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BNB en faillite: Les rêves fracassés de Mathias Buttet
 
Le 18-01-2010
de Business Montres & Joaillerie

Fin définitive de la partie pour BNB, dont la faillite devrait être prononcée dans les jours qui viennent.

Raison officielle : manque de cash.

Explication : endettement excessif et factures impayées par les clients à sec.

Un grave revers personnel pour Mathias Buttet, qui avait rêvé trop vite, trop haut et trop fort.

La disparition de BNB crée un mini-séisme qui laissera des cicatrices dans l’univers impitoyable de la haute horlogerie créative.

Attention aux répliques et à l'effet domino !



••• CASH BURNING OUTRANCIER

C'était, le et ce sera le buzz le plus buzzant de ce début des salons pour Genève 2010, avec une série de noms de repreneurs potentiels en forme de Who's Who horlo-helvétique : on a ainsi parlé d'Ernesto Bertarelli, de Pierre-Alain Blum (ex-Ebel) et de quelques autres autres, dont des néo-milliardaires asiatiques, mais mais tous ont calé dans la dernière ligne droite.

Début novembre, Mathias Buttet avait senti le vent du boulet : dévoilée alors par Business Montres, une première restructuration d’urgence l’avait contraint à licencer 60 personnes sur 150 au sein de BNB Concept. Une purge nécessaire, mais pas suffisante pour permettre à l’entreprise d’échapper à une superposition de maladies infantiles, souvent mortelles en temps de crise, surtout quand elles se cumulent :

• Des frais de fonctionnement disproportionnés pour les revenus réels de la structure (on parle aujourd’hui d’une dette de plus de 3 millions de francs suisses auprès des organismes sociaux), avec une masse salariale écrasant, l’amortissement très lourd d’un siège social et le financement d’un parc machines sans doute surdimensionné.

• Des impayés clients de plus en plus ingérables, les « petites marques » indépendantes qui achetaient leurs complications chez BNB rechignant à honorer leurs commandes sous des prétextes tantôt crédibles, tantôt fantaisistes [dès qu’il s’agit de ne pas payer pour défaut de trésorerie, les pièces exceptionnelles qui marchaient si bien dans les salons où elles étaient présentées, admirées par tous et même commandées deviennent soudain des rossignols brut de décoffrage absolument inexploitables...].

• Une mésentente grandissante – devenu inévitable en temps de crise – avec le fonds d’investissement qui avait financé la croissance échevelée de BNB et qui se trouvait lui-même en difficulté, du fait de son propre « lâchage » par sa holding de référence, la banque d’affaires Natexis : comme Mathias Buttet, EPF Partners a eu les yeux plus gros que les ventes (c’est du classique dans la vie des affaires !), mais ce private equity a surtout prouvé une méconnaissance totale – et stupéfiante à ce niveau de management financier – de la culture et des rythmes horlogers. Alors que les banques suisses (UBS et BCGE) assuraient ces derniers mois le dépannage en tentant de trouver des solutions ou des partenaires, l’intransigeance d’EPF et sa rigidité pour recouvrer l’intégralité de la dizaine de millions déjà investis ont dissuadé beaucoup de monde. Moyennant quoi, EPF Partners perdra dans la faillite tout son capital : on a connu plus malin et plus profitable comme stratégie !

Bref, plus un sou dans la caisse fin décembre, des banques lassées qui refusent brutalement de faire la « soudure », des salaires de fin d’année impayés, une situation de trésorerie inextricable (6 à 7 millions de créances horlogères impayées) et la nécessité d’injecter tout de suite une grosse dizaine de millions pour sauver l’entreprise – sachant qu’il faudra une dizaine d’autres pour qu’elle ait définitivement la tête hors de l’eau.


••• FUITE EN AVANT MANAGÉRIALE

En se voyant contraint de mettre lui-même la clé sous la porte (sa responsabilité d’administrateur est engagée), Mathias Buttet encaisse évidemment un grave revers personnel : c’était sa manufacture (en 2007, il s’était séparé de N et de B, Michel Navas et Enrico Barbasini) et elle fonctionnait avec sa boîte à idées, selon ses méthodes de management et sous son seul contrôle.

