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Après les « vrais gagnants » et les « vrais perdants » de la crise(catégorie groupes), un tour d’horizon pour tenter de comprendre comment les marques indépendantes ont essuyé la tempête.
Soulagement chez les uns. Pleurs et grincements de dents chez les autres.
Plus rien ne sera jamais comme avant...
••• LE NOUVEAU PAYSAGE DE L’INDUSTRIE HORLOGÈRE
Si l’intégration au sein d’un groupe a pu servir de bouclier à certaines maisons horlogères, on constate que l’indépendance a donné à bon nombre de maisons la souplesse et la réactivité indispensables à toute adaptation à un environnement économique complexe.
• Côté groupes horlogers, on comptait évidemment quelques « vrais gagnants » et quelques « vrais perdants » en sortie de crise (Business Montres des 20 et 21 avril). La situation des marques indépendantes est plus complexe.
• S’il est impossible de toutes les citer, il n’en est pas moins intéressant d’éclairer de quelques exemples la nouvelle physionomie du marché, caractérisée par de nouveaux rapports de force et par une structure en X (identique à celle des groupes) typique des situations de crise. Quelques grandes marques qui grossissent dans le cône supérieur, beaucoup de marques de niche dans le cône inférieur, mais une évacuation spectaculaire des zones intermédiaires...
• Quelques leçons de la crise pour douze marques indépendantes, dans des genres très différents et pour des raisons elles aussi différentes (par ordre alphabétique et sans paramètres de taille pour éviter les querelles de préséance).
1)
• BRM : la stratégie de renaissance de la première « manufacture française » depuis les années Lip semble avoir profité à Bernard Richards, qui a maintenu ses volumes tout en prenant des parts de marché à des concurrents plus huppés. La mise en place d’un système de financement original pour ses montres et la généralisation d’un « configurateur » pour les commander sur mesures en ligne ont conservé à BRM une appréciable désirabilité en sortie de crise...
2)
• BELL & ROSS : l’immense travail de design entrepris avant la crise avec la collection BR Instrument, la pratique de prix décents et la rigueur de la politique commerciale ont dopé l’attractivité des collections Bell & Ross à travers le monde, ce qui a permis à la marque de progresser sur des marchés aussi déprimés que les Etats-Unis. La conquête du monde asiatique ne fait que commencer pour cette grande « petite marque française »...
3)
• CASIO : il ne faut pas le répéter, mais Casio semble avoir remarquablement supporter l’épreuve de la crise, en se renforçant sur ses points forts (la G-Shock reste une montre « magique », véritable fétiche horloger pour les nouvelles générations) tout en s’améliorant sur ses points faibles (le branding, la communication et l’art de créer une connivence générationnelle avec les amateurs du monde entier). On est loin de la haute horlogerie, mais on reste dans la haute technologie, avec de remarquables montres solaires et radio-pilotées...
4)
• CHANEL : les icônes restent une des meilleures armes anti-crise sur le marché de l’horlogerie et Chanel a prouvé sa résilience en continuant à se renforcer sur ses marchés de référence (France, notamment, plus que mature) tout en commençant à aborder avec prudence la sphère asiatique et le monde slave (où tout reste à conquérir, heureusement sans les préjugés des amateurs de la vieille Europe horlogère). Pour s’imposer, Chanel a choisi de donner du temps au temps et d’accélérer très progressivent : c’était peut-être une des meilleures recettes préventives les plus efficaces pour les dix-huit mois qui ont ébranlé l’horlogerie...
5)
• CORUM : en cinq ans et sans (trop) fléchir sous les assauts de la crise, Antonio Calce a rendu sa profitabilité à la marque, retrouvé des volumes un peu plus consistants, épuré ses collections (regroupées autour de deux icônes : l’Admiral’s Cup et la série des Bridge), musclé son appareil de production (manufacture en maîtrise d’ouvrage et contrôle qualité) et finalement redonné de la crédibilité à une maison qui s’était brûlé les ailes dans le feu de paille de la Bubble. Parcours sans faute, qui replace Corum sur une orbite où on peut rêver plus grand.
6)
• DE BETHUNE : étonnante « petite manufacture » (une des mieux verticalisées de l'industrie en dépit de sa taille), qui peut se permettre de maintenir au plus haut niveau son intensité créative et son potentiel micro-technique, sans rien sacrifier à une mutation de ses marchés et de sa structure de clientèle. Plutôt que de baisser les bras, David Zanetta et Denis Flageollet ont relevé la tête en même temps que le défi de cette crise, qui leur a permis de travailler encore plus en profondeur les codes des nouveaux temps forts qu'ils promettent aux amateurs et aux collectionneurs. Leurs propositions d'avant la crise se démarquaient déjà du lot commun : celles qui nous attendent dans les années dix sont plus que jamais porteuses d'une singularité garante de pérennité...
7)
• DE GRISOGONO : on disait Fawaz Gruosi lessivé et sa marque en soins palliatifs. Disons qu’on a frôlé le carton rouge, mais la sortie de crise a été habilement négociée, les fournisseurs (créanciers) gentiment calmés et les marchés intelligemment rassurés par quelques signes extérieurs de réinvestissement. La collection des bijoux 2010 est d’une rare pertinence, alors que les complications horlogères de ces dernières années commencent leur vraie vie en vitrine. Le potentiel créatif de Fawaz Gruosi s’avère intact et sa « vision » de l’horlogerie-joaillerie pour les années dix est impeccablement « juste ». Il sera le grand miraculé de cette crise...
