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En termes techniques, on appelle cela une consolidation : on agrège différents actifs économiques pour donner un sens stratégique à ce qui n’était jusque là qu’un marché disparate. C’est ce que vient de faire le groupe Edipresse (Suisse) en se constituant en acteur de premier plan sur le marché de la presse francophone spécialisée.
Edipresse, qui possède notamment La Tribune de Genève, vient ainsi de racheter le groupe GMT (médias horlogers grand public comme GMT Magazine, décliné en Ukraine et aux Etats-Unis) et La Tribune des Arts (Genève), ainsi que le site de référence Worldtempus.com et quelques autres friandises, comme l’organisation du Grand Prix d’Horlogerie de Genève ou le magazine de mode parisien Citizen K.
Edipresse crée ainsi un pôle de puissance dans l’industrie du luxe, Edipresse Luxes : il sera piloté, depuis Genève, par Marco Cattaneo. Ce pôle devrait s’étoffer dans les mois qui viennent avec d’autres titres connexes, en Europe et dans le monde entier.
Il s’agit notamment de monter un réseau capable de décliner, autour de tous les magazines du groupe Edipresse, des suppléments internationaux liés à l’univers du luxe.
Edipresse Luxes devrait ainsi proposer des nouveaux concepts dans la presse féminine internationale, ainsi que des produits hors-médias ultra-ciblés, notamment en Asie
L’objectif est de proposer aux marques de luxe un pack cross-médias d’intervention, pour toucher de façon consolidée tous les consommateurs de luxe, notamment dans les pays émergents (Asie, Russie).
BUSINESS MONTRES & JOAILLERIE
Espérée, prévue et annoncée à plusieurs reprises dans Business Montres, cette consolidation était devenue nécessaire sur le marché atomisé de la presse horlogère traditionnelle : trop de titres pour trop peu de lecteurs, avec des budgets publicitaires désormais concurrencés par Internet et par la presse magazine généraliste.
Il y une quinzaine d’années, ce secteur était passé de la presse professionnelle ultra-spécialisée (B to B) à une forme de presse plus magazine (life style), qui avait fini par « contaminer » la presse d’information grand public : quasiment tous les news magazine et tous les quotidiens ont aujourd’hui des « suppléments montres », voire des pages montres régulières, justifiées par l’inflation annuelle des dépenses publicitaires consenties par les marques.
Cette communication « classique » change à présent de génération : les budgets se ventilent désormais sur la presse magazine non spécialisée (notamment la presse mode ou art de vivre) et, de plus en plus, sur les nouveaux médias (Internet) et sur le hors-médias (événements, parrainages sportifs, marketing mobile, médias tactiques, etc.).
Nouvelle génération, donc nouvelle stratégie médiatique : les marques étant de plus en plus globales, la presse écrite doit leur proposer une approche globale, tant en termes de géographie que d’approche multi-médias.
« Think global, act local » : la presse écrite – marquée par des codes culturels forts – vient ici à la rencontre des nouveaux médias de masse (Internet, les nouvelles télévisions, les outils numériques marqués par la convergence mobile-PDA, etc.).
Le groupe Edipresse sonne la fin de la récréation pour tous les « petits joueurs » qui opéraient sur le marché de la presse horlogère, avec des offres plus mirobolantes que consistantes : un minimum d’entregent et beaucoup de copinages suffisaient jusqu’ici à monter des « hors-séries montres » à la diffusion plus symbolique que réellement garantie.
C’est le début des grandes manœuvres : par sa seule logique de système, le groupe Edipresse devient le pôle majoritaire sur le marché suisse et, à très court terme, sur le marché francophone (les amateurs n’ont pas plus de frontières que les marques) : tous n’en mourront pas, mais peu survivront, et seulement s’ils ont l’intelligence de se cramponner à des niches de légitimité pertinentes, qui ne se limitent pas au carnet d’adresses des uns ou au charme des autres.
L’heure est à la professionnalisation et, surtout, à la définition de nouveaux contenus originaux pour la presse écrite, qui ne peut plus se contenter de recopier des dossiers de presse déjà mis en ligne depuis plusieurs semaines par les marques !
Les autres marchés européens ne devraient pas tarder à bouger (Espagne et Allemagne, notamment). On parle du prochain lancement d’une version espagnole de Revolution, le magazine horloger né à Singapour qui a donné un gros coup de vieux à toute la presse spécialisée européenne.
Sur les marchés émergents, compte tenu de l’internationalisation d’Edipresse, on peut s’attendre à quelques surprises : c’est sur ces marchés non matures de nouveaux consommateurs que les « suppléments horlogers » ont aujourd’hui du sens, et plus vraiment sur les marchés saturés (Europe) où les consommateurs ne sont plus mobilisables qu’à travers les nouveaux « outils nomades » et dans une toute autre logique que celle du luxe marketing classique.
Affaire à suivre, donc : le paysage médiatique horloger est à la veille de grands bouleversements. Cela m’étonnerait que les concurrents restent longtemps inertes ! Non seulement dans le secteur (très menacé) de la presse écrite, mais aussi dans celui des médias internet, où le « gâteau luxe » provoque une consolidation parallèle...
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