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Qu’allons-nous faire des Hummer de l’horlogerie ?
 
Le 01-03-2010
de Business Montres & Joaillerie

Faute de repreneur, la marque Hummer est liquidé par General Motors.

Même les Chinois, qui s’étaient portés acquéreurs, n’en veulent plus.

Où allons-nous si les Chinois eux-mêmes ne croient plus à ces succédanés de la Bulle Epoque ?

Demain, faut-il s’attendre à la « liquidation » des Hummer de l’horlogerie ?


••• « SINGAPOURITE FOUDROYANTE »

Toutes les modes sécrètent leurs boursouflures et la nouvelle vague horlogère (2000-2010) ne pouvait pas échapper à cette règle impitoyable de la dégénérescence baroquisante, des contorsions stylistiques hypertrophiées et de ce que Business Montres stigmatisait déjà en juin 2006 comme une dérive gongoriste. Un peu plus tard, en février 2007 (donc, à l’apogée du Bubble Boom), il était même question dans un éditorial de la singapourite foudroyante, maladie contagieuse de l’horlogerie contemporaine, née d’une mutation soudaine et léthale du virus richardmillitude.

On parlait alors de kitsch : « Rappelons que ce mot vient de l’allemand kitschen (« ramasser la boue des rues »). Il traduit le « caractère esthétique d’objets dont les traits dominants sont l’inauthenticité, la surcharge, le cumul des matières ou des fonctions, le mauvais goût ou la médiocrité » (définition du très officiel Trésor de la langue française) ! Pourquoi se gêner quand les marchés semblent demandeurs d’un tel kitsch ?

« Quels marchés ? On diagnostique ici une nouvelle épidémie horlogère : la singapourite foudroyante. On sait que la cité-Etat de Singapour est – par habitant et par mètre carré – le meilleur marché mondial pour les montres de luxe. C’est là qu’on trouve les plus belles boutiques, les plus riches acheteurs, les meilleurs magazines horlogers et les plus grands collectionneurs. Tout s’y vend, un peu à n’importe quel prix, pourvu que ça fasse waoohh, comme on dit là-bas. C’est à Singapour qu’il faut être connu sous peine de n’être pas reconnu. C’est là qu’on en fait trop, par peur de n’en faire pas assez.

« La flamboyance du “style singapourien“ est le démon de midi des respectables chaisières de l’horlogerie. C’est pour séduire Singapour que certaines marques ont reconstruit leurs collections, au risque de décourager d’autres amateurs, moins frimeurs et moins flambeurs. Faute de défenses naturelles (histoire, identité, intelligence), certains ne se relèveront pas de cette sidération. Qu’ils méditent la leçon de tradition horlogère contemporaine que nous donne, justement, le Singapourien Michael Tay : quand il parle de belles montres, le patron de The Hour Glass se garde bien de confondre ever et over »...



••• CONVERGENCE HUMMERISTIQUE À BASELWORLD

Rien à corriger trois ans plus tard, surtout après 18 mois de crise ! Au contraire, la « liquidation » annoncée de Hummer confirme dans le domaine automobile qu’on a définitivement tourné la page de l’emphase gongoristique, dans le domaine automobile et sans doute dans le domaine horloger. Ne demandez pas aux propriétaires de Hummer (70 % de remise chez le dernier concessionnaire suisse) à quel SAV ils vont d’adresser pour réparer leur gros bébé, mais ne demandez pas non plus aux acheteurs de Hummer horlogers où ils feront réparer leur pièce à son premier accroc...

D’ailleurs, ceux qui ont un peu de mémoire feront un rapprochement symbolique entre le fait que GM jette aujourd’hui l’éponge pour Hummer, au moment même où BNB, qui paradait dans les parages de Baselworld en Hummer limousine à ses armes (image ci-contre, mais sans le logo BNB, décollé par l'actualité immédiate), jette également l’éponge avant une liquidation programmée. La coïncidence n’est pas du tout fortuite...

