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Coup de tonnerre au Brassus, où la manufacture Audemars Piguet s’appauvrit d’un élément-clé de son identité.
Plus humiliant et plus gênant dans ce « transfert » inopiné : Octavio Garcia part chez Hublot pour y animer la création des futures Big Bang !
••• UNE DÉMISSION INATTENDUE QUI SOULIGNE UN MALAISE PATENT
Décidément, rien ne va plus pour Audemars Piguet, manufacture classée parmi celles qui n’ont pas vraiment su tirer leur épingle du jeu au cours de la crise (Business Montres du 25 avril, marque n° 2). Le pronostic était lucide : « Le ver est dans le fruit quand une marque doute d’elle-même et temporise, le nez sur l’obstacle, faute d’une vision claire de son devenir. Secouées par des allées-venues successives et contradictoires, les équipes doutent autant que le board – ce qui commence à se remarquer dans la stratégie marketing, dans la politique produits et sur le terrain. Pathétique spectacle que celui de la spirale négative où semble aspirée une des plus belles marques du marché »...
• Le départ inattendu d’Octavio Garcia, le directeur artistique d’Audemars Piguet, ne va rien arranger, surtout après les départs successifs de quelques têtes du comité de direction, comme le directeur industriel Bruno Moutarlier (Business Montres du 13 octobre 2008), le directeur commercial Michel Faure, le directeur marketing Olivier Quillet (Business Montres du 10 février) ou, tout récemment, la directrice du retail Caroline Millet. Octavio Garcia (un designer américain d'origine mexicaine, passé par Omega et par Swatch) jette l’éponge dans ce qui commence à ressembler à une déroute pour Philippe C. Merk, l'actuel CEO, qui reste à présent le dernier (le prochain ?) fusible au sein de l’actuelle direction...
• Raisons invoquées en privé par Octavio Garcia : le malaise croissant dans les hautes sphères de la manufacture et l’impossibilité d’y mener un travail constructif dans le cadre d’une stratégie clairement définie. Traduction pour les non-initiés : le départ de Georges-Henri Meylan, qui tenait tout d'une main de fer, a libéré les énergies négatives au sein d’un board où les familles fondatrices se déchirent allègrement dans une impitoyable guerre de clans attisée par les actionnaires non-familiaux. De source interne, on pointe du doigt le rôle particulièrement nocif et destructeur de l’actionnaire singapourien Amarasuriya Sunil Tissa, administrateur (depuis 2007) dont la personnalité très contestée catalyse et oriente négativement l’opposition d’autres administrateurs non-familiaux, comme le vice-président de la marque Pierangelo Bottinelli...
••• UN RENFORCEMENT DE LA DYNAMIQUE HUBLOT
La situation serait déjà embarrassante pour Audemars Piguet, mais elle est aggravée par le point de chute choisi par Octavio Garcia : ni plus, ni moins que la manufacture Hublot de Jean-Claude Biver, lequel est devenu, avec sa Big Bang, la « bête noire » de la direction d’Audemars Piguet (dont les ventes de la Royal Oak sont directement impactées par le succès international de la Big Bang). Le même Jean-Claude Biver s’était récemment offert le luxe de souffler Alinghi sous le nez d’Audemars Piguet (effaçant ainsi huit ans d’investissement de la marque dans l’America’s Cup) et de préempter non seulement la Formule 1, mais aussi les poignets de quelques footballeurs, champions automobiles et autres célébrités jusque-là « accros » de la Royal Oak – qui reste cependant la montre préférée des rappeurs noirs américains...
• Quitter Audemars Piguet pour rejoindre Hublot, c’est affaiblir une marque vacillante pour enrichir une marque conquérante. Douloureux pour les égos du Brassus et fatal pour les stratèges du cru ! C’est surtout porter le fer à l’endroit le plus sensible : l’absence de créativité désormais manifeste de la manufacture du Brassus et les incohérences d'une stratégie devenue illisible et incompréhensible. La confiance est entamée, dans la vallée comme sur les marchés. Les messages sont brouillés, chez les détaillants comme chez les fournisseurs. Ce n’est pas le départ d’un directeur artistique devenu emblématique qui va enrayer la spirale mortifère où la marque semble durablement engagée...
• Aucun commentaire côté Jean-Claude Biver, sinon un sourire ravi à la pensée d’intégrer un directeur artistique de la pointure d’Octavio Garcia, dont l’apport conceptuel ne pourra que doper une politique produits déjà positionnée dans la haute intensité créative. Jean-Claude Biver connaît d'ailleurs très bien Octavio Garcia, avec lequel il avait travaillé chez Omega. Pour Hublot, cette arrivée est une brique de plus pour consolider la manufacture de Nyon et la faire passer du statut de mère porteuse de best-sellers (la Big Bang) à celui de vraie marque inscrite dans la durée...
••• NE SERAIT-CE QUE POUR LA VALLÉE DE JOUX et pour tous les « combiers », dont la marque est un des piliers identitaires depuis le XIXe siècle, il faut sauver le soldat Audemars Piguet ! Un élément de réflexion : la « décombiérisation » accélérée de la manufacture, dont la direction ne compte plus – c'est une première dans l'histoire de la marque – aucun représentant de la vallée !
• Il faut aussi le faire pour tous les amoureux de cette marque, qui est un des dernières grandes manufactures indépendantes et une de celles qui ont le mieux animé le marché au cours du dernier quart de siècle. Plus facile à dire qu’à faire, sans doute, mais il y a le feu dans la maison ! La direction – plus autiste que jamais – s'en rend-elle compte ?
• Une évidence : ce n’est pas en temporisant, ni en se cachant derrière le « politiquement correct » de la langue de bois officielle, et encore moins en se perdant en manoeuvres dilatoires qu’on parviendra à redresser une situation de plus en plus critique...
• On passera ici pour mémoire une autre « perte » sèche pour Audemars Piguet : la déconfiture totale de l’entreprise Valtronic Technologies (micro-électronique et ingénierie médicale), société née d’une fusion avec AP Technologies, filiale diversifiée d’Audemars Piguet. Vatronic a récemment été reprise – pour une bouchée de pain, soit une très mauvaise affaire pour les actionnaires d’Audemars Piguet – par des investisseurs valdo-zougois...
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