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Un rapide bilan d’étape avec « Mr Hublot », Jean-Claude Biver, à la veille de Baselworld et dans la foulée de son annonce d’un partenariat avec la Formule 1.
••• ENTRE POUSSIÈRE DU DÉSERT ET CLIMATISATION...
Ce sera un thé vert, sans sucre et sans croissants, avec un Jean-Claude Biver qui revient du fitness, en short, et qui aime tellement « parler boutique » qu’il en oublie de filer tout de suite sous la douche !
Peu lui importe l’heure : son horloge biologique est depuis longtemps désynchronisée du temps civil. Il a trop abusé du jet lag pour faire encore attention aux fuseaux horaires dont sa Big Bang ne dispose pas : même en voyage, il ne porte pas une King Power GMT, sculptée dans ce « King Gold » à l’incroyable couleur rose pastellisé ! Son nouveau jouet, en ce moment, c’est le Tourbillon Répétition Minutes qu’il présentera dans quelques jours à Baselworld, sur la base d’un ancien calibre BNB (peut-être la meilleure sonnerie du marché) amélioré par une poussoir d’armage intégré dans la lunette (l’épaulement classique des « oreilles » de la Big Bang sert ici de prise pour lancer la sonnerie), avec un cadran squeletté en spirale de toute beauté…
Peu importe le lieu : c’est tout juste si on sait où on est, au pays de la danse du ventre et des palmiers qui poussent moins vite que les gratte-ciels, désert qui est aussi, pour quelques jours, le pays des dromadaires et de la Formule 1, discipline sportive née il y a soixante ans, tout comme Jean-Claude Biver.
Entre poussière et climatisation, on ne gardera donc que le prétexte de ce thé vert – précédé, il est vrai, de nombreux arabic coffees – pour essayer de comprendre où en est aujourd’hui Hublot. D’autant que, depuis plusieurs mois, la multiplication des effets d’annonce (l’America’s Cup, les Championnats du monde de ski alpin et de skin nordique, l’Euro 2012 de football, Depeche Mode, Bode Miller au Jeux olympiques, Maradona, Veronica et les autres) oblige à se demander si la marque ne camoufle pas un léger essoufflement créatif sous des tonnes de crème Chantilly marketing…
C’est là que Jean-Claude Biver démarre au quart de tour et enchaîne, comme au fitness, une série d’abdominaux argumentaires travaillés en profondeur…
• Si inflexion stratégique il y a, c’est que Hublot, après avoir beaucoup travaillé à l’élargissement de sa gamme place aujourd’hui ses forces dans la consolidation de son concept de « marque ». Ne plus confondre Hublot et Big Bang, dont on pratiquait la monoculture. En cinq ans, la Big Bang a été déclinée en cinq boîtiers et en de multiples collections masculines ou féminines, y compris par la « bigbanguisation » des Classic et sans parler des séries limitées : c'est beaucoup, mais il faut con-so-li-der ! S’il n’y a pas d’élargissement spectaculaire du territoire de la marque, hormis dans l’expression de sa communication, c’est qu’il y a un travail – moins visible, mais tout aussi sensible – de densification de son offre, dans différents domaines qui relèvent de sa vie « secrète ». La structuration en profondeur de Hublot comme « marque » à part entière, c’est-à-dire pérenne et auto-suffisante, a réclamé l’ouverture de plusieurs chantiers :
• Le SAV, terrain qui devrait être réinvesti en priorité par les marques et qui est loin de l’être, ce qui ne pourra qu’entraîner, à court terme, le gonflement d’une bulle d’insatisfaction et de méfiance chez les amateurs. Qu’on se souvienne ici du « théorème de François-Paul Journe », tel qu’il a été formulé par Business Montres en août 2007 : au bout de vingt ans de production, de façon automatique, on travaille plus à réparer le passé qu’à écrire le présent ou à préparer l’avenir. A méditer, surtout chez les représentants de la nouvelle génération !
Conscient de ce problème, Jean-Claude Biver a pris conseil d’un retraité aux compétences exceptionnelles : l’homme qui a mis en place le réseau SAV de Rolex, référence internationale de tout premier plan dans ce domaine. Aucun doute pour Business Montres après visite et audit de ce SAV : Rolex est numéro un mondial dans ce domaine (comme dans d’autres !), et de très loin par rapport aux concurrents. Donc, Hublot se donne les moyens de gérer dans l’avenir ses succès présents. Un bon point qui rassurera tout le monde au moment où la marque entame une verticalisation très poussée…
• La politique commerciale de Hublot, qui se voit elle aussi consolidée. Exemple récent : le pilotage des boutiques monomarques – gérée en direct comme Vendôme et Madison ou déléguée à une vingtaine de partenaires, plus une dizaine de projets en cours – vient d’être confié à l’excellent Ion Schiau, qui était jusqu’en février le plus dynamique importateur des plus belles montres suisses en Roumanie. Il coiffera également les « boutiques éphémères » comme celles des circuits de F1 dont Hublot est désormais partenaire officiel (Business Montres du 13 mars).
