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Avec son « mouvement Papillon », René Addor s’est offert le luxe d’arriver en tête de la catégorie « particuliers » (?) au récent concours de chronométrie organisé au Locle.
Encore un « papy flingueur », dont la démarche valide magistralement l'esprit d'entreprise et l'audace créative des « panthères grises » de la nouvelle horlogerie !
1)
••• UN « PAPILLON » DE 36,6 mm D’ENVERGURE
En présentant René Addor comme une des « panthères grises » les plus actives de la nouvelle génération (Business Montres du 28 avril et chronique vidéo sur les « retraités de l’horlogerie » qui font des étincelles), il ne manquait qu’une pièce au puzzle : la présentation de René Addor et, surtout, celle de son mouvement, aussi superbement beau chronométriquement précis que mécaniquement bien pensé...
• On avait parlé de René Addor, ex-constructeur chez Rolex passé à la direction de la qualité, lors des premiers résultats du concours de chronométrie : qu’est-ce que c’était que cet inconnu qui débarquait de nulle part pour rafler la première place avec un « mouvement Papillon » inconnu ? Mouvement qu’il doit dévoiler, la semaine prochaine, à La Chaux-de-Fonds, lors d’une table ronde organisée sur l’avenir des concours de chronométrie (Business Montres du 26 avril, info n° 1).
• Inutile d’attendre cette « présentation officielle » quand on se trouve en présence d’un des mouvements les plus intéressants de tous ceux qui ont été récemment proposés sur le marché d’une horlogerie suisse en pleine renaissance manufacturière. Pourquoi « mouvement Papillon », alors que René Addor l’avait d’abord baptisé – on sent l’ « école Rolex » ! – calibre 3660 du fait de sa taille (36,6 mm) ? Il évoque assez vaguement un papillon, mais il fallait surtout, lors du début de brevet, un « nom commercial » : va donc pour Papillon, nom générique qui était libre dans la classe 14 !
2)
••• UN CALIBRE IMAGINÉ À LA GOMME ET AU CRAYON
Pourquoi s’intéresser à ce nouveau mouvement, qui n’est plus un concept virtuel et qui fonctionne si bien côté tic-tac qu’il a dépassé, en précision, bien des « stars » de l’horlogerie mécanique ? Tout simplement parce que ce calibre témoigne à la fois de l’intelligence créative d’un homme : un retraité aux tempes grises qui pensait, dans son chalet de Verbier, qu’il avait encore des choses à dire et surtout à apporter à l’industrie horlogère. Un homme qui n’a rien d’un maniaque de l’informatique et de la 3D, mais qui s’est souvenu de sa formation de dessinateur industriel pour tout penser en 2D – au besoin en apprenant à se servir d’un logiciel spécialisé, avant de passer à la 3D grâce à l’équipe de Polysoft Tell (Genève) qui lui a tout remodélisé...
• La modestie des moyens n’exclut en rien la richesse imaginative, ni surtout la pertinence économique. Dès le départ, René Addor a pensé « mouvement » et non « montre » comme beaucoup (trop ?) de jeunes créateurs. L’idée initiale était de créer un « tracteur » (calibre capable d’entraîner de nombreuses complications), voire même une famille de « tracteurs » : quatre sont à l’étude : 25,6 mm, 28 mm, 32 mm et 36,6 mm. Des mouvements de base relativement faciles à fabriquer, pensés avec des tolérances qui permettent un montage et un réglage final simplifiés, avec des calculs de force (énergie, transmission) optimisés pour des développements futurs. Considérations « industrielles » parfaitement stratégiques, qui s’expliquent aussi par la présence d’un René Schmidlin (ex-Soprod) aux côtés de René Addor : encore un coup des « panthères grises » de la nouvelle génération !
