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Alerte aux pompiers pour l’un, chasse aux pompeurs pour l’autre : on ne s’ennuie pas dans un salon dont tous les indicateurs semblent repassés au vert et où circule une énergie nouvelle, avec des détaillants qui ont retrouvé l’appétit et des marques qui ont retrouvé le moral.
Dans les couloirs,
…LE FRANC-TIREUR A CROISÉ…
1)
••• JEAN-FRANÇOIS RUCHONNET (SNYPER)
…qui vient de créer la première alerte incendie de Baselworld 2010 : pour tester le laser associé à sa Snyper de « sniper » [montre qui intéresse, à titre personnel, les vrais tireurs d’élite de la police française], il n’avait rien trouvé de mieux que d’émettre de la fumée afin de mieux régler mieux le faisceau laser. Ce qui a immanquablement déclenché une alerte incendie lancée par les capteurs de fumée, avec le débarquement, en quatre minutes, de trois voitures de pompiers, sirènes hurlantes, suivi de l’irruption d’une escouade casquée et masquée anti-fumée dans le hall 4.1. Un peu nul ! Inutile d’accuser Jessica la Snypeuse et sa copine russe : pour une fois qu’elles ne mettaient pas le feu… En revanche, le père de la Snyper, de la Cabestan et de la Marvin [pour ne citer que trois des six montres que Baselworld lui doit] a dû ranger sa tenue de tireur d’élite des grenadiers suisses en campagne [camouflage FOMEC : fond, ombre, mouvement ,éclat, couleur] : plus question de tenter le diable et d’attirer, cette fois, une unité d’intervention anti-terroriste de la police suisse…
2)
••• CHRISTIAN VIROS (TECHNOMARINE)
…qui recevait sur son stand (Hall 1.1) quelques-uns des investisseurs dans son tour de table, alors que l’entrée au salon était troublée par une distribution de bouteilles d’eau effectuée par un commando de nymphettes en bikini missionnées par TechnoMarine. Une façon de nous rappeler que la marque entendait se jeter à l’eau avec son nouveau concept de branding ? Discussion de fond sur l’honnêteté que toute marque se doit d’avoir vis-à-vis de ses clients, qu’on vende des montres à 500 ou à 500 000 dollars : c’est dans le détail – perçu consciemment ou non par celui qui fréquente la marque – qu’on peut de la rigueur de cette intégrité et de la cohérence du discours de la marque. Comprenez : c’est dans la qualité de présentation d’une vitrine, dans le raccord d’un boîtier et d’un bracelet, dans le style des visuels mobilisés qu’on décèle ce souci de perfection dans chaque détail et dans la somme de tous les éléments du mix…
3)
••• JEAN-CHRISTOPHE BÉDOS (BOUCHERON)
…qui jubile devant ses nouvelles collections féminines et précieuses, rebaptisées « Les sensuelles », « Les audacieuses » et « Les absolues », ce qui est déjà un premier bonheur sémantique et une promesse de créativité pour le traitement de ces montres bijoux ruisselantes de séduction. Principe : « Faire du temps le bijou de l’éternel féminin ». Il fallait sans doute un « beau gosse » du pays toulousain comme Jean-Christophe Bédos – carrure de rugbyman mais cœur de troubadour – pour capter cette magie Boucheron et la faire infuser dans des collections de montres comme « Ma jolie », adorable retour aux codes du glamour des années cinquante [confirmation au passage de la tendance forte de Baselworld pour les femmes : l’ultra-petit pourvu qu’il soit hyper-précieux, dans la forme comme dans le fond] et à une sensualité à fleur de peau assumée avec une certaine insolence. 18 mm d’or rose quand d’autres dédient aux femmes des montres qu’on réservait autrefois aux scaphandriers : on ne doit pas parler des mêmes femmes ! Clin d’œil masculin, cependant, avec la Reflet XL Château-Latour, dont les cadrans ont été imaginés à partir d’un matériau aussi rare qu’éphémère et précieux : les douelles des barriques de chênes bi-centenaires qui ont servi à élever le précieux Latour 2005 (délicate couleur tannique pour cette édition limitée à 100 pièces : un seule barrique !). Pour les garçons, le meilleur reste à venir, avec un « jouet » qui ira encore plus loin que la Richard Mille à rouages de diamants co-créée avec Boucheron : impossible d’en dire plus, mais on entend déjà le… huhulement d’indignation des pisse-vinaigre de l’intégrisme horloger…