Une marque qui se trouve dotée d’une trentaine de boutiques (bientôt Berlin et quelques stations exotiques à fort potentiel) doit se projeter autrement dans l’avenir qu’une marque à la recherche de parts de marché comme l’était jusqu’ici Hublot, sous la houlette impatiente de Jean-Claude Biver. La différence a été prouvée et la concurrence dépassée : il reste maintenant à verrouiller ces positions dominantes pour les institutionnaliser…
• La verticalisation poussée côté mouvement, dont les avancées sont plus repérables en vitrine. L’industrialisation du mouvement chronographe Unico (roue à colonne côté cadran, organe réglant extractible : révélation Business Montres du 12 février 2009) est déjà entamée, avec l’achat récent d’un parc de machines trois-axes qui permettront une montée en puissance rapide, avec un objectif à court terme de 20 000 mouvements par an. Les solutions trouvées pour cette industrialisation – apportées, comme pour le SAV (ci-dessus) par un retraité de la direction d’ETA – ont permis de faire d’Unico à la fois un « tracteur » très fiable et une « base » pour de nombreuses mouvements, qui vont aujourd’hui du trois-aiguilles simple aux prochaines complications modulaires.
Ces solutions permettent également des gains de productivité inattendus : une Unico se monte désormais en deux heures, comme quatre heures prévues initiatialement. Ce qui permet de proposer ce mouvement « 100 % manufacture in house » dans des montres qui ne sont guère vendues que 2 000 CHF de plus que celles qui emboîtent l’increvable mouvement Valjoux de la famille 7750. Cet effort de verticalisation est soutenu par le développement de nouvelles compétences dans le domaine des boîtiers et de l’usinage des nouveaux matériaux (carbone, etc.).
• La verticalisation « matricielle », récemment marquée par la reprise d’une équipe très pointue d’ex-horlogers BNB (Mathias Buttet en tête) et la mise en place de la nouvelle Confrérie Horlogère Hublot, qui fonctionnera comme un électron libre dans le domaine de la R&D comme dans l’exploration de nouveaux champs d’expression horlogère. D’incroyables développements non classiques sont sur les établis – notamment le projet Anticythère, cher à Business Montres et que les initiés pourront découvrir partiellement à Baselworld. Et tous les « croisements génétiques » sont possibles, puisqu’on étudie déjà, sur la base de l’actuelle répétition minutes-tourbillon (voir ci-dessus) l’intégration d’un chronographe.
Cette verticalisation « matricielle » – couplée à la verticalisation industrielle (ci-dessus) – permet désormais à Hublot de proposer, en authentiques calibres « manufacture », une palette de mouvement que très peu de marques peuvent offrir, en partant de la répétition minutes jusqu’au trois-aiguilles de base. De quoi poser Hublot dans les cinq premières « vraies » manufactures du marché – potentiel créatif en prime !
• Dernier chantier, peut-être le plus stratégique : le plaisir d’avancer ! Jean-Claude Biver est un instinctif qui fonctionne à l’émotion. Celles qu’il ressent sont aussi fortes que celles qu’il dispense aux amateurs. C'est ça qui le fait avancer et c'est ça qu'il veut préserver. Tant qu’il s’amusera à monter des « coups fumants » comme la préemption, au nez et à la barbe de ses concurrents, grands ou petits, du partenariat avec la F1, il continuera à jouer les électrons libres. Il poursuivra sa construction d’une marque atypique, qui ne fréquente les chemins de traverse que pour les baliser comme futures autoroutes pour l’ensemble des autres marques.
Le secret de sa célèbre « vision » – celle qui le fait remporter, avant les autres et à leur place, quelques-uns des plus fameux hochets du sponsoring – est dans ce « plaisir » de construire une marque non conformiste. On serait tenté de dire que la clé de ce qui est loin d’être un « activisme opportuniste » est dans l’érotique de la réalisation de soi par les vibrations émotionnelles procurées aux autres…
•••• Si quelqu’un en doutait encore, on n’a pas fini d’entendre parler de Jean-Claude Biver dans les médias d’ici à la fin de l’année : il jubile à l’avance des « bons coups » qu’il va jouer, pour lui et pour sa marque autant que contre ses compétiteurs. Rythme prévisionnel : une annonce par mois, tous azimuts, dans le sport comme dans l’actualité !
••• LE PLUS ÉMOUVANT EST PEUT-ÊTRE, DANS CETTE « ÉROTIQUE MANAGÉRIALE », la satisfaction presque puérile, mais très intense, qu’un Jean-Claude Biver, qui est loin d’être un perdreau horloger de l’année, ressent encore quand il voit, dans une file d’attente d’aéroport, un porteur de Big Bang. Le courant passe immédiatement entre cet amateur et le créateur d’une montre qui semble être devenu un « code secret » entre initiés – un signe ésotérique d’appartenance à une certaine « chevalerie » plus mentale ou socio-culturelle que réellement sociale et financière.
• De même qu’il n’hésite pas, au restaurant, à offrir l’addition à ses voisins de table s’il repère un porteur de Big Bang, il prend un malin plaisir à saluer, dans les allées d’un grand prix de F1, ses « clients » qui sont aussi des copains : les champions du monde, passés, présents ou à venir. Des « vrais » clients – c’est-à-dire qu’ils paient vraiment leurs Big Bang, le snobisme étant ici de leur refuser avec malice, même au plus décoré d'entre eux, le moindre discompte sur les séries limitées qu’ils s’arrachent comme des objets du culte contemporain.
• On découvre alors que la plupart, sinon la quasi-totalité, des « ambassadeurs » mercenaires recrutés par les marques – suivez mon regard, inutile de les dénoncer ! – sont, à titre privé, des amoureux fous de la Big Bang – et pas des plus modestes. Les poignées de main et les discussions amicales sont ici très révélatrices : ces montres-là, ils les portent sans obligation contractuelle…
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