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Pause breakfast au Kempinski de Genève, avec Jean-Frédéric Dufour, le nouveau président de Zenith, encore tout ému par les commandes enregistrées pendant la Wonder Week de Genève 2010.
••• UNE COLLECTION-ÉVÉNEMENT
Décompression décontractée d’après les salons, veste en velours et pull zipé, Jean-Frédéric Dufour (ci-contre) débarque en pleine forme, peut-être un peu moins blond qu’à son arrivée chez Zenith, en juin dernier, mais pas encore prématurément blanchi sous le harnois comme trop d’autres patrons de marques au sein du groupe LVMH. Une assiette de fruits et un café plus tard, on peut passer aux choses sérieuses et parler de la nouvelle collection Zenith 2010, qui lui a déjà valu les félicitations de quelques-uns des puissants de l’horlogerie dont il a pu croiser la route au cours de sa carrière...
• Une collection-événement, à plusieurs titres. D’abord, il n’était pas évident de succéder – un peu à l’arraché – à une personnalité aussi emblématique et charismatique qu’un Thierry Nataf. L’exercice était périlleux : « Jean-Fred », comme on l’appelle déjà à la manufacture du Locle, s’en est tiré avec beaucoup d’habileté, surfant entre les écueils, en jouant à la fois de sa séduction naturelle, de son immersion (totale, sincère et raisonnée) dans le patrimoine de Zenith et de sa capacité de travail (350 points de vente – sur les 700 de la marque – visités en six mois sur tous les continents : en gros, une semaine sur deux hors de la maison pour ce frequent flyer).
• Collection-événement pour son repositionnement marketing clair, net et précis, surtout après des années Nataf qui avaient vu Zenith tutoyer – sans affection de retour – les plus grands noms de l’horlogerie et prendre plus que sa part des profits de la bulle horlogère, de ses splendeurs pailletées et de ses misères globalisées. L’exercice était tout aussi périlleux. Dans la cohorte des « vraies » manufactures, on sera passé, en moins d’un an (entre Baselworld 2009 et Baselworld 2010) d’un benchmarking aligné sur Patek Philippe (sinon plus haut encore) à un benchmarking ciblé sur Rolex (sinon plus bas encore, puisque Zenith entend se poser en bastion d’entrée des « ultimate manufactures », concept dont parle souvent Jean-Frédéric Dufour). Bastion défensif en termes de qualité et de consistance du contenu horloger, mais sas d’accès à l’univers (très peu fréquenté) des marques qui assurent elles-mêmes l’essentiel de la fabrication de leurs mouvements.
• Collection-événement enfin pour la redéfinition d’un message de marque cohérent et pertinent compte tenu de la situation actuelle des marchés. Le bon produit au bon prix au bon endroit : tout le monde connaît la chanson, mais « Jean-Fred » avait à peu près tout juste en présentant à Genève son interprétation personnelle de cette vieille ritournelle. Son fil conducteur : « Les deux marqueurs génétiques essentiels de Zenith sont la fiabilité et la précision. Point à la ligne. C’est tout et il y a tout dans ce patrimoine héréditaire de la marque : des montres fiables et précises ! C’est pour cette raison que la manufacture Zenith a remporté d’innombrables prix d’observatoire et déposé plus de brevets (176) qu’elle ne compte d’années d’existence ». Sous-entendu : aujourd’hui comme il y a un siècle et demi, ces montres doivent donner envie d’être achetées, ce qui signifie qu’elles doivent rester accessibles – alors que leur prix avait doublé en un an.
Le défi était donc de conserver une grande rigueur dans la proposition horlogère, tout en travaillant au sein de la manufacture les facteurs qui permettraient d’abaisser les coûts pour générer les profits nécessaires à tout investissement sur l’avenir.
••• UN DIXIÈME DE SECONDE RESTÉ INÉGALÉ, MAIS ENFIN LISIBLE
Au poignet gauche de Jean-Frédéric Dufour, un chrono El Primero « classique ». A son poignet droit, un tourbillon, toujours El Primero. Le plus célèbre mouvement chronographe de la légende suisse est revenu au centre du jeu, sous les projecteurs : c’est son nom qui pose les collections et c’est le cœur de la pyramide qui monte des Elite vers les très grandes complications, avec une pièce un peu étrange en orbite circulaire au sommet de cette pyramide, le tourbillon Zero-G, exercice de style et « concept watch » qui n’aurait sans doute pas dû se retrouver tel que en vitrine, mais qui fait toujours rêver, deux ans après sa présentation sous les étoiles du désert dubaïote un nouveau design est en cours, mais la première version s’arrache toujours). 600 000 El Primero qui tournent à travers le monde : 1 % de taux de retour chaque année ! Une exception locloise dans une planète horlogère ravagée par le doutes sur la réparabilité de ses mouvements innovants...
