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10 janvier 1747 : naissance à Neuchâtel d’un certain Abraham Louis Breguet (1747-1823).
263 ans bougies plus tard, reste une interrogation plutôt essentielle : horloger français ou horloger suisse, ce diable de Breguet ?
••• PLUS QU'UN HORLOGER FRANÇAIS...
La notion de nationalité n’avait guère de sens à l’époque d’Abraham Louis Breguet et elle était tout aussi relative et contingente qu’elle peut l’être aujourd’hui dans l’espace unifié européen. Né à Neuchâtel il y a 263 ans, Breguet était de fait... prussien, puisque la ville de Neuchâtel était possession du roi de Prusse depuis 1707 (elle ne rejoindra la Confédération qu’en 1814). Breguet, horloger prussien ? Soyons réalistes...
La famille Breguet, neuchâteloise et originaire des Verrières (une commune du Val-de-Travers où passe la frontière avec la France), était d’origine française et appartenait à cette vague de réfugiés huguenots passés côté suisse pour préserver leur liberté religieuse. Ce qui vaudra à Breguet de redevenir français en 1790, quand l’édit royal du 15 décembre 1790 redonnera la nationalité française aux exilés protestants.
Tout d'abord apprenti-horloger chez son père, dans le Val-de-Travers, Abraham Louis Breguet se formera à l’horlogerie à Versailles, où il va rester dix ans avant de fonder, en 1775, à Paris, la maison d’horlogerie qui porte son nom. Il sera reconnu maître-horloger à Paris en 1784.
Sous la Révolution française, ce fournisseur des cours royales européennes se réfugie en Suisse pour échapper aux premiers troubles : il émigre – terme qui situe le caractère provisoire de cet éloignement des troubles parisiens et qui sous-entend que Breguet conserve la nationalité française qu’il a acquis et qui lui permettra de revenir à Paris dès 1792. Il va continuer à fournir des montres aux plus grands savants, mais aussi à toutes les élites socio-économiques et politiques de son temps, dans toute l’Europe.
••• ...UN HORLOGER TRÈS EUROPÉEN
Passons rapidement sur sa carrière d’horloger-prodige, bien connu des lecteurs de Business Montres (montres perpétuelles, tourbillon, chronographe, « pare-chute », spiral plat, montres hyper-compliquées comme la Marie-Antoinette, etc.).
Horloger de la Marine (française) à la mort de Berthoud, Breguet sera membre du Bureau des longitudes, puis chevalier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie des sciences par ordonnance royale de 1816. Il meurt à Paris en septembre 1823 et il est enterré au cimetière parisien du Père-Lachaise, où son buste de bronze veille toujours sur le caveau familial (image ci-dessus).
Difficile de faire plus français que ce « Suisse de papier », non ? Les arguments sur sa suissitude demeurent très minces, mais l'affaire Sarton-Perrelet prouve amplement à quel point les historiens de l'horlogerie (généralement suisses) adorent tirer la couverture à eux, et sans vergogne...
Il faut bien admettre que ce cher Abraham Louis Breguet, qu’on peut sans craindre qualifier d’horloger le plus génial de toute l’histoire des arts du temps, est avant tout un grand Européen, qui ne relève du génie français que pour mieux en souligner l’universalité et dont le référent suisse n’est qu’un rappel subliminal de ces vallées péri-lémaniques qui ont vu naître et renaître ad libitum des générations d’artisans spécialisés dans les mécaniques qui disent l’heure.
Sans vouloir refaire ici la bataille d’un Swiss Made de plus en plus évanescent, il faut admettre qu’Abraham Louis Breguet (qui n'est pas même « suisse » à 50 %, selon les propres codes de la Fédération horlogère) n’est guère qu’un des premiers de ces très nombreux Français qui – aujourd’hui comme hier – illustrent de leur talent, sinon de leur génie, et irriguent de leur travail les beaux-arts de la montre « à la suisse ». |