4)
••• VARTAN SIRMAKES (GROUPE FRANCK MULLER)
…qui tient son mini-WPHH à la villa Wenkenhof, où ses visiteurs sont conduits en Rolls-Royce, à deux pas de Baselworld (Business Montres du 3 février). Conversation à bâtons rompus sur l’actualité horlogère, alors qu’il venait de se faire méchamment égratigner dans un article assez absurde de L’Hebdo (Suisse), qui lui reprochait d’être un « sauveur douteux en Biélorussie ». On sait que le groupe Franck Muller vient d’investir une grosse dizaine de millions pour prendre 52 % des actions de Luch, une manufacture ex-soviétique de montres implantée à Minsk,, privatisée en 1996 et renationalisée récemment (révélation Business Montres du 19 octobre). Pour le président Loukachenko, qualifié de « dernier dictateur d’Europe » par l’auteur de l’article, une certaine Tasha Rumley, Vartan Sirmakes serait considéré à Minsk « comme le messie ». Passons sur le « dernier dictateur d’Europe », récemment reçu au Vatican ou visité par le président de la Confédération helvétique et tentons de comprendre : on reproche au groupe Franck Muller de vouloir sauver une manufacture de montres biélorusse, d’en maintenir les centaines d’emplois et de doubler les salaires, moyennant quelques avantages fiscaux et des cessions de droits immobiliers. Pas vraiment de quoi fouetter un chat, même s’il est choquant de déceler dans cet article une xénophobie rampante, qui consiste à désigner Vartan Sirmakes comme… « L’Arménien » ! Choquant après 34 ans de résidence en Suisse. D’autant que l’article, largement téléguidé par des opposants locaux, non sans interférences avec des intérêts suisses concurrents [on dit que le Swatch Group était sur les rangs pour la reprise de Luch, de même que des investisseurs asiatiques], passe à côté de l’essentiel : s’il y a des sans doute profits immobiliers à réaliser, il y a surtout un vrai projet de relance de Luch derrière cette affaire, avec plusieurs collections de montres déjà dessinées (conception suisse, mouvement Citizen, habillage biélorusse, positionnement prix autour de 500 euros) et la création d’un pôle horloger qui permettra de rayonner dans l’espace grand-russe, puisque la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan sont liés par des accords de coopération économique qui ressemblent à ceux de l’Union européenne. Si motivation il y a du côté de Watchland, c’est pour cette porte biélorusse ouverte sur l’essentiel des marchés ex-soviétiques : toutes les montres Franck Muller qui entrerait dans cet espace par la Biélorussie bénéficieraient de fait d’une exemption automatique de taxes d’importation dans les autres pays. Au vu de ce qu’il faut débourser aujourd’hui pour introduire des montres de luxe en Russie, on comprend mieux la stratégie de Vartan Sirmakes, qui est décidément le punching ball préféré des journalistes romands les plus faciles à instrumentaliser pour des causes qui dépassent les enjeux purement horlogers…
5)
••• MARC MICHEL-AMADRY (EBEL)
