité inusitée : c’est peut-être justement, parce que l’horlogerie est – contrairement à cet axiome de protection surnaturelle – une industrie encore plus exposée que les autres aux convulsions profondes des économies capitalistes...
6)
••• « IL SUFFIT D’ATTENDRE QUE LA BULLE SE REGONFLE »
« Une fois que les marchés auront retrouvé leur sang-froid, les mesures de relance éconoique permettront de renouer avec la prospérité ». Les bulles ne se regonflent jamais. Elles renaissent, ailleurs, sur d’autres valeurs et autour de nouveaux enjeux spéculatifs. La Bulle Epoque était celle du crédit facile et du redimensionnement économique des industries qui profitaient de la mondialisation – en particulier les métiers du luxe, exposés à une prolifération soudaine et mal anticipée de clients « émergents ». Il a fallu produire pour eux, au prix d’une surchauffe que certains ont pris comme une bénédiction divine après des années de galère : les conquérants de ce nouveau paysage de cocagne n’en revenaient pas d’une telle pompe aspirante pour les montres de luxe. A cette diastole correspond une réplique systolique tout aussi exagérée, mais parfaitement destructrice des acquis précédents. Inutile, donc, d’attendre un quelconque « retour à la normale », d’autant plus illusoire que la « norme » précédente – les taux de croissance des années 2005-2008 – était précisément anormale. Il va falloir se (re)faire à l’idée que l’horlogerie est une industrie de taille très moyenne, aux profits toujours incertains en dépit d’une forte valeur ajoutée sociéto-statutaire, et qu’elle est configurée pour des artisans modestes et des « auteurs-compositeurs » de montres plus que pour des tycoons aux dents trop aiguisées. Ce qu’il faut regonfler, ce n’est pas la bulle, c’est le moral de ceux qui voient s’effondrer leurs rêves d’empires internationaux : qui leur dira que les plus belles aventures commencent maintenant, parce que tout est à réinventer à une échelle plus humaine, mais terriblement plus excitante ?
7)
••• « ON AURA TOUJOURS BESOIN DE DÉTAILLANTS HORLOGERS »
« Les marques ne peuvent pas se passer d’une réseau de proximité pour distribuer leurs montres et elles n’ont pas le moyens de quadriller un territoire ». C’est à peu près le raisonnement que se tenaient les marchands d’avoine et les maîtres d’écurie quand sont apparues les premières automobiles et les premières pompes à essence. Dans un monde où l’heure est disponible partout sur des objets nomades, les montres ont perdu leur fonctionnalité quotidienne : les boutiques de montres sont tout sauf indispensables dans le paysage urbain, à moins d’y créer des espaces originaux, permanents ou éphémères. Les amateurs attendent des lieux d’expérience de la marque et de ses concepts, avec des événements ponctuels liés aux thématiques du temps, de la création, de l’artisanat d’art et du rupturisme esthétique. Ce qui nous entraîne loin de nos chers HBJO de père en fils ! Pas besoin de boutique pour acheter une montre : Internet suffit. En revanche, pour l’essayer, la passer au poignet et vivre une expérience d’immersion dans les valeurs dont cette montre est environnée, une boutique de marque suffit, même si elle est à deux heures de voiture. Comme il ne s’agit pas d’une quête indispensable à la survie quotidienne, on se réinsère là dans le registre d’un néo-tourisme du luxe, du réenchantement somptuaire et du culte de soi. Ce qui ne laisse pas beaucoup de place entre les points de vente Louis Pion dans les grands magasins et les boutiques des marques stratégiquement regroupée dans les « rues à fric » ou les malls les plus emblématiques de la planète. Contrepartie : c’est justement parce que les détaillants – devenus de simples « pousseurs de cartons – ne sont plus indispensables qu’ils doivent à nouveau se rendre indispensables aux amateurs, en leur proposant une autre approche de la montre et une autre proximité avec des marques qui auraient choisi de pas s’exposer dans des boutiques comme les autres. Quel fantastique défi que la redéfinition du métier d’enchanteur horloger !
8)
••• « JE VOUS PRÉSENTE MON NOUVEAU MOUVEMENT MANUFACTURE »
« Il a été entièrement conçu et développé en interne, 100 % in-house, et il est entièrement réalisé dans notre manufacture ». La presse a bien voulu croire, pendant des années, à ces ateliers sans copeaux et à ces bureaux techniques sans constructeur CAO. Avec Internet, ça ne passe plus et il y a toujours un expert (ou un concurrent) qui comprend mieux que les journalistes de quoi il s’agit vraiment. La cible de la communication horlogère a changé : les nouveaux relais d’opinion sanctionnent au prix fort les « bugs de communication » (Jean-Christophe Babin). Du temps du one to many, l’information circulait du journaliste-expert vers un public à initier : discours d'autorité et de connivence obligée avec les marques (publicités obligent). A l’ère du many to many (web 2.0 dans lequel chacun est la fois émetteur et récepteur), on s’adresse à une communauté d’amateurs ou de professionnels, c’est-à-dire à un cerveau collectif doté par Internet d’une capacité de réaction instantanée et de bases de données illimitées. Plus question donc de négliger et encore moins de mépriser la nouvelle opinion publique qui se structure sur les réseaux sociaux, les sites communautaires ou les forums spécialisés. Personne ne regrettera vraiment l’ère du n’importe quoi péremptoire, de la langue de bois préformatée et des discours convenus : les marques sont désormais surexposées en permanence et elles s’avèrent hyper-sensibles à la moindre bavure. Les manufactures qui n’en sont pas vont devoir se justifier de leurs prétentions. Les calibres « 100 % in-house » vont devoir présenter leur arbre généalogique. Le temps des CEO qui dessinent des montres sur leurs tables de nuit, qui poussent la lime dans la matinée et la chansonnette en soirée, est sans doute révolu. François de Sales, saint patron de la publicité et des médias, priez pour nous !
