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Café sans croissants pour cause de régime pré-Baselworld, mais, de la terrasse enneigée de l’hôtel Alpes et Lac,vue imprenable sur le lac de Neuchâtel : soleil pâle dans la grisaille de l’hiver.
Pour Hautlence aussi, le soleil est timide, mais il est de retour...
••• HAUTLENCE EN PLEIN CHANTIER DE RECONSTRUCTION
L’Alpes et Lac reste la plus belle terrasse de Neuchâtel, avec une vue panaramique sur les eaux pâles du lac et l’horizon des Alpes bernoises. Ce matin, un timide soleil de glace tente de réchauffer la grisaille embrumée : allégorie de la nouvelle génération horlogère qui émerge non sans mal d’une année de crise ? On serait tenté de le penser en prenant le café – sans croissants, régime minceur pré-Bâle oblige ! – avec Guillaume Têtu, qui dirige désormais seul Hautlence, après le départ de son co-fondateur Renaud de Retz (révélation Business Montres du 10 novembre dernier).
Après une année 2009 particulièrement chahutée sur tous les marchés, Hautlence revient de loin. Le coup de frein a été brutal sur tous les marchés, alors même que la marque était en plein décollage. Il a fallu tout revoir à la baisse : les objectifs comme les investissements dans le développement, la politique commerciale comme les plans de communication, les commandes aux fournisseurs comme les effectifs.
« Guillaume Têtu, qui avait la confiance personnelle des fournisseurs, reste donc seul aux commandes : c’est désormais lui qui devra affronter la bronca des détaillants tout en recréant une dynamique chez les fournisseurs et en assumant la stratégie des actionnaires », écrivait Business Montres en novembre. Même s’il attendait à un emploi du temps surchargé, Guillaume Têtu n’imaginait pas à quel point son immersion périscopique dans la relance de la marque allait être prenante.
Aujourd’hui, il émerge enfin de ces turbulences, et Hautlence avec lui, sous le regard attentif – mais toujours bienveillant – des actionnaires, qui l’ont eux aussi compris et qui ont « mouillé leur chemise » pour aider leur bébé à grandir. Même si ce n’est pas gagné d’avance, la marque a retrouvé une perspective, avec un nouvel azimut sur la boussole et une nouvelle vision pour sa direction.
••• AU PREMIER TROU D’AIR, ON A FRÔLÉ LA CATASTROPHE
Clap de départ : Hautlence, saison 2, première ! Tout va se jouer en 2010 sur la crédibilité du repositionnement de la marque, qui veut d’abord (re)devenir une « vraie » marque, capable de se construire dans la durée, et non l’activité créatrice de deux passionnés qui ont été – c’est logique pour une start-up – plus passionnés par leurs produits que par le branding. De leurs énergies est née une dynamique qui a poussé la marque vers une notoriété internationale assez spectaculaire (2005-2008) et vers de multiples ouvertures, mais dont l’effet d’aspiration un peu anarchique n’a pas été consolidé avec assez de prudence. Au premier trou d’air, on a frôlé le crash...
Symbole de cette nouvelle volonté de (re)constuction de la marque : le retour à Baselworld (dans ce Hall 4.1 qui sera cette année une vraie pépinière de nouveaux talents). Arrière-plan : le soutien des actionnaires pour asseoir sur les fondations actuelles un développement raisonné et raisonnable, pensé sur le long terme. Ce qui valide au passage l’ambition initiale d’intégration interne et d’autonomie poussée de tout le processus créatif (mise au point d’un mouvement « manufacture » autonome, investissements dans la R&D, verticalisation de ce qu’il est possible et réaliste de ne plus sous-traiter).
• Premier chantier majeur pour Hautlence : la politique de distribution. La rupture est ici marquée entre les ouvertures hâtives de points de vente et la volonté de se recentrer sur des vitrines moins nombreuses (logique, puisque certains détaillants ont passé la main), mais plus significatives et plus exclusives. Mot-clé : « Aider le retail ». Ce qui n’empêchera pas une renégociation ponctuelle des marges !
Objectif : trente points de vente, travaillés plus en profondeur, avec une politique volontariste de création d’événements conviviaux capables d’associer les équipes locales et les collectionneurs (dîners, présentations, animations, etc.).
• Deuxième volet, logiquement lié au premier : la révision de la politique commerciale. Alors que la plupart des marques tentent de sortir de la crise par le bas (nouveaux produits low cost et offre tarifaire revue à la baisse), Hautlence choisit une option par le haut, avec 5 % à 20 % de hausse qui correspondent soit au renchérissement du prix de l’or [argument pas forcément convaincant], soit à la requalification des produits [et donc à la revalorisation du stock des détaillants]. Ce qui ne fera pas de mal à une marque un peu abîmée par des discomptes parfois sauvages...