…qui dévoilait hier sa nouvelle – et superbe – campagne internationale de publicité (dévoilée par Business Montres le 18 mars). Pour Ebel, c’est un retour aux sources, puisque la première campagne des Architectes du temps reprenait ce concept de drapage d’une montre. C’est aussi un signal fort adressé aux réseaux pour recréer du trafic dans les boutiques avec une communication plus percutante, dont les visuels – remarquablement réalisés (voir le making of proposé par Business Montres – inscrivent Ebel dans une logique d’enracinement « élémentaire » (l’ardoise, la terre, l’eau, la soie, etc.) et d’« empreinte » laissée par le temps sur la matière. Cette campagne s’accompagne d’un repositionnement de l’entrée de gamme Ebel à des prix plus accessibles pour des produits plus désirables, notamment pour ce qui concerne les collections féminines (Classic Sport : à partir de 1 690 CHF). Cette stratégie de conquête est d’autant plus ambitieuse que le réseau s’interroge actuellement sur sa dépendance vis-à-vis des grands groupes : en leur proposant de créer pour eux de nouveaux facteurs de croissance commerciale, les nouvelles collections peuvent permettre à Ebel de retrouver la place qui était la sienne dans les années quatre-vingt…
6)
••• BRUNO BELAMICH (BELL & ROSS)
…qui débarquait à Baselworld avec une collection BR Vintage qui pourrait à elle seule résumer l’esprit « retour aux racines » qui est un des maîtres-mots de 2010 : une montre ronde, qui reprend l’esthétique de la BR Instrument carrée, mais en l’adaptant dans les moindres détails du cadran et du boîtier (première image : Business Montres du 16 mars). Discussion, précisément, sur ce fine tuning où la réussite s’une proportion et d’un équilibre se joue sur un dixième de millimètre ou sur un degré d’angle quand il s’agit d’équilibrer une courbe. Réussite souvent appréciée de façon instinctive et non rationnelle par le cerveau (qui a une appréciation innée de l’harmonie), mais il suffit de comparer l’avant/après pour que cela devienne évident. L’ancienne collection Vintage de Bell & Ross (des montres rondes et classiques) ne générait plus de différence créatrice d’identité, il fallait soit la supprimer (alors qu’elle génère encore une part sensible des ventes sur les marchés les plus anciennes de la marque, à commencer par la France), soit la faire évoluer en lui redonnant de la densité esthétique et un nouveau contenu « racinaire » : c’est le choix qui a été opéré, avec une transfusion massive de codes BR (carré) dans un style plus apaisé de boîtier (rond). Une sorte de quadrature du cercle magistralement comprise, qui confirme l’extrême talent stylistique d’un Bruno Belamich dont on remarque, après quinze ans de Bell & Ross, qu’il a été un facteur d’influence marquant de la révolution horlogère du XXIe siècle…
7)
••• ANNE-VALÉRIE COMPAIN (CONCORD)
…qui recadre, relance et retravaille tout le marketing de Concord, sous la houlette de son nouveau « patron », Marc Michel-Amadry, porteur de la double casquette Ebel-Concord (annonce Business Montres du 19 janvier). Même s’il n’est pas évident de succéder à un Vincent Perriard (passé chez TechnoMarine), et alors que la maison était un peu restée au point mort pendant l’intérim assuré par Alex Grinberg, le dispositif Concord a été regroupé et surtout remotivé. « Les affaires repartent », comme on dit, avec quelques nouvelles propositions et, surtout, cette dynamique élémentaire sans laquelle une marque se survit en s’asphyxiant : le sang circule à nouveau et la priorité est au retour de la confiance dans la relation avec les détaillants. Les bases de la nouvelle identité de Concord sont posées, ainsi que le style des montres et l’esprit qui anime la marque (coup de chance, le dessin de la C1 a conservé toute son audace rupturiste) : il faut maintenant reconstruire une vraie relation de confiance avec les partenaires détaillants comme avec l’opinion des amateurs, tous un peu désorientés par le coup de frein de l’été dernier. Pour les consolidateurs qui succèdent aux dynamiteurs, la vie d’une marque n’est pas un long fleuve tranquille !