Un peu partout, les trop petites marques qui avaient rêvé trop grand (pour la taille des montres, pour l’angle conceptuel, pour la démonstration esthétique ou pour les ambitions planétaires) sont elle aussi menacées de liquidation (chronique Business Montres du 21 février : « Chaque matin qui se lève est une leçon de courage pour les indépendants »). Et ce n’est pas forcément injuste, du moins pour celles qui n’ont pas respecté quelques règles élémentaires, récemment rappelées par Alain Silberstein dans H H Magazine (« Le journal de la haute horlogerie ») : « Les trois critères indispensables à la pérennité de nos métiers sont l’innovation, la qualité et le service ». Basique, mais lumineux ! Chaque terme compte, mais il ne prend sa valeur qu’en synergie avec les autres : que de créativité sans qualité de service, ou que de qualité indéniable sans innovation, ni service ! On pourrait d’ailleurs y ajouter un déterminant éthique absolu dans l’univers du vrai luxe : le respect. Un minimum de respect de l’intégrité du produit, un minimum de respect du client final, un minimum de respect du détaillant qui fait l’interface, un minimum de respect pour sa marque...

Inutile, cependant, de se focaliser sur les indépendants. Les futurs Hummer de l’horlogerie sont également à chercher du côté des marques plus installées, qui ont été subitement déboussolées par la crise et dévergondées par les mirages d’une mondialisation incontrôlée. On ne compte plus les vieilles dames qui ont jeté leur bonnet par dessus les moulins et qui n’ont eu de cesse de clouer de force les brevets officiels du « bon goût contemporain » (nouveaux matériaux, nouveaux affichages, nouveaux designs : disons, pour faire court, le « style Big Bang ») sur des montres ou des marques qui n’en pouvaient mais.

Qui n’a pas donné dans l’or rose/céramique noire, ou même dans l’inusable DLC noir mat, dans la multiplication des vis, dans les cadrans à cœur ouvert, dans le reprofilage anglé sévère des courbes, dans l’alliage ultra-pointu à vocation interplanétaire ou même tout simplement dans le body building de boîtiers regonflés aux hormones ? Il suffit de regarder les catalogues 2010, SIHH et Baselworld confondus, pour réaliser la fantastique mutation esthétique que nous venons de vivre, sous l’influence d’une nouvelle génération qui n’est pas un bébé à jeter avec l’eau du bain.



••• MAUVAISE HUMMER ?

Il est sans doute plus facile de déterminer ce qui ne relève pas de la génération Hummer que ce qui la définit avec précision. Disons qu’être un Hummer de l’horlogerie, sans doute promis à une prochaine « liquidation » (comme marque, comme concept de marque, comme orientation nouvelle ou comme équipe dirigeante)...

• CE N’EST PAS... une question de taille (de montre) : il faudrait d’ailleurs cesser de confondre arithmétique et portabilité. A chacun selon ses poignets et selon l’ergonomie de la montre : en 48 mm intelligemment disposés, une De Bethune Power est beaucoup plus facile à porter pour un petit poignet qu’une Big Bang en 44 mm (question d’angle des cornes et de rigidité du bracelet). En 43 mm, une IWC Portugaise est beaucoup plus agréable à porter qu’une Royal Oak basique en 42 mm. Même dans la provocation, les 65 mm du Mega-Tourbillon d’Antoine Preziuso ne font pas de cette montre un Hummer, mais d’abord un pied-de-nez aux Hummer en question.
• Le Hummer, ce serait plutôt le volume là où il n’est pas justifié, le boîtier survitaminé avec un mouvement ridicule à l’intérieur (comme un char d’assaut à moteur de VéloSolex), le muscle apparent pour « épater les bourgeois », la recherche du bizarre pour le bizarre, bref tout ce qui ne « vient pas de l’intérieur », mais qu’on plaque sur la montre pour faire genre...

