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Un document brut de décoffrage pour éclairer de l’intérieur les coulisses du dossier BNB.
David Rodriguez était un des « confrères » de l’aventure Confrérie horlogère.
Licencié comme beaucoup, il raconte avec ses mots sa descente aux enfers...
••• L’INFORMATION EST AUSSI UN TÉMOIGNAGE
On peut hésiter avant de publier un tel témoignage : votre Quotidien des Montres n’est pas un plateau de télévision. Cependant, on ne peut pas rester indifférent, ni à la détresse telle qu’elle s’exprime ici, sans fioritures, ni au courage qui sourd de chaque ligne.
Business Montres informe sur toute l’actualité des marques, des montres et de ceux qui les font. Comment admettre que cette actualité s’arrête à la porte des manufactures, alors que plusieurs milliers de professionnels de l’horlogerie ont été licenciés ? Comment ne pas publier un éclairage sur ce qui se passe après, au-delà de l’établi, dans la nuit que n’éclairent plus les projecteurs de la médiatisation et de la télévision ?
David Rodriguez était des premiers confrères réunis par le projet de Confrérie horlogère, concept lancé par Mathias Buttet en parallèle à sa manufacture BNB (Business Montres du 4 décembre 2008). D’origine péruvienne, DJ à l’occasion, c’est un « survivant » : son existence est une illustration de l’idée de résilience, nom qu’il avait d’ailleurs donné à sa première série de montres, tailladées et couturées comme sa vie (image ci-dessus : le dos balafré de la montre, dont la cage du tourbillon représentait un condor andin).
Finalement, il fallait que ce soit dit et connu. Pour l’histoire, sans fausse pudeur, ni sensiblerie déplacée. Chacun en tirera ses propres conclusions et restera libre de son propre jugement...
David Rodriguez raconte (témoignage non retouché, dédié à tous ceux qui parlent un peu légèrement de la « crise », qui ont spéculé sur la chute de BNB ou qui ont contribué à la provoquer)...
••• LA VIE DE DAVID RODRIGUEZ, EX-BNB
« Je suis dans une situation cahotique, puisque, en plus de n'avoir pas d'argent, les poursuites m'ont avisé que BNB ne leur versait pas la part d'argent qu'ils me retiraient de mon salaire. Maintenant qu'ils ont fait faillite, pour pouvoir récupérer la moindre somme, il me faut remplir plusieurs formulaires. Pour espérer recevoir quelque chose, cela peut prendre jusqu'à trois ans !
Ayant fait des recherches d'emploi depuis mon licenciement de novembre, et n'ayant reçu en retour que des réponses négatives, je me suis dit : quitte à tout perdre (et de toutes façons je n'ai plus rien), je tente le coup ! J'ai donc présenté un dossier bien ficelé au chômage pour obtenir le droit à un cours de M.E.S gestion, pour une activité en tant qu'indépendant. Je suis conscient que je risque gros, mais ma situation est telle que je n'ai pas grand-chose à perdre.
J’explique.
Au mois d'août 2009, j'ai été mis au chômage partiel à la Confrérie horlogère. Cette situation m'a mis un peu en repos et m'a permis de m'occuper encore plus de mes enfants .
Nous avons été de temps en temps (mes collègues de la Confrérie et moi) rappelés chez BNB pour répondre à des interviews avec des journalistes et pour signer les feuilles qui nous permettaient de recevoir notre salaire. Ce qui, maintenant, nous pose un certain nombre de problèmes pour réclamer notre dû, car, sans le savoir, nous avons permis aux banques, par notre signature, de se servir avant nous en cas de faillite.
La suite ? C'est simple : je n'ai pas de travail, mais suis toujours sous contrat avec BNB jusqu'au 31 janvier 2010. Donc, je n’ai pas encore droit aux prestations chômage.
Après une dispute avec ma femme, elle me porte plainte et, bien sûr, je perds. Résultat : six mois de sursis pour 20 jours-amende .
Quelques jours après, elle me quitte pour un autre homme, plus riche et beaucoup plus âgé que moi et je découvre qu'il s'agit de son avocat qui, à la suite de notre dispute, avait profité de l'occasion pour lui faire du charme (ce qui, d'après notre code civil suisse, est illégal)...
Suite à quoi , ma voiture, ayant presque 300 000 km, me lâche à son tour en pleine ville de Neuchâtel. Le dépanneur n'a pas oublié de m'aviser qu'elle avait bien vécu, qu'elle était au bout de sa vie et que cela ne valait pas la peine de la réparer, car personne ne voudrait me la racheter ! Ça encourage ce genre de paroles, après tout ce que je venais de vivre !