8)
• NIXON : modèle des nouvelles marques life style qui sont en train de déloger les griffes de mode de leur terrain horloger, Nixon s’avère comme une des marques iconiques de la nouvelle génération, avec des collections attrape-tout au désordre très étudié (styles, tailles, couleurs, concepts) qui ne trouvent leur cohérence que dans un néo-branding générationnel, affinitaire, redoutablement efficace et multi-dimensionnel (sports de glisse + décibels + streetwear + codes culturels « jeunes »). C’est la pression concurrentielle grandissante de marques comme Nixon qui a poussé Swatch à revenir se battre sur son terrain de prédilection...
9)
• PATEK PHILIPPE : quand le bateau est bien construit et que le capitaine a l’expérience qui convient, on peut se jouer des tempêtes. Patek Philippe vient de prouver non seulement sa maîtrise des événements, mais surtout sa capacité à profiter de ceux-ci pour réaffirmer sa prééminence sur le marché de la tradition horlogère. Luxe absolu : s’offrir un nouveau capitaine (Thierry Stern) en pleine tempête sans qu’on sente le moindre roulis, ni le moindre changement de cap ! C’est là qu’on mesure l’extraordinaire atout que peut constituer une colonne vertébrale familiale...
10)
• RICHARD MILLE : le Petit prince de la nouvelle génération est devenu le roi de la nouvelle horlogerie, dont il a reformaté les codes esthétiques et techniques pour quelques années. La crise, quelle crise pour Richard Mille ? Il a pu maintenir son avance technologique autant qu’il a su tenir ses marchés sans trahir son identité, ni sa volonté d’exclusivité. A tel point qu’on devrait désormais davantage parler de lui comme l’héritier des grandes manufactures classiques que comme le pionnier des nouvelles marques refondatrices...
11)
• ROLEX : extraordinaire résilience que celle de Rolex, qui a fléchi les genoux en début de crise, mais qui a eu le courage de couper les branches mortes (au point d’y perdre son directeur « historique », Patrick Heiniger, qui avait fait de son fauteuil un apanage familial) et de lâcher le test qu’il fallait pour « étaler » – comme disent les marins. Appareil industriel intact, lifting efficace et parfaitement maîtrisé des collections, nouvel esprit infusé dans les relations avec le réseau, imprévisible « révolution culturelle » en cours dans la manière collective de penser le rapport à la marque : la crise aura marqué un tournant, mais la machine [d'autant plus forte que le réarmement de Tudor est plus sensible] est désormais irrésistiblement relancée pour regagner le terrain perdu. Lequel reste dominé de façon impériale [quoique nettement moins impérialiste !] : la couronne n’a pas changé de tête ! Qui en doutait ?
12)
• TW STEEL : encore une marque sortie de nulle part qui a pu se permettre de pratiquement doubler son activité en pleine crise. Parangon des pure players de la nouvelle horlogerie life style, TW Steel s’impose sur le terrain des montres accessibles « inspirées par l’air du temps » – c’est-à-dire capables de transposer les codes de la haute horlogerie dans un univers plus tendance. Les coups de boutoir de cette nouvelle famille horlogère, fashionable sans être venue de la mode (Nixon, Tendence, etc.), dépositionnent les marques de griffe et menacent de ringardise l’entrée de gamme de l’industrie horlogère traditionnelle. Indice de progression : TW Steel est un déjà des nouveaux sponsors de la F1 (écurie Renault : image de la montre ci-dessus)...
...)
• ET TOUS LES AUTRES : on aurait également pu citer dans cette liste Bédat & Co (qui s'offre une cure de jouvence sous contrôle malaisien), Cvstos (dont les ventes prouvent que le style pré-crise fait toujours rêver), Eterna-Porsche Design (qui semble avoir retrouvé un second souffle quand les autres le perdaient), Graff (qui a réussi son débarquement sur le marché des montres au plus mauvais moment), Hermès (excellente reprise en main, alors que l'horlogerie de la marque était entrée en piteux état dans la crise), Ice Watch (sur le créneau des montres amusantes et faciles à vivre), Marc Alfieri (qui a survécu au naufrage de BNB et prouvé à Baselworld son retour créatif), MB&F (qui a vu Max Busser parer lui-même à la manoeuvre pour naviguer à la cape), Oris (marque dont le positionnement idéal en temps de crise dope le potentiel), Rebellion (qui a repris l'air en pleine crise après avoir raté son décollage en pleine bulle), RJ-Romain Jerome (dont on commence à entrevoir le possible redéploiement), Saint-Honoré Paris (bel exemple de repositionnement intelligent en jouant sur le design autant que sur le marketing), TechnoMarine (qui a profité de la récession pour se remettre en ordre de bataille) et toutes les nouvelles marques nées en pleine crise, mais néanmoins porteuses de magnifiques promesses (4N, Frédéric Jouvenot, Laurent Ferrier, Peter Tanisman, Ressence, Valbray, etc., toutes bien connues des lecteurs de Business Montres)...
RELIRE LES DEUX PREMIERS ÉPISODES DE CETTE SÉRIE :
•• « Les vrais gagnants de la crise : les groupes qui s’en sortent le mieux », Business Montres du 20 avril...
•• « Les vrais perdants de la crise : les groupes horlogers qui s’en tirent moins bien », Business Montres du 21 avril...
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