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L’« affaire BNB » aura été un des sujets de conversation majeurs pendant Genève 2010.
Alors que la mise en faillite officielle de l’entreprise devait intervenir ce matin, rien n’est sans doute encore perdu de cette aventure qui a révolutionné la haute horlogerie créative...
••• UNE LIQUIDATION À N’IMPORTE QUEL PRIX AU PROFIT DE N’IMPORTE QUI
Comme le rapportait Business Montres ce 25 janvier, il va y avoir un embouteillage dans le bureau du juge chargé d’administrer la faillite de BNB (révélation Business Montres du 17 janvier dernier). Tous les repreneurs possibles contactés avant l’annonce de cette faillite ont préféré repousser leur offre après ce lundi et la déclaration officielle de faillite par le juge.
Quelques marques ont été tentées de jouer la montre pour récupérer leurs propres mouvements. Alors que certains patrons horlogers ont fait le déplacement jusqu’à la manufacture de Duillier pour sauver (espèces sonnantes et trébuchantes à l’appui : c’était notamment le cas de Jean-Claude Biver) les calibres déjà terminés et les assortiments réalisés, d’autres ont cyniquement misé sur le rachat à bas prix de leur stock auprès du liquidateur. Ce qui prouve une incroyable méconnaissance des procédures suisses concernant les faillites et ce qui risque de les mettre dans un difficulté d’approvisionnement encore plus grave après qu’avant la faillite : tout risque de partir entre les mains de n’importe qui et à n’importe quel prix !
Un état des lieux pour ceux qui peuvent dès maintenant faire une offre de rachat « à la casse » :
• L’outil industriel est représenté par une manufacture (largement hypothéquée) et un parc machines impressionnant, mais qui appartient aux banques qui ont accepté de le financer en leasing. En plus, la surabondance sur le marché de ces machines diminue considérablement leur valeur marchande.
• Le patrimoine « intellectuel » de BNB (droits de propriété sur les mouvements et les concepts) est d’autant plus aléatoire qu’il est soumis au bon vouloir de l’ancienne direction (Mathias Buttet) et à la qualité d’une équipe que rien n’oblige désormais à rester dans l’entreprise. Soit la valeur d’une « coquille vide » une fois la manufacture BNB vidée de sa substance par le départ du seul maître à bord et de ses fidèles (déjà « chassés » en vue d’être recrutés par les grandes marques dont ils réalisaient les mouvements).
• Reste un actif immatériel impondérable : l’image de marque BNB, forgée par des années de « coups » de communication (innovations, concepts, Confrérie horlogère, Only Watch) et plus connue dans le monde entier que n’importe quelle autre manufacture de complications. Qui d'autre que BNB aurait pu concevoir pour Only Watch cette Clé du temps (image ci-dessus) ? Ce capital esthétique vaut très cher...
• Le fonds de private equity EPF est de toute façon « refait » de ses millions (3, 4 ou 5 en CHF ?) investis dans BNB : au lieu de perdre un peu en sauvant l’entreprise, ils auront tout perdu par pusillanimité. Encore un haut fait d’armes des financiers myopes !
••• UNE SOLUTION SUISSE POUR LIMITER LES DÉGÂTS ?
Les grands groupes et les fournisseurs un peu soucieux de stratégie ne peuvent se désintéresser du dossier BNB. C’est un peu comme si Renaud Papi (Audemars Piguet) arrivait sur le marché : tant chez Richemont que chez LVMH, PPR ou Swatch Group, on ne pourrait que regarder cette occasion à saisir ! Les tentations asiatiques suscitées autour de BNB avant la mise en faillite ne sont pas non plus à négliger : quel groupe venu de la Grande Asie ne rêverait de faire son nid dans une base Swiss Made installée au cœur de l’arc horloger ?
Au vu de l’état des lieux ci-dessus, un non-initié jetterait l’éponge. Avec une connaissance plus fine du terrain et une bonne vision à moyen terme, le tableau est plus prometteur...
Solution possible (qui aurait forcément l’agrément des autorités cantonales, soucieuses d’emploi) : toute initiative qui préserverait la situation des personnels, aujourd’hui durement touchés par la faillite et toujours en attente d’une partie de leurs salaires. Une initiative locale (genevoise ou vaudoise) serait préférable, surtout si elle est présentée par un acteur de bonne réputation, capable de garantir les emplois. Une initiative qui protègerait le « cœur battant créatif » de ce qu’était la manufacture BNB serait encore plus intelligente : il faut sauver le soldat Buttet et son commando !
On peut donc s’attendre à quelques surenchères dans les semaines à venir : on découvrira alors que l’« outil BNB » n’est pas aussi pourri que l’estimaient les repreneurs qui faisaient la moue avant la faillite en espérant tout racheter au poids du métal...