Puis c'est au tour de mon téléphone portable de me lâcher, sans prévenir, pouf ! Ecran noir ! Plus rien ne fonctionne ! Et, bien sûr, tous les numéros sont enregistrés dedans, car – j'ai oublié de le dire – mon téléphone fixe m'a aussi lâché. Donc, j'essaie de faire le réparer pour au moins récupérer les numéros, mais le vendeur me répond gentiment : « Ça vous fera 25 CHF pour le dépôt, plus les frais de réparations, et vous allez attendre au moins un mois car il y a les vacances de Noël »...
C'est vrai, ça, avec tous mes soucis et mes préoccupations, je n'y avais plus pensé.
Je suis l'heureux père de trois petites filles qui attendent Noël, et surtout les cadeaux avec impatience ! Donc, pour la première qui a 13 ans, ce sera sera un portable avec écran tactile, me supplie-t-elle (ben voyons !). La deuxième de 8 ans : des Petshops, une poupée Dora qui parle, des habits, un assortiment Barbie (mouaih). La dernière de 7 ans, la plus petite, étonnement me répond : « Ce que tu pourras, Papa ! Je sais que tu n'a pas d'argent (sa maman n'a pas oublié de le leur rappeler)...
La veille de Noël arrive et, pour moi, cette année sera un jour comme les autres. Je n'ai pas une thune et je vais tous les jours à la banque voir si le Père Noël m'a fait un geste. Eh non ! Il m'a oublié, cette année ! Je rentre donc chez moi, triste et solitaire. Je suis tellement dégoûté de la vie que je vais me coucher et il n'est que 18 h 30 !
Le jour de Noël arrive. Il fait froid dehors et je me suis levé tôt, donc je vais à la lessiverie commune derrière de chez moi (comme d'hab !) et je passe presque toute la matinée à laver et faire sécher mon linge sous l'oeil attentif d'une caméra de surveillance ! Je lis des revues féminines en attendant. Vers 17 h, mes petites arrivent, impatientes, pour recevoir leurs cadeaux et m'amener les leurs qu'elles avaient précieusement confectionné à l'école ! Tout en me racontant tous les trésors qu'elles avaient reçu la veille par leur maman, le nouvel ami de maman (l'avocat) et d'autres personnes.
Que pouvais-je leur dire ? C'est alors que j’ai pensé : « Aucun enfant ne mérite ça ! ». Donc, je leurs ai dit que le Père Noël avait été débordé, mais qu'il m'avait promis de repasser très bientôt et que nous ferions une autre fête ! Elles attendent toujours ce Père Noël !
Après qu'elles soient reparties, déçues mais heureuses d'avoir passé du temps avec moi, je suis resté seul chez moi et, pour finir, je me suis décidé à partir passer Noël ailleurs, avec toutes les personnes nécessiteuses (chômeurs, requérants d'asile, drogués, prostituées, SDF, etc,), car une association organise toutes les années un « Noël Autrement », avec musique, nourriture, boissons, Père Noël, etc. et gratuitement ! C’était, je crois, le plus beau Noël que j'aie vécu ! Et il m’a confirmé ce que je savais déjà depuis longtemps : dans notre beau pays helvétique, Madame Helvétie cache sous sa jolie robe une misère qui, avec cette crise, va déborder de plus en plus...
Je suis à ce jour persuadé qu'il faut que je rebondisse par moi-même et je vais mettre tout en oeuvre pour y arriver.
J'ai dû demander l'aide sociale pour avoir de quoi me nourrir et surtout nourrir mes enfants lorsqu'elles viennent les week-ends. Mais la situation est si complexe que l'aide sociale n’a pu me débloquer que 200 CHF aujourd'hui et qu'elle peut prendre en charge mes arriérés de loyers de janvier-février, qui sont maintenant en sommation.
Je le sais, cette situation me l'a appris : la vie peut tout te prendre, mais ta dignité, personne ne te l'enlèvera ! Donc , je fonce et je ne m'arrête pas !
La résilience ! To be continued... »
••• CEUX QUI VOUDRAIENT AIDER DAVID RODRIGUEZ, SOUS UNE FORME OU UNE AUTRE, PEUVENT PRENDRE CONTACT AVEC LUI.
• Son adresse : saphirproduction@hotmail.com
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