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Il y a des modes sémantiques aussi impérieuses que la largeur des pantalons ou la longueur des cheveux : in-con-tour-na-bles !
Petite sélection du vocabulaire chic en vogue dans les standsde Baselworld 2010.
A croire que tous les marketeurs se sont donné le mot !
1)
••• ACCESSIBILITÉ – à préserver à tout prix…
…mais sans pour autant verser dans un haïssable low cost qui ruinerait la réputation de la marque et des années d’investissements dans le branding : toute l’astuce consiste donc – sans jamais avouer qu’on propose des « produits de crise » (quelle crise ?) – à procéder à des baisses spectaculaires de tarifs, à propos desquels on argumentera en présentant cette déflation comme un « plus consommateur », un « élargissement de la pyramide » ou un « repositionnement agressif pour stimuler le trafic en POS ». Bref, il s’agit de recadrer l’offre pour les économiquement affaiblis des pays émergés, alors que les émergents chipotent moins sur les étiquettes – sauf les plus riches des amateurs exotiques, qui ont déjà acquis les réflexes de questionnement des marques tels qu’ils apparaissent dans les pays développés…
2)
••• ANIMATION – à multiplier…
…surtout quand la marque n’a rien à proposer de vraiment neuf et que l’imagination n’est plus au pouvoir : on va donc « animer », « décliner », « élargir » ou « renforcer » des malheureuses collections qui n’en peuvent mais d’avoir été surexploitées dans toutes les matières et dans toutes les couleurs. L’animation, c’est ce qui reste quand on a tout oublié de ses obligations de marque : créer la différence, surprendre le consommateur, affirmer l’originalité de son offre, apporter au marché une réponse nouvelle et intéressante. L’animation, c’est la bouée de sauvetage avant le naufrage du Titanic, quand le grand orchestre des marques entame collectivement un étonnant Plus près de toi, mon vieux (vieux fond de collection,s'entend) !
3)
••• BLING-BLING – à oublier…
…d’urgence et avec d’autant plus de véhémence dans la condamnation publique qu’on est soi-même vaguement suspect de s’être abandonné à d’aussi vulgaires bacchanales esthétiques. Quelle unanimité dans la condamnation d’une abomination présente qui était si délicieuse et prometteuse hier : l’enfer du bling-bling, c’est les autres [suivez mon regard !], ceux qui ont été trop loin dans la dérive du mauvais goût lié au mauvais argent d’une mauvaise ambiance spéculatrice. Quel enthousiasme dans la réprobation inconditionnelle d’un « style Jacob & Co » que les sociologues du XXIIe siècle repèreront comme un des marqueurs esthétiques fondamentaux de la Bulle Epoque. Que celui qui n’a jamais abusé du serti jette la première pierre !
4)
••• BULLSHIT – à dénoncer…
…avec une véhémence indignée qui certifiera qu’on n’a pas soi-même versé dans ce détestable travers de raconter tout, son contraire et n’importe quoi sur n’importe quel sujet sans (trop) redouter d’être contredit. Le temps des « bullshiteurs » est révolu – ce qui devrait nous devoir une ère nouvelle de parler-vrai, de transparence et de franchise universelle. Regardez autour de vous et cherchez l’erreur ! Les « bullshiteurs » seraient-ils de retour ? Disons plutôt que le plus évident symptôme du néo-bullshit est précisément la dénonciation du paléo-bullshit : ôte-toi de là que je me mette à ta place pour baratiner les foules. Pour sauver la face, on continue à faire langue de tout bois, mais, c’est bien promis, on a rompu avec les-mauvaises-habitudes-d’un-passé-qui-s’est-mal-passé (promesse qui n'engage que les perroquets qui y croient et qui la reprennent en boucle)…
5)
••• IDENTITÉ – à renforcer…
…même (et surtout) si on ne s’est jamais préoccupé de ce qui pouvait bien créer la différence dans sa proposition de marque. Le mot ADN étant totalement ringardisé, il convient de le remplacer par un mot-valise comme « identité », concept philosophiquement assez flou qu’on puisse bourrer ladite valise des pires ingrédients d’une théorie boiteuse et d’une praxis déficiente. Alors qu’elle questionne essentiellement le rapport à l’autre, au même et au devenir, l’identité est un champ polysémique truffé de tellement de mines qu’il en devient un prétexte au refus de toute évolution et de toute réflexion sur soi et le monde. De la fascination pour l’identité naît l’inaction. La régression génétique menace de mort les organismes biologiquement trop purs…
6)
••• INTÉGRITÉ – à encenser