••• UNE AFFAIRE MADOFF POUR LA HAUTE HORLOGERIE ?
C’est pourquoi on ne peut plus raconter n’importe quoi à propos de BNB. D’une part, c’est un part de la crédibilité de la haute horlogerie créative suisse qui se joue autour de cette manufacture : BNB a poussé le bouchon très loin, mais en créant un effet d’entraînement qui a cristallisé la grande révolution horlogère des années zéro-zéro. Discréditer en bloc l’homme, son équipe et sa maison ne servirait à rien, sinon à se tirer une balle hélvétique dans le pied romand.
En même temps, il faut savoir écouter les « grands anciens » de l’horlogerie. Surtout quand ils préfèrent ne rien dire. C’était un sujet de disputes entre Business Montres et notre ami Gabriel Tortella (Tribune des Arts), dont on a pu remarquer le silence éloquent à propos de BNB. Pas un commentaire dans ses articles, depuis des années. Il évoquait en privé une sorte de vaste captation de ressources et il n’hésite pas aujourd’hui à parler – opinion souvent reprise au sein du SIHH, où il reste très écouté – une « affaire Madoff » dont Mathias Buttet serait le Bernie : mêmes initiales entre les deux, mais inversées. C’est à cette inversion que s’arrête toute analogie...
Certes, BNB a pratiqué une certaine « fuite en avant » (analysée par Business Montres le 10 novembre) et surmultiplié sans prudence les investissements productifs, sans assurer ses arrières commerciaux. Certes, il a trop dépensé, et de façon trop ostentatoire : la limousine Hummer (10 m de long) de Baselworld restera dans les mémoires comme l’erreur de communication à ne plus jamais commettre. Certes, Mathias Buttet aurait dû informer plus tôt les juges de son surendettement (art. 725, al. 2, de Loi fédérale complétant le Code civil suisse). Certes, il n’a pas géré avec toute la diligence requise les fonds de ses actionnaires (dont les siens). Certes, il n’a pas anticipé la crise et franchement foncé dans le mur en klaxonnant pour que le mur s’écarte...
Ce n’est pas une raison pour évoquer un quelconque « schéma de Ponzi » : Madoff avait une stratégie d’escroquerie délibérée, quand Mathias Buttet a choisi une stratégie quantitative (suicidaire en haute horlogerie) quand une stratégie qualitative aurait été plus pertinente (il fallait miser sur l’exclusivité et non sur les volumes). Pour faire du rentrer du cash, BNB en a trop fait, quand Madoff en a volé ! Nuance qui interdit certains rapprochements hasardeux...
• Ne pas oublier, non plus, que les marques – qui se plaignent aujourd’hui – ont toujours été contentes de trouver la roue de secours BNB pour habiller d’un semblant de réaliste leur prétention manufacturière. Est-ce pour faire oublier leur mythomanie créative qu’elles voudraient aujourd’hui faire oublier BNB dans les poubelles de l’histoire horlogère. Ce que les marques ont consenti comme budgets ou comme avances à BNB a servi à développer d’autres concepts pour d’autres marques, pas à financer un train de vie exubérant...
• Ne jamais oublier, enfin, que la plus grande partie du surendettement de BNB (8 à 10 millions, contre 3 aux organismes sociaux) a été creusée par les « ardoises » laissées par des marques de haute horlogerie dont les dirigeants continuent à se pavaner, alors que plusieurs centaines de familles sont laissées dans la précarité par la faillite de BNB (employés et fournisseurs en amont). Il serait (il sera !) intéressant de publier la liste des entreprises qui ont oublié de régler leurs factures chez BNB et ainsi acculé Mathias Buttet à se rendre ce matin même dans le bureau du juge...
••• BUSINESS MONTRES N’A JAMAIS CACHÉ SON ADMIRATION pour les créations de BNB, pour l’inspiration de ses concepts et pour le travail de son créateur. Enthousiasme horloger qui n’empêche le réalisme dans l’analyse des faits économiques, comme en témoigne la franchise de multiples articles au sujet de Mathias Buttet et de sa manufacture (voir les liens ci-dessus).
• C’est ce même réalisme qui doit aujourd’hui pousser à « sauver le soldat Buttet », moins pour lui que pour ce qu’il représente : pour toute la communauté horlogère, c’est une priorité d’intérêt collectif, qui va bien au-delà de la compassion due aux familles naufragées dans cette aventure. Le sauvetage du patrimoine BNB – hommes, idées et créations – relève de l’urgence pour la crédibilité internationale de la place horlogère suisse.
• Celui qui mettra en place la solution la plus intelligente aura bien mérité de la patrie horlogère, comme on disait pendant la Grande Guerre...
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