Parfois approché, mais jamais égalé, et encore moins dépassé (sinon par quelques pionniers d’exception, comme François-Paul Journe), le calibre El Primero reste la référence absolue en matière de chronographe automatique produit en série. Bonne nouvelle pour les amoureux du Primero : on va enfin pouvoir lire son dixième de seconde, par une grande aiguille centrale et un mécanisme de « foudroyante » qui gisait dans les archives de Zenith sans avoir été exploité. C’était relativement simple, mais il suffisait de penser que la roue des secondes à 100 dents pouvait avoir quelque utilité dans l’affiche du dixième de seconde...
C’est un trait marquant de la philosophie mise en œuvre par Jean-Frédéric Dufour dès son arrivée : la simplicité. Dans tous les compartiments du jeu. Il en parle avec un discret accent suisse, qui fait certainement craquer les journalistes singapouriennes.
• Simplicité de la philosophie micro-mécanique : la performance au service de la précision et de la fiabilité. Retour aux fondamentaux évoqués ci-dessus. Ni plus, ni moins : au client de se décider sur cette philosophie basique, mais efficace, justifiée par le rapport qualité perçue-prix demandé.
• Simplicité dans l’expression horlogère : pourquoi monter une usine à gaz en multipliant les composants micromécaniques quand on peut aller à l’essentiel en quelques rouages ? Avec un peu de silicium et de nouvelles technologies, c’est plus facile (avec, en plus, 50 h de réserve de marche, dont 45 h chrono en marche).
• Simplicité dans le design : un simple déplacement du guichet de la date de 4 h à 6 h permet aux compteurs du Primero de prendre de l’ampleur et de faire oublier qu’ils auraient tendance au strabisme tellement ils sont au centre du cadran.
• Simplicité dans le regard posé sur la marque pour la faire évoluer : quelques idées élémentaires qu’on retrouve dans chaque détail et derrière chaque action entreprise. « Quand on est riche de 500 calibres différents déjà réalisés, on peut se flatter d’un savoir-faire incontestable et d’une substance qui finira par se remarquer ».
• Simplicité dans l’accès de l’amateur à la marque : des publicités basiques qui mettent en avant la montre, des tailles « normales » (40 mm en Elite extra-plat, 42 mm en chronographe El Primero, sur 11,8 mm d’épaisseur : ce ne serait pas le chrono le plus mince du marché ?), un esthétique plus consensuelle que rupturiste. « J’ai voulu dépolariser le mouvement El Primero en le ramenant au cœur du marché, à l’entrée de la pyramide des “marques manufacture“, en travaillant plus l ‘ergonomie des boîtiers que l’arithmétique trompeuse des diamètres ».
••• L’AVENIR NE FAIT QUE COMMENCER
Beau bilan pour les six premiers mois, en plus de la récompense d’avoir engrangé assez de commandes en janvier (Genève) pour lancer sans inquiétude les productions de l’année. Le plus dur reste à venir. D’abord, produire et consolider les acquis, étape par étape. Puis, sur la foi de ce nouveau catalogue (sept fois moins de références) et de la nouvelle structuration des collections, il faut maintenant convaincre les détaillants d’aller plus loin avec Zenith et en faire des relais d’opinion permanents, avant de convaincre les clients, sur le papier, en ligne ou ailleurs. Mettre les budgets de communication là où sont nécessaires, indispensables et suffisants, sans se disperser : c’est la « répétition », principe bivérien* de base pour créer une rupture du front et réussir la percée. Travailler en permanence le terrain, les points de vente, l’image de marque, par le produit
« Nous avons gagné la première bataille, mais nous sommes loin d’avoir gagné la guerre », paraphrase en riant le jeune président de Zenith. Je suis un obsédé du sell-out et c’est à ces ventes qu’on pourra vraiment mesurer, en fin d’année, le succès de la nouvelle stratégie de Zenith »...
Les cafés sont froids dans les tasses et les miettes de croissant parsèment la nappe. A travers les baies vitrées du Kempinski, un dernier regard sur la rade de Genève chapeautée de brume, pour l'instant privée de son célèbre jet d'eau. Encore une journée de travail qui commence. Au volant, direction Le Locle...
Salut, « Jean-Fred ». On se retrouve à Baselworld, ou même avant si c’est jouable !
(*) On sait déjà – ou on l’aura compris – que Jean-Frédéric Dufour (ex-Ulysse Nardin, ex-Chopard) est un des jeunes padawans du maître Jedi Jean-Claude Biver, qu’il a croisé autrefois chez Léon Hatot (Swatch Group) avant de le retrouver chez LVMH...
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