• C’EST ENCORE MOINS... une question de taille d’entreprise : on peut s’appeler Ralph Lauren et se poser en parangon de ce qu’il ne fallait pas faire. Disons, dans ce cas, qu’il s’agit tout au plus d’une... trottinette Hummer ! Même réflexion pour les Ferrari engineered by Officine Panerai : la taille des deux protagnistes ne fait rien à la non-pertinence absolue de la proposition. On pourrait évoquer le cas de Zenith, grande manufacture d’excellente tradition repositionnée sur un segment qui était en soi « jouable », mais tragiquement périlleux au moindre retournement de conjoncture – ce qui s’est produit avec l’explosion en vol de la bulle spéculative (à l'époque, c'est l'actuelle stratégie de Jean-Frédéric Dufour qui aurait été à côté de la plaque !)...
• L’esprit Hummer n’est ni jeune, ni vieux : c’est seulement le symptôme classique d’une dégénérescence organique provoquée par les virus conjugués d’une mauvaise analyse économique (le ticket d’entrée dans l’horlogerie a toujours été ridiculement bon marché et les espoirs de gains trop mirifiques) et d’une grave déficience créative (on en fait plus que l’initiateur de peur d’être soupçonné d’en faire moins : un engrenage léthal pour toute industrie confrontée à une surchauffe de la demande)...

• CE N’EST PAS NON PLUS... une question de design : on confond là aussi non conformisme argumenté et acte gratuit, vrai concept et fausse fanfaronnade, maillot jaune et « suceur de roues ». Ce n’est pas l’ovni qui définit le Hummer, mais le bricolage hâtif de citations mal comprises : ni MB&F, ni Urwerk, ni Cabestan (pour ne citer que ces trois-là) n’ont versé dans la facilité qui aurait consisté à confondre innovation et exagération. Pour certaines marques, le déroutant est génétiquement correct, voire même indispensable : pour d’autres, c’est une aberration tératologique. Autant il est logique de trouver une Tradition [deux siècles d’avant-garde !] dans les collections Breguet ou – encore plus spectaculaire, la Zeitwerke de A. Lange & Söhne [un pont jeté sur un peu moins deux siècles], autant on peut se demander dans quelle impérieuse logique identitaire s’inscrit la Blancpain Saint-Valentin 2010 ou la Parmigiani Pershing Tourbillon (ceci pour ne parler que des « vieilles » marques)...
• La dérive « hummeriste » n’est pas celle qui s’éloigne des sentiers battus : c’est, au contraire, l’insistance de celui qui croit se distinguer en marchant sur les pieds des autres avec des plus gros souliers, mais sans jamais quitter l’autoroute ! Quand les créateurs pensent « mieux et ailleurs », le pilote de Hummer a le réflexe « trop et tout de suite ». D’où sa démonétisation dès qu’on sort de ce « tout de suite »...

• CE N’EST CERTAINEMENT PAS... une question de « concept » (mot galvaudé s’il en est) : on ne va pas demander à Yvan Arpa (Artya) de faire du Van Cleef & Arpels, ni à Richard Mille de chausser les bottes de Philippe Dufour. Encore faut-il que le concept soit sous-tendu par une puissante logique intérieure : avec ses engrenages verticaux, la Cabestan a une tout autre légitimité que la Jacob & Co The Quenttin, construite dans le même esprit – à la rigueur créative près. Les doubles tourbillons de deLaCour s’inscrivent dans une perspective de gémellité horlogère (confirmée par la Double répétition minutes) qu’on ne retrouve pas dans le double tourbillon de Breguet, qui passe du coup pour un me too décalé dans la philosophie Breguet. Alain Silberstein peut se permettre des fantaisies en couleurs qui détonnent pour la Audemars Piguet Royal Oak Offshore Grand Prix. Les embiellages d'Hautlence ont leurs raisons que les raisons du tout-à-l'épate n'expliquent pas. On n’est jamais trop conceptuel : on est juste hors sujet, suiviste ou tout simplement ridicule...
• Les Hummer de l’horlogerie se repèrent non à leur agilité conceptuelle, mais à leur manque de pertinence créative, déficit qui peut s’exprimer dans la répétition ad libitum des poncifs du moment. A force de surjouer les me too de ses propres complications, Gérald Genta a perdu tout intérêt et ses créations des années 1990, surfacturées en leur temps, sont aujourd’hui autant de Hummer importables.

