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Business Montres signalait hier une montre problématique dans le catalogue de la prochaine vente new-yorkaise de Patrizzi & Co.
Retour sur cette Vacheron Constantin « Cioccolatone », démontage de l'affaire et décodage de l’opération.
••• LE FLINGAGE EN RÈGLE D’UNE « CIOCCOLATONE »
Sans le facteur confiance, les enchères horlogères ne seraient qu’une périlleuse foire d’empoigne. Raison de plus pour surveiller de près ce marché et en signaler tout questionnement par les amateurs. Business Montres rapportait ainsi, ce lundi (info n° 5), un certain affolement de la communauté des amateurs face à une Vacheron Constantin du dernier catalogue Patrizzi & Co (lot n° 70 de la vente new-yorkaise du 9 mars).
Sur le forum Vacheron Constantin de PuristSPro, WHL, « modérateur », mettait ainsi les acheteurs en garde contre cette montre (réf. 4764) en précisant qu’il n’en voudrait pas pour un centime alors qu’elle cote près de 100 000 dollars. Soupçon gravissime de la part d’un « modérateur », surtout sur un forum financé par Vacheron Constantin...
Selon WHL, il y aurait tellement de choses qui ne collent pas sur cette montre qu’il ne sait pas par où commencer. D’abord, selon lui, les Vacheron Constantin n’utilisaient plus depuis longtemps des balanciers bi-métalliques à l’époque de cette montre. Aucune Vacheron Constantin n’aurait eu ce type de finitions dorées pour le mouvement. La lune serait « mauvaise ». L’aiguille dateur également. Et, surtout, selon lui, « Vacheron Constantin a confirmé que ni le numéro de série, ni le numéro du mouvement ne correspondent, ou du moins qu’ils ne proviennent pas d’une même montre réalisée par Vacheron Constantin ».
Autant dire un « flingage » dans les règles de ce lot n° 70, aucune réponse à ces questions –parfaitement légitimes – n’étant venu de chez « quelqu’un de chez Osvaldo Patrizzi » auquel il aurait envoyé un message. Ce qui fait donc planer les doutes les plus sérieux sur la « garantie de cinq ans pour l’authenticité de la montre » accordée aux clients de Patrizzi & Co.
Accusation gravissime, encaissée sans broncher par le propre modérateur du vrai forum officiel Vacheron Constantin, l’excellent « Alex » (The Hour Lounge), bien obligé de reconnaître qu’un certificat d’authenticité serait le strict minimum dans ce genre d’opérations...
••• RÉFÉRENCE 4764, MOUVEMENT N° 376894, BOÎTE N° 342085 ?
Hier, Business Montres avait commencé son enquête, en découvrant notamment que ce catalogue, réalisé à New York, avait été abusivement « photoshopé », la « Cioccalatone » en question ayant été rectifiée sans souci d’authenticité. Contactée par Business Montres, la maison Patrizzi & Co promettait aussitôt de remettre en ligne la vraie image de la montre, non retouchée – ce qui a été fait lundi après-midi (ci-dessus : la vraie image, sans Photoshop, avec l’aiguille dateur à la bonne longueur).
Il était cependant nécessaire d’aller plus loin à propos des autres accusations : un faux grossier, cette Vacheron Constantin inconnue de la manufacture ? Dans ces cas-là, la moindre des honnêtetés est de se documenter, surtout quand on s’affirme « modérateur » para-officiel d’un forum commercial.
Référence 4764, mouvement n° 376894, boîte n° 342085 ?
Clic, clic et clic. Tiens, cette montre est déjà passée aux enchères, chez Antiquorum, en 1994.
Clic, clic et clic. Tiens, c’était pour la vente thématique « The Art of Vacheron Constantin » du 13 novembre 1994 – vente on ne peut plus « officielle et autorisée » puisqu'elle était organisée avec Vacheron Constantin et que toutes les montres de cette vente étaient proposées avec un certificat d’authenticité fourni par Vacheron Constantin (précision donnée en page 6 du catalogue).
Encore clic, clic et clic. Tiens, on en savait même un peu plus à l'époque que sur le catalogue Patrizzi & Co 2010, qui dit cette « Cioccolatone » simplement « Made in the 1950s », alors que la notice de 1994 précisait que cette montre, lot n° 253, était sortie de la manufacture en août 1953, pour être vendue en décembre 1953, chez Chronomes St., à Mexico (Mexique). Pas mal pour une montre dont on nous affirme que Vacheron Constantin, en 2010, trouve qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la production de la manufacture.
Ou bien Claude-Daniel Proellochs a raconté des craques en 1994. Ou bien c’est Charly Torres qui en raconte en 2010...
A moins que ce ne soit, tout simplement, le « modérateur » de PuristSPro qui raconte n’importe quoi sur la phases de lune « pas bonne », sur le balancier bi-métallique « anachronique », sur les finitions « douteuses » du calibre, sur les numéros « qui ne collent pas » et sur le reste...
Impossible de le vérifier à la manufacture, où les responsables du patrimoine sont devenus d’une discrétion absolue. Côté Patrizzi & Co, on se demande qui a contacté qui, les réponses aux questions posées étant simples à obtenir, évidentes, claires et publiables à tout instant...
••• NI FORCÉMENT MÉCHANTS, NI FORCÉMENT INTELLIGENTS
C’est là qu’on touche aux limites de cette machine à affoler les émotions collectives qu’on appelle Internet. En quelques mots, on y bâtit sa statue ou on y creuse sa tombe. On y carbonise une réputation d’expert comme on s’y drape d’une gloriole éphémère. On y piétine allègrement des intérêts commerciaux légitimes et on y favorise en coulisses d’autres intérêts commerciaux, moins légitimes. La liberté de parole y devient à la fois une capacité de nuisance et un exutoire à de sombres rancœurs, tout en constituant un des derniers remparts de l’indépendance d’expression face aux puissances politico-économiques. Bref, le pire comme le meilleur, sans qu’il soit toujours aisé de les distinguer...
La tenue de ces forums commerciaux – à ne pas confondre avec ceux des marques – est confiée à des « experts » auto-proclamés, plus ou moins appointés par les marques dont ils gèrent le trafic, pas forcément méchants mais pas forcément non plus très intelligents, dont on peut se demander s’ils flinguent en solitaire ou sur commande, en mercenaires chasseurs de primes.
La pratique du terrorisme y devient si fréquente qu’elle en est presque inconsciente. On fait vibrer plus facilement la corde de la sensibilité que celle de la rationalité, au prix d’un emballement des commentaires de la part d’amateurs « choqués » et d’« initiés » parfaitement capables d’expliquer pourquoi Patrizzi & Co refuse ( ?) de fournir un certificat d’authenticité...
« Buyer beware ! », titrait le « modérateur » WHL. C’est plutôt de lui qu’il faut maintenant se méfier...
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