Sans vouloir reprendre ici les « erreurs tactiques » pointées du doigt par Business Montres le 10 novembre dernier, il est évident que les mêmes causes ont produit les mêmes effets : on ne change pas en deux mois un modèle économique condamné !

• « Il a rêvé d’une boîte à outils industrielle à la hauteur de ses ambitions horlogères (qui ne sont pas minces) pour mettre en scène, en forme et en musique sa vision de la montre contemporaine. Il a rêvé d’un phalanstère micro-mécanique et d’un kibboutz aussi socialement avancé que techniquement innovant : avec ces 60 licenciements, il se prend le râteau dans le nez ». Sauf que, désormais, ce n’est plus un râteau dans le nez, mais un tremblement de terre sous les pieds. Il va pouvoir compter ses amis, et il n’est pas certain qu’il en trouve beaucoup, entre les moralisateurs du « Je-vous-l’avais-bien-dit » et les rétro-prophètes du « Ça-ne-pouvait-pas-finir-autrement », les jaloux, les pleutres et les débiteurs honteux...

• « Logique perverse du « bigger is better » : plus on bâtit grand, plus il faut ratisser large, produire beaucoup et vendre cher à davantage des clients, à propos desquels on est de moins en moins regardant. En augmentant la complexité d’un système, on en accroît les rigidités et on en exacerbe les fragilités. On perd en flexibilité ce qu’on pense gagner en réactivité. La verticalisation à tout prix trouve ici ses limites : quand on veut faire voler un supersonique Concorde à l’âge d’easyJet, il faut bien 40 % de sacrifiés pour payer la note d’une sorte de fuite en avant managériale ». Sauf que les banques ont brutalement mis un coup d’arrêt définitif – et sans doute justifié – à cette fuite en avant.

Retour à la case départ : le parc machines, même bradé, se vendra très mal (le suréquipement endémique rend aujourd’hui les machines d’occasion plus chères que les neuves discomptées) et ne financera qu’une partie de la dette sociale. Les salaires en retard vont être payées par la caisse de compensation (c’est une des justifications de la mise en faillite accélérée), mais les équipes vont se disperser. Dès le 25 janvier, les mouvements déjà fabriqués seront soit livrés aux marques qui les paieront plein pot au liquidateur (plus question du laxisme traditionnel de l’industrie), soit reversés à la masse de faillite et dispersées ultérieurement au plus offrant. Même perspective pour les droits intellectuels sur les projets en cours.

Pas de quoi pavoiser avec cette destruction de la manufacture de complications la plus créative de toute l’histoire horlogère (depuis Abraham Louis Breguet), mais on réalise, a posteriori, que la logique volontairement artisanale de Michel Navas et Enrico Barbasini (qui ont remonté entre-temps la Fabrique du Temps, à Meyrin) l’emporte sur la logique industrielle de Mathias Buttet, qui trouvera cette pilule un peu amère...


••• SÉISME STRUCTUREL ET CULTUREL

Au-delà du cas personnel de Mathias Buttet, qui reste un extraordinaire chef de commando, mais qui s’est bêtement pris pour un général de division (chacun son métier et sa spécialité), et avec le drame collectif que représente la liquidation de toute équipe professionnelle, c’est tout le dispositif actuel de la haute horlogerie qui se trouve ébranlé par la faillite de BNB.

• Plusieurs marques se trouvent désormais privées des nouveautés qu’elles comptaient présenter en ce moment pendant les salons de Genève 2010 ou à Baselworld : le liquidateur n’aura pas la mansuétude de l’équipe BNB et ne délivrera rien sans que les fonds correspondants ne soient encaissés. Autant dire que, par ces temps de disette pour les trésoreries, beaucoup vont faire une croix sur les commandes qu’ils anticipaient sur la foi de créations fracassantes...

• Pour certaines marques, c’est une double catastrophe : plus de mouvements disponibles en cas de besoin (donc plus de livraisons, ni de paiements à encaisser) et pas plus de facilités de caisse pour s’en procurer de nouveaux. Par effet domino, plusieurs d’entre elles ne s’en relèveront pas : inutile de citer les noms maintenant, ils apparaîtront bien assez tôt dans les actualités du Quotidien des Montres...