8)
••• LAURENCE NICOLAS (DIOR)
…qui a réussi à travailler une collection 2010 d’une dignité horlogère remarquable, tant du côté des collections féminines que pour les hommes. Complications mécaniques des deux côtés et reprise inlassable du moindre détail, exactement dans la ligne de la haute couture, où les finitions de l’envers sont aussi fortement travaillées que les broderies qui accrochent l’œil lors des défilés. L’esprit Dior ne se réduit pas à des sertissages « neige », ni à la multi-proposition d’une mini-Dior aussi gourmande en mini-taille (pierre dure) qu’éblouissante avec ses méga-cadrans en opale de feu : le style Dior est aussi dans l’insolence d’un module GMT exclusif, décliné dans la collection masculine Chiffre rouge aussi bien que dans la saveur très horlogère de la Christal 8 (image ci-dessus : notez un style Art Déco à la Delaunay et une style horloger très affirmé, comme cette « aiguille » des rondes parfaitement ronde pour rester dans le concept Art déco, ou le soin apporté aux finitions du cadran). En prenant un peu de recul, on constate que les montres Dior sont passées, en moins de cinq ans, d’un statut de « griffe fashion » à celui de créateur néo-horloger, capable de faire coexister, sous une même ombrelle, des propositions joaillières de premier plan et des concepts mécaniques plus pointus, pour l’instant réalisés pour Dior par des ateliers spécialisés, eux aussi de référence. Pour l’instant ? On peut parier que le parcours horloger de la marque ne fait que commencer…
9)
••• MAXIME ARTSINOVITCH (MAXIMILIAN)
…venu « en touriste », comme pour tous les salons horlogers : le « King of Grey Market » (auto-proclamé) a profité, comme toujours, de l’actualité horlogère pour inspirer – de son propre aveu – des articles à quelques journalistes naïfs comme celui qui nous expliquait récemment que « le marché gris fait ses repérages à Baselworld » (Le Temps, Suisse, du 17 mars). On imagine que ses opinions sont un avis d’expert, même si le « King of Parallel » s’est maintenu refait une santé (mais pas des amis) en jouant les consultants pour les douanes russes en matière d’importations illégales de montres suisses… Le bouillonnant Artsinovitch, qui a développé à Londres la marque de joaillerie Maximilian, a un autre marotte : la chasse aux trois millions de dollars qui lui auraient « carotté » Franc Vila et Mario Scotto (le créateur et le manager de la marque Franc Vila. Il alimente donc d’autres journalistes (ou les mêmes) en dossiers « accablants » (Le Temps) et d’autant plus abscons que les procédures judiciaires en cours sont d’une rare complexité. Sympathique et bravache, Maxime Artsinovitch n’en promet pas moins des interventions spectaculaires sur le stand de Franc Vila à Baselworld, des coups d’éclat en place publique et assez de déballages mélodramatiques pour couler définitivement la marque – ce qui ne lui permettra guère, soit dit en passant, de rentrer dans ses fonds (affaire évoquée à plusieurs reprises par Business Montres, notamment le 11 février 2009 ou le 1er mai dernier)…
10)
••• LE PANDA DE BASELWORLD
…qui commence à tourner au phénomène de mode pour marquer une certaine différence sur le cadran des montres : annoncé par Business Montres dès le 2 mars, il y est revenu le 12 mars avant de proliférer à Baselworld dans les halls périphériques avant de partir à l’assaut des grandes halles, où on le signale déjà au 1.1… On le retrouve sur le cadran des montres ou sur les écrans des iPhone (un peu moins sur les Blackberry). Autocollant facilement repositionnable, il s’impose comme un clin d’œil sur le cadran de la montre, quelle que soit la marque : puisqu’on sait depuis longtemps que les montres ne donnent pas l’heure, mais qu’elles « sont des bijoux » (Nicolas Hayek), autant y coller un panda narquois et désinvolte, qui marque le non-conformisme de la nouvelle génération et une intéressante légèreté post-crise. Signe des temps : personne ne sait où nichent ces pandas, ni comment on peut en trouver. Il faut être initié – par d’autres initiés ! – pour s’en procurer. Cet animal viral est un défi à ceux qui se prennent trop au sérieux…
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