…quand il s’agit de mettre en avant sa propre sagesse morale dans les leçons à tirer de la crise : « retour à l’intégrité du produit » et « retour à l’intégrité de la marque » sont devenues les deux mamelles de l’horlogerie post-crise. Ce qui sous-entend inévitablement qu’on a précédemment abusé d’une non-intégrité qui conférait plus ou moins à l’escroquerie, sinon au banditisme de grand chemin… En tout cas, 2010 est l’occasion d’un grand concours éthique : plus intègre que moi, tu meurs ! Ce qui se traduit généralement par le fait d’en faire un peu moins pour le même prix – au besoin en rognant sur le budget champagne, paillettes et publicités – ou parfois de ne plus rien faire du tout en faisant le gros dos sous l’orage. Ce qui compte, c’est la posture et l’effet d’annonce, pas la cohérence d’un propos de circonstance, qui drape d’un habit moral tout neuf la prise de conscience d’un nouvel état de l’opinion publique en général, et des amateurs de montres en particulier…
7)
••• HÉRITAGE (à explorer)
…en s’inspirant des « icônes de la maison » : à croire que l’industrie horlogère s’est transformée en une armée de notaires et d’exécuteurs testamentaires ! Et chacun d’y aller de sa descente dans les archives, de ses visites au musée de la marque et de l’exhumation de vieilles idées toujours neuves. On n’innove plus, on fait du bricolage génétique en remixant les catalogues d’hier sur des rythmes plus contemporains : c’est la valse lente des rééditions (qu’on survitamine en taille en les gavant de PVD) et des montres commémoratives d’un passé pré-quartz supposé glorieux. Face à ce déluge de revival vintage, les petits nouveaux de la classe font un peu « Petit Chose », mais ils se consolent en pensant qu’ils sont, eux, des créateurs d’héritage et non des entrepreneurs de pompes funèbres…
8)
••• HONNÊTETÉ – à proclamer…
…urbi et orbi en abjurant solennellement les excès de paillettes, le bullshit marketing et les propositions inconsistantes de la veille. Puisque chacun – c’est bien connu – « a-tiré-toutes-les-leçons-de-la-crise » et jure haut et fort qu’on ne l’y reprendra plus, l’heure est donc à des prix honnêtes [vite, donnez-nous le nom des « malhonnêtes » !], des montres honnêtes [quelles sont celles qui ne le sont pas ?] et une communication honnête [là, on se perd en conjectures…]. Tout ceci n’est évidemment pas très honnête, mais c’est au moins une attitude médiatique payante : par politesse, on écoute toujours le prédicateur et le bonimenteur au coin de la rue. On espère seulement que tout ceci ne se terminera pas comme dans les bons westerns, avec l’expulsion du charlatan trempé au préalable dans le goudron et dans les plumes…
9)
••• RACINES – à retrouver…
…dans un grand élan collectif de voracité végétarienne : jamais on n’avait assisté à un tel déferlement de mangeurs de tubercules horlogères ! Le métier à la mode, ce n’est plus l’ingénieur-constructeur passé par la NASA, mais l’archiviste-paléographe, c'est le chartiste capable de retrouver, au deuxième sous-sol, un dossier d’archives oublié et les références du brevet (caduc) déposé « dans les années septante » [de quel siècle ?] par le beau-frère d'un cousin du fondateur de l’entreprise. L’horlogerie ayant déjà successivement tout entrepris, tout tenté et tout exploré, le tropisme racinaire est forcément gagnant (on trouve toujours quelque chose), mais il ne faudrait pas que, à force de jouer les taupes en creusant plus profond, on s’aveugle sur les objets du temps d’aujourd’hui et surtout de demain…
10)
••• RETOUR – à tout ce qu’on veut…
…du moment qu’on se vautre dans un bain rétroactif qui est cette année une marée de très grande amplitude. Attention, inondation en vue ! L’horlogerie a passé la marche arrière et revient alors qu’elle devrait repartir : « retour au classique », « retour aux fondamentaux », « retour au bon sens », « retour aux vraies valeurs », « retour à la simplicité ». On n’a pas encore célébré le « retour au retour », mais ce retour du refoulé est inévitable pour des marques qui se vautrent dans la reculade créative et dans la régression à différents stades infantiles. Inconvénient majeur de cette rétroactivité forcenée : c’est un fusil à un coup et il ne sert qu’une fois. Quand on a touché le fond du « retour », on creuse ?
• CI-DESSUS ET POUR LE PLAISIR DES YEUX, précisément parce qu’il ne verse pas dans les abus de la novlangue contritionnelle et dans l’hypocrisie du mea culpa à la mode cette année, une image de la nouvelle Metal Tiger d’Alain Silberstein :
• pas de « citation » abusive du passé, mais une transmutation perpétuelle du fameux ADN silbersteinien,
• un boîtier container capable de proposer une couronne à 12 h ou à 6 h,
• un bracelet manchette,
• deux brancards pour assurer la liaison entre le boîtier et le bracelet (c’est la forme courbe des brancards et leur style « tigre bondissant » qui a donné son nom au modèle).
Bref une vraie concept watch qui rend évidemment hommage à l’Année du Tigre de Métal du calendrier chinois. Celle-ci n’arrive qu’une fois tous les soixante ans – ce qui est l’âge du capitaine Silberstein cette année (ne pas manquer de lui rendre visite dans sa chapelle de la Watch Gallery, au Palace, entre le Hall 2 et le Hall 3).
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