• Pour d’autres marques, c’est la garantie de nouveaux soucis, le liquidateur ayant pour mission de « presser le citron » [au nom de tous les créanciers] et donc de faire rentrer un maximum de cash tout de suite : pour tous ceux qui avaient des dettes chez BNB, il va falloir gérer la file d’attente à l’Office des poursuites et devant les tribunaux...

• Pour les détaillants, il va devenir très difficile d’expliquer aux clients que le SAV des mouvements les plus innovants est garanti : en cas d’incident, qui réparera demain le tourbillon Quantum Gravity de Concord (image ci-dessus) ou la Clé du Temps de la Confrérie horlogère, deuxième résultat en termes de prix aux enchères d’Only Watch 2009 ? La perte de confiance est la rançon inévitable de cette défaillance de BNB...

• Pour toutes les marques indépendantes qui tiraient avantage de leur créativité « Motorized by BNB », c’est un coup dur et une décrédibilisation de fait de leurs innovations. C’est toute la « nouvelle génération » horlogère qui se trouve frappée à travers la manufacture de mouvements qui en symbolisait les avancées et les coups d’audace. Et c’est d’autant plus dommage que le plan de charge de BNB prévoyait, pour les année à venir, un véritable feu d’artifices de complications toutes plus amusantes les unes que les autres. On ne peut s’empêcher de penser qu’un coup de frein collectif suivra le crash et qu’un hiver créatif menace la haute horlogerie, dont les marques les plus frileuses peuvent à présent se flatter de leur rassurant classicisme...

• Enfin, on ne peut exclure un coup de Jarnac asiatique : à la faveur de cette faillite, n’importe quel investisseur des rives du Pacifique peut réaliser l’intérêt stratégique qu’il aurait à s’offrir une manufacture 100 % Swiss Made, déjà entièrement équipée (machines, bureau d'études, mouvements, boîtiers, etc.) et assise sur un portefeuille clients qui n’est plus ce qu’il était, mais qui a tout de même de beaux restes. Celui qui offre le plus l’emporte face au liquidateur : l’annonce de cette faillite de BNB le premier jour de Genève 2010 ne peut que donner des idées aux plus hardis...


••• « GAME OVER » POUR MATHIAS BUTTET ?

L’avenir n’est écrit nulle part, mais on imagine mal Mathias Buttet et sa garde rapprochée (confrères ou autres) faire de la chaise longue en se désintéressant de leur passion pour les montres créatives. Au-delà des blessures, qu’il faudra bien panser (surtout celles d’amour-propre), la communauté horlogère ne peut que souhaiter un « Game over » aussi rapide que possible pour cette équipe déjantée qui a fait rêver tout le monde et qu’il faudra bien un jour reconstituer pour une nouvelle renaissance horlogère dans les années dix.

A condition, toutefois, que les leçons de cet échec soient tirées. On découvre malheureusement, à l’orée d’une éventuelle sortie de crise en 2010, que beaucoup n’ont rien admis, rien compris et rien appris du terrible coup de matraque de la fin 2008 : encore estourbis, ils ne demandent qu’à renouer avec les splendeurs illusoires de la Bulle Epoque...

• Prière de ne plus se tromper de métier : aux industriels du mouvement l’industrialisation de mouvements pas cher à produire et faciles à vendre ; aux artisans de génie les petites séries de mouvements géniaux et de complications artisanales.

• Prière de ne plus se tromper de casting : aux entrepreneurs innovants, les start-ups créatives ; aux managers expérimentés les logiques gestionnaires ; l’horlogerie aux horlogers et la trésorerie aux trésoriers !

• Prière de ne plus se tromper de règle du jeu en mélangeant les scénarios : aux manufactures de haut de gamme, l’anonymat et les coulisses de l’exploit ; aux marques, les sunlights de l’actualité et les lauriers de la gloire...


••• MORALITÉ ÉPHÉMÈRE ET RÉVISABLE : « Les endorphines de la crise ont dopé la lucidité d’un Mathias Buttet, plus que jamais conscient des faiblesses de sa boîte à outils, mais aussi plus que jamais décidé à concevoir et à réaliser les montres dont on reparlera encore dans des décennies », écrivait Business Montres le 10 novembre dernier.

Si ça pouvait être vrai ! Ce serait le seul acquis positif d'une faillite qui s'annonce spectaculaire dans ses effets secondaires...

 



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