• D’où le choix d’un double barillet particulièrement costaud et des choix relativement « rustiques » dans le détail du mouvement 4 Hz (construit autour d’une logique de « force », qui explique les 29 rubis surdimensionnés, qui sont également garants d’un huilage généreux) : on vise plus à l’efficacité et à la longévité qu’à la délicatesse de l’exécution. La hauteur du mouvement (4,5 mm) indique également qu’on n’a pas cherché à tout empiler au péril d’une certaine fragilité, mais qu’on a pris la place pour laisser s’exprimer ce calibre en 28 800 A/h.
3)
••• UNE RUSTICITÉ ASSUMÉE DANS UNE LOGIQUE DE FIABILISATION « INDUSTRIELLE »
Résultat : 11 jours de réserve de marche et des performances chronométriques qui expliquent la première place au concours de chronométrie. René Addor est d’ailleurs certain qu’il aurait pu faire mieux, du moins aussi bien que les mouvements Jaeger-LeCoultre arrivés en tête : il s’est fait « piéger » par son spiral lors de l’épreuve de la résistance à la chaleur ! Faire mieux que le COSC : c’est bien ! gagner un concours de chronométrie face à des marques très huppées : c’est bien mieux pour un « grand débutant » !
• Au-delà de cette rusticité mécanique travaillée dans une optique de fiabilité tout-terrain (encore une trace de la culture Rolex !), René Addor a surtout voulu donner à son mouvement un style, parfaitement identifiable à sa symétrie : alignement parfait du train principal de rouages (les quatre rubis superposés en centre du calibre), différentiel sphérique très original à la sortie des barillets (à droite, en jaune sur l'image ci-dessus), parallélisme esthétique du balancier (à gauche) et du différentiel de part et d’autre du train de rouage (magnifique V formé par les axes). Sans les ponts supérieurs, c'est encore plus spectaculaire... Même avec un œil peu exercé, on reconnaît tout de suite l’immense potentiel de ce mouvement dont l’architecture hyper-simple peut s’adapter à de nombreuses complications (étude en cours pour un quantième perpétuel, un chronographe et même un tourbillon qui s’annonce de toute beauté)...
• Côté maintenance, on sent aussi l’imprégnation des marqueurs Rolex, avec le souci de simplifier le démontage lors du SAV, l’utilisation des composants et de matériaux éprouvés (sans volonté de différenciation baroque) ou la relative standardisation des roues et des vis qui facilitera la logistique « industrielle ». Parce que l’objectif est là : mieux qu’une montre, une famille de mouvements qu’on pourra retrouver sous la casquette René Addor [créer une nouvelle marque n’est pas sa priorité], mais surtout dans les modèles d’autres marques tentées par une alternative fiable aux grands calibres classiques du marché. Avis aux investisseurs et aux amateurs de « manufactures par délégation »...
4)
••• UNE RUSTICITÉ ASSUMÉE DANS UNE LOGIQUE DE FIABILISATION « INDUSTRIELLE »
Sans chercher à trop en faire, on peut cependant l’admettre : « A star is born » ! Un mouvement mécanique à remontage manuel, conçu sans l’habituelle débauche d’ingéniérie high-tech et de budgets R&D chers aux grandes manufactures. Un homme, une idée, des moyens limités. Laurent Ferrier, le « papy de la nouvelle génération », n’avait pas procédé autrement en demandant à la Fabrique du temps de lui développer son mouvement (Business Montres du 13 mars) : moins « conceptuel » et moins show off que les « ovnis » qui font causer, mais vite et bien. Et surtout bon et beau !
• Le « mouvement Papillon » n’a rien de révolutionnaire, mais il est tellement classique et tellement rigoureux dans son approche minimaliste de la fiabilité mécanique qu’il en prend des allures rupturistes. Il ose l’élémentaire quand tout le monde joue le superflu. Il joue la simplicité quand la complexité se banalise. Bref, il pense out of the box quand tout le monde marche dans les clous en répétant le même message. C’est en ça qu’il est emblématique de la nouvelle génération. Avec une certaine élégance en prime, mais c'est le privilège de ceux qui n'ont plus à suivre les modes pour affirmer leur personnalité...
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