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Nicolas Hayek a soufflé vendredi un vent glacial sur l’industrie horlogère suisse. Dans une interview à notre confrère L’agefi, le président de Swatch Group annonce qu’il entend cesser toute production et livraison à des sociétés extérieures à son entreprise. «Le processus est en préparation», affirme Nicolas Hayek, dont la «volonté est ferme». Tout au plus envisage-t-il de continuer à fournir «sous certaines conditions les quelques clients fidèles, sérieux, historiques»…
Ces déclarations n’ont rien d’un simple coup de gueule, puisque le fondateur de Swatch Group assure que «toute une équipe» planche sur la question, «avec des spécialistes avérés». Une fois tous les arguments en main, le but avoué est d’en discuter avec la Commission de la concurrence (Comco), qui devra finalement décider si le plus gros fournisseur helvétique de pièces et de mouvements peut cesser d’alimenter ses rivaux.
C’est un euphémisme de dire que la responsabilité des gardiens du libre marché sera énorme. Car si Swatch Group et sa filiale ETA mettent réellement leur menace à exécution, l’ensemble des quelque 450 marques horlogères que compte le pays – les exceptions se comptent sur les doigts de la main – en subiront des répercussions. Les entités qui se contentent d’assembler avec une poignée de collaborateurs des pièces et mouvements en provenance des sociétés du Swatch Group pourraient tout simplement mettre la clé sous le paillasson. Et il y en a foison. En gros, seuls quelques leaders, au premier rang desquels figurent Rolex et Patek Philippe, peuvent prétendre à une production autonome de la quasi-totalité de leurs pièces. Et encore. L’autarcie totale n’existe pas hors du Swatch Group.
De nombreux concurrents ont certes investi ces dernières années pour développer leur appareil industriel. Des indépendants autrefois uniquement assembleurs, comme le chaux-de-fonnier Sellita, ont développé des calibres maison. Les inaugurations de manufacture se sont multipliées ces dernières années. Mais au final, sous le sceau de l’anonymat, la plupart des patrons horlogers reconnaissent franchement qu’ils ne pourront pas se passer de Swatch Group à la fin 2010.
Publiquement, il est pourtant vrai que leur communication laisse le plus souvent entendre qu’ils sont autonomes. Quelle société horlogère en vue ne prétend pas avoir sa propre manufacture? C’est parfois vrai, mais en général cette dernière ne produit – ou ne produira à terme – qu’une fraction des composants dont ont besoin ces entreprises. Or «tous disent être capables de produire seuls», ironise Nicolas Hayek dans L’agefi.
C’est la preuve que les temps ont changé. La Comco devra en tout cas réanalyser à fond les tenants et aboutissants de la situation. On se rappelle qu’en 2004, cette autorité avait estimé que la firme avait bel et bien dépassé la ligne rouge, deux ans plus tôt, lorsqu’elle avait annoncé à sa clientèle qu’elle entendait abandonner totalement la livraison d’ébauches dès le 1er janvier 2006. Plusieurs assembleurs avaient recouru contre cette décision et le gendarme de la concurrence avait finalement porté cette date butoir à la fin 2010. Tout en tenant compte que Swatch Group s’engageait à fournir les tiers en mouvements complets.
A une année de ce qui devait déjà être un «big bang» Nicolas Hayek ne cache pas que sa «ferme volonté» de couper totalement les vivres aux sociétés rivales qui s’abreuvent à la mamelle de Swatch Group dépend de «la loi suisse». Compte tenu de la position toujours centrale de la firme biennoise dans la branche, on peut fortement présumer que la Comco accordera une période transitoire à la branche, même si elle adhère aux vues du numéro un mondial. Les fabricants de montres n’auront toutefois aucune alternative à l’investissement à marche forcée. Alors que leur volume d’affaires vient de s’effondrer de 25% en dix mois.
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