9)
••• « LES CONSOMMATEURS VEULENT DES MONTRES, PAS DES JOUETS »
« Il faut en revenir au classique, réduire les tailles, arrêter avec tous ces détails inutiles. Trois aiguilles sinon rien ! » Cette incantation rassurante à vocation autoréalisatrice ne semble se confirmer ni dans les boutiques, ni dans les catalogues : il suffisait de compter le nombre impressionnant de montres de nouvelle génération (néo-rupturistes ou néo-classiques) dans la sélection finale du Grand Prix d’Horlogerie de Genève ou du prix Montres de l’année ! Si les amateurs veulent quelque chose, ce sont plutôt des montres qui réenchantent les heures – plus classiques que classiques ou plus folles que folles – et qui expriment quelque chose de fort, d’original et de cohérent. Projet qui ne passe sans doute plus par les trois-aiguilles rondes de la génération précédente : grandes et petites marques, jeunes créateurs indépendants et maisons de tradition doivent aujourd’hui se réinventer en permanence. Le clivage entre « montre » et « jouet » est artificiel : une belle montre est aussi un objet ludique, tandis que les « jouets de garçon » doivent aussi être de superbes pièces horlogères. Le vrai critère qui distingue l’horlogerie d’hier et celle de demain, c’est celui de la valeur ajoutée créative – indépendante de la taille ou de l’ancienneté de la marque – et du regard nouveau qui est porté sur les montres de la post-modernité. Le reste relève du positionnement marketing et de l’habillage sémantique. Seule certitude : il est certain que les amateurs n’aimeront pas plus, demain, des montres d’hier dont ils ne veulent déjà plus aujourd’hui (Business Montres du 10 décembre)...
10)
••• « JE CONTRÔLE MES STOCKS ET JE NE VENDS RIEN SUR LES RÉSEAUX PARALLÈLES »
« Au pire, je me débarrasse de vieux “rossignols“ et d’erreurs de production auprès de recycleurs spécialisés » : moyennant quoi le marché gris est saturé et les officines parallèles n’en peuvent plus tellement elles sont gavées de stocks de montres neuves (boîte-papiers) des collections les plus récentes (celles qu’ont trouve encore chez les revendeurs autorisés). L’idée que ces déstockeurs ne se contenteraient que de « rossignols » déclassés fait rire tout le monde : c’est seulement le pourcentage de vraies pièces neuves par rapport aux pièces sacrifiées qui fait la différence entre eux (ils fonctionnent à l'identique : en moyenne, il faut compter 20 à 25 montres de la collection en cours pour 75 à 80 montres de collections précédentes). Ces stocks écoulés par les intermédiaires parallèles sont excellents pour les statistiques suisses, qui les prennent en compte comme des ventes normales, mais leurs prix écrasés font baisser la valeur globale des exportations horlogères. Côté clients, les plus naïfs découvrent à peine qu’il est toujours possible de trouver une montre de n’importe quelle marque, grande ou petite, chez les parallélistes qui ont pignon sur rue ou sur le Net. Les plus malins connaissent les filières où c’est encore moins cher que le discompte déjà pratiqué par les casseurs de prix : on voit même des revendeurs autorisés s’approvisionner à meilleur prix chez les déstockeurs officiels plutôt qu’auprès des marques...
À SUIVRE, DANS LES JOURS QUI VIENNENT, UNE SÉRIE À NE PAS MANQUER POUR BIEN COMMENCER L'ANNÉE 2010...
• Les 10 mots qu’il ne faudrait plus utiliser en 2010... (7 décembre)
• La femme et les 9-10 hommes de l’année 2009... (8 décembre)
• Les 10 ratages les plus monumentaux de l’année 2009... (9 décembre)
• Les 10 mots-clés des vrais changements survenus en 2009... (10 décembre)
• Les 10 coups de coeur pas très rationnels de 2009...
• Les 10 meilleures montres de nouvelle génération pour 2009...
• Les 10 concepts virtuels les plus amusants de 2009...
• Les 10 montres dont on aurait pu se passer en 2009...
• Les 10 montres (néo)classiques de l’année 2009...
• Les 10 meilleures nouvelles marques de 2009...
• Les 10 nouvelles marques à surveiller en 2010...
• Etc... (ordre d'apparition à l'écran non contractuel et non garanti)
|