• CE N’EST SURTOUT PAS... une question d’âge (du capitaine) ou d’ancienneté (de la marque) : quelques-uns des trentenaires qui ébranlent aujourd’hui les colonnes du temple seront toujours là quand les équipes qui ont hummerisé telle ou telle bonne marque d’ancienne réputation auront été balayées. Qu’on songe ici à ceux qui ont joué – par bonheur, fugacement – avec l’identité horlogère de Saint-Laurent : disparus ! Si Jacob & Co tente en vain de se remettre des über-montres aux sertissages bariolés qu’affectionnaient les rappeurs (mission impossible ?), comment ne pas s’inquiéter du repositionnement de Raymond Weil vers les chronos spectaculaires, de la course à l’armement pratiquée chez Milus ou de la glissade d’Oris vers les grosses pièces ? On pourrait multiplier les exemples dans les marques anciennes : il suffit de comparer la taille des boîtiers à cinq ans de distance, d’autant plus facile à souligner que les mouvements n’ont pas suivi et donc que les fonctions annexes (hors des heures et des minutes) se retrouvent groupées au centre de cadrans qui « louchent » (date, seconde, compteurs du chrono, etc.)...
• L’« hummerisation » des grandes marques classiques est cependant réversible, alors que la nouvelle génération ne peut que difficilement justifier un « retour en arrière » qui la ramènerait au... néant. Peut-on être et avoir été ? Quand on a une histoire, sans doute : Zentih le prouve actuellement dans un sens ; Hublot ou Concord l’ont prouvé récemment dans l’autre ; TechnoMarine veut y croire pour l’avenir. Ailleurs, c’est plutôt la Bérézina : ceux qui s’étaient improvisé horloger songent à regagner leurs pénates, tandis que les designers hyperboliques de la bulle-génération refont des piges pour les marques restées sages...



••• BIENTÔT EN PANNE SÈCHE

Des noms, des noms ! Pourquoi faire ? « Morituri te salutant » : ils sont là, les nouveaux Hummer, dans les médias, dans les salons, dans les vitrines. Ils pleurent chez les fournisseurs. Ils gémissent chez les banquiers. Ils angoissent chez les détaillants. Mais ils paradent devant leurs confrères, copains mais néanmoins féroces concurrents : c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît, à ce bagou effronté et bravache, déconnecté de toute réalité. Alors que les survivants ont adopté un profil bas : les temps sont à une élémentaire humilité...

Vous les avez reconnu : vous les connaissez, ces Hummer promis à la casse. Ils vous diront le plus grand mal des uns et des autres pour cacher leur mal-être personnel et leur immense détresse de voir le train s’éloigner sans eux. Un train où ils avaient généralement payé très cher leur place en première – malheureusement avec l’argent de leur actionnaire plus qu’avec leur propre tirelire.

Ces Hummer seront bientôt à court d’essence. Trop massifs pour les nouveaux sentiers de la gloire. Trop voyants pour des regards lassés du tapage imbécile de la Bulle Epoque. Trop gourmands dans un monde qui aspire à une nouvelle frugalité.

Obsolètes, mués en témoins gênants d’un passé qui a encore du mal à passer, ces Hummer horlogers sont déjà hors champ, hors mode – précisément qu’ils n’étaient qu’à la mode, et seulement à la mode – et hors connexion. Ils étaient tout simplement dénués de cette étincelle de vraie vie, de cette substance impalpable, vitale et primordiale qui défie le temps, mais qu’ils confondaient avec un supplément d’âme superfétatoire...

 



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