Parallèlement, Hautlence réorganise son réseau de proximité, en commençant par un partenariat (joint-venture) avec Frank et Charmaine Low (LuxuryConcept, Malaisie et sud-Est asiatique), avant une déclinaison de cette formule sur le continent américain et ailleurs. Manifestement, Hautlence regarde en priorité du côté de l’Asie, marché pour lequel une nouvelle version de la HL ronde va être proposée en 41 mm
• Troisième terrain de manœuvres : la stratégie produits. Si Hautlence a trop tardé à mettre de vrais nouveaux modèles sur le marché, et a donc saturé sa « niche » naturelle au risque d’y gaspiller ses énergies, un nouveau plan produit a été défini, sur quatre ans, avec un programme d’investissement non négligeable dans la R&D et la conception des collections à venir. On verra – enfin ! – en 2010 une gamme Hautlence 2.0 très spectaculaire.
Ce ne sera pas un énième réinterprétation des HL1, HLS ou HLQ précédentes, mais une montre totalement innovante (mécanique et esthétique), avec une chaîne dont les maillons sont des heures sautantes qui pilotent la rotation d’une platine tournante où sont embarquées l’échappement et une partie du rouage : imaginez un tourbillon en rotation partielle sur son axe toutes les heures (première mondiale brevetée), avec un barillet et un différentiel (palette inertielle) exclusivement dédiés à cette complication pour maintenir l’isochronie lors de la rotation horaire !
Le concept est d’autant plus intéressant que c’est la première fois que le système d’affichage commande la mobilité de l’organe chronométrique : cette inversion des priorités mécaniques est une rupture nette avec la logique traditionnelle de l’horlogerie et elle traduit bien la nouvelle tendance aux soft-complications – idée qui n’empêche ces montres d’être spectaculaires (Business Montres présentera très prochainement cette montre, capable d’être sur le podium des pièces les plus créatives de Baselworld 2010)...
• Quatrième axe de travail pour Hautlence : la politique médias. Toute cette réorientation de la marque réclame, entre autres, un réajustement de la communication, elle aussi plus sélective sur le print (focalisation sur les titres leaders, avec l’affichage du prix !) et plus créative sur le web, avec l’ambition de créer une vraie communauté d’amateurs par le biais d’événement dédiés, de cartes privatives et d’avantages privilégiés (extension de garantie, avec le systême a code Bulles ProofTAG pour les membres du Owner's club, etc.). Au lieu de développer une application sur iPhone, Hautlence offrira un iPod Touch 16 Mo à ses clients !
On compte déjà près de 700 possesseurs de montres Hautlence à travers le monde : ce sont souvent les meilleurs ambassadeurs de la marque, notamment sur les sites communautaires auxquels Hautlence fait confiance pour conduire cette communication (Watchonista)...
••• « RECRÉER DU RÊVE ET DU DÉSIR PAR LA PÉNURIE »
Une bonne stratégie et un bon produit au bon moment : Hautlence se donne donc tous les atouts pour revivre et prospérer. Comme pour solder le passé, beaucoup des anciennes collections vont être reprises chez les détaillants [effet induit de limitation des « soldes » inconsidérées] et subtilement reliftées [nouveaux cadrans, nouveaux mouvements, nouvelle « substance » pour « gérer l’obsolescence »] – ce qui ne pourra que regonfler la valeur des pièces disponibles. La production va être sensiblement diminuée pour attiser par la rareté l’appétit des collectionneurs : guère plus de 200 montres par an pour 2010, et sans doute moins pour « recréer de la pénurie, donc du rêve et du désir ».
Quelques tasses de café plus tard, avec quelques fascinants prototypes sur la table et (sur iPod) les dessins préparatoires des futures saisons 3.0 et 4.0, la stratégie définie par Guillaume Tête tient la route, au moins sur le papier.
Restent quelques incertitudes et des questions actuellement sans réponses :
• Les consommateurs du luxe d’après la crise sont-ils prêts à accepter les prixé désormais très élevés qu’on exige d’eux pour des montres conceptuelles de nouvelle génération [le nouveau tourbillon Hautlence devrait dépasser les 130 000 euros] ?
• Les détaillants, pressurés par les grandes marques, sont-ils prêts à s’engager sur des pièces alternatives proposées par des acteurs indépendants, fondamentalement handicapés par la faiblesse numérique de leur plan de communication ?
• Une « petite marque » fait-elle assez de marges pour financer les investissements R&D qui sont les seuls à pouvoir lui garantir une relative avance créative ?
La suite au prochain petit déjeuner...
••• Portrait ci-dessus : Guillaume Têtu, vu par un ami photographe neuchâtelois aujourd'hui disparu, auquel on voudrait discrètement rendre hommage grâce à cette superbe image...
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