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La Suisse, pays du luxe et du design. C'est l'image que veut donner l'ambassade de Suisse à Pékin en lançant l'exposition «ECAL: Luxury & Design», qui marque le premier acte de l'année commémorative célébrant les 60 ans de relations diplomatiques entre la Suisse et la Chine populaire.
«Le luxe, ça peut être la qualité du sourire que vous m'adressez», déclare Pierre Keller à cette jeune journaliste chinoise, éditorialiste pour un magazine de design et d'environnement urbain.
Filipa Zhao assistait à la Conférence de presse organisée par l'ambassade de Suisse à Pékin pour le lancement de l'exposition «ECAL: Luxury & Design» au musée de la prestigieuse Académie chinoise des beaux-arts.
L'exposition présente une sélection de travaux réalisés entre 2005 et 2009 par les étudiants de l'ECAL (Ecole cantonale d'art de Lausanne), filière Master en Design et industrie du luxe (MAS-luxe).
Etonnant inventaire
Une dizaine d'écrins de plexiglas posés sur des caisses de sapin estampillées ECAL révèlent les créations. Un seau à glace ou un service à thé faits pour la société française d'orfèvrerie Christofle, des pendentifs créés pour l'horloger suisse Audemars Piguet, de la vaisselle réalisée pour l'entreprise française Bernardaud, une luge en carbone fabriquée pour Hublot, des boîtes et des tasses pour Nespresso, des snowboards de marque Nidecker sertis de cristaux Swarovski, un avion en chocolat et un autre en fibre de carbone pour TAG Aviation, des canifs déjantés pour les 100 ans de l'entreprise Wenger...
C'est original, c'est surprenant, c'est inédit, mais est-ce vraiment cela, le luxe? La journaliste Filipa Zhao pose la question: «Cela ne correspond pas à l'image que je me faisais du luxe, mais je veux bien revoir ma perception.»
Dans la plaquette de l'exposition, le directeur de l'ECAL Pierre Keller demande: «Comment s'entendre sur une définition du luxe alors que chacune des entreprises avec laquelle nous collaborons a sa propre vision? Un seul point commun: la recherche de l'excellence.»
Et plus loin: «Additionner luxe et design me semblait produire un cocktail détonant. D'autant plus au cœur de la Suisse romande qui bénéficie en matière de haut de gamme d'une ceinture géographique exceptionnelle sertie de divers ‘joyaux’ des plus brillants (horlogerie, hôtellerie, cosmétique ...).»
Devant la presse chinoise, Pierre Keller met le doigt sur une apparente contradiction: «Pourquoi luxe et design, alors que le monde entier est en crise?» C'est parce que «quand tout va mal, nous avons besoin d'innovation», des propos que confirme dans le magazine Wallpaper l'éditorialiste Nick Compton: «Le bon côté des temps difficiles, c'est qu'ils vous obligent à vous améliorer, à oublier les ventes faciles, les stocks énormes et les rabais qui entraînent une banalisation du luxe. Ce modèle ne fonctionne plus.»
Un anniversaire sous le signe du luxe
L'exposition marque le lancement d'une année commémorative entre la Suisse et la République populaire. Les deux pays célèbrent soixante ans d'établissement de relations bilatérales, et Berne a prévu d'être très visible en Chine tout au long de 2010.
Lui importait-il de placer le début des festivités sous le signe du luxe? «C'est plutôt un hasard», déclare l'ambassadeur de Suisse à Pékin Blaise Godet, qui présidait la cérémonie d'ouverture. Mais «la Suisse est un pays où les produits et les services souvent sont chers. Alors autant les vendre avec l'idée qu'on achète du luxe. Je crois que c'est une bonne initiative, ça me plaît.»
Et c'est d'autant plus encourageant que «ce que vous voyez là, ce sont des objets utilitaires qui pourraient se retrouver dans des grandes séries industrielles. Donc oui, à terme je pense que cette exposition accompagne un mouvement de pénétration des marchés, chinois ou autres, avec des produits de luxe suisses...»
Yang Li est directeur de l'Académie des beaux-arts, dont il est aussi Secrétaire de la section du parti communiste. Pour lui, aucune contradiction entre produits de luxe et socialisme à la chinoise. «En raison de nos succès économiques, les objets de luxe sont très demandés en Chine», se contente-t-il d'expliquer, tout en déclarant qu'il connaissait le design des couteaux et des montres suisses, mais pas de ces objets exposés dans son musée.
«Je crois que les Chinois n'associent pas le design et la Suisse», estime l'ambassadeur Godet. «Par exemple, on adore les grands couturiers et on pense à l'Italie ou à la France. Mais on oublie que les tissus ont vu très souvent le jour en Suisse, sur le plan du design et de la production». Judicieuse initiative, donc, que d'initier la Chine au design de luxe suisse.
Des scrupules à propager le luxe dans un pays communiste? Que nenni! répond Pierre Keller. «Il n'est bientôt plus communiste.»
Alain Arnaud, Pékin, swissinfo.ch |