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Quatre siècles d’horlogerie en 317 lots, dont quelques pièces « historiques » de premier plan.
Osvaldo Patrizzi ratisse large et il parvient à nous émouvoir avec des raretés qui ont voyagé dans le temps pour nous donner une leçon d'horlogerie.
Le week-end prochain s’annonce passionnant pour les amateurs...
••• 311 à 317 : DES LOTS POUR RÉÉCRIRE L’HISTOIRE DE L’HORLOGERIE
Alors qu’il vient d’ouvrir son bureau à Shanghai, où il prépare une exposition pour juin prochain, Osvaldo Patrizzi a finalement rejoint – pour cause de perturbations aériennes dues au volcan islandais – la troupe des maisons d’enchères à l’œuvre ce week-end à Genève. Pour lui, ce sera vendredi après-midi, à l’hôtel Kempinski, pour deux épisodes qui se termineront en apothéose avec les sept cahiers de manuscrits inédits de Breguet (Business Montres du 31 mars et info n° 9 du 2 avril)...
• Un petit travail d’enquête à propos de ces manuscrits révèle quelques détails intéressants. Il semblerait – tout ceci au conditionnel, fautes de certitude – que ces manuscrits aient fait partie des archives de la maison Breguet, mais qu’ils aient été donnés par Georges Brown à un riche collectionneur de montres Breguet, entre les deux guerres mondiales : c’est pour cette raison qu’ils ont échappé aux historiens et aux spécialistes de l’horlogerie, qui en connaissaient l’existence sans jamais avoir pu en disposer pour les étudier. A l’époque, les archives historiques et commerciales d’une marque n’avaient pas le caractère sacré qu’elles ont aujourd’hui. Georges Brown, qui a revendu la maison Breguet aux frères Chaumet en 1970, a ainsi dispersé des « trésors » qui manquent aujourd’hui au patrimoine de Breguet, dont la fameuse « montre perpétuelle n° 9 », disparue, qui passionnerait les collectionneurs si elle était retrouvée...
• Le nombre d’ordres laissés chez Patrizzi & Co pour ces manuscrits prouve à quel point les lots 311 à 317 de cette vente sont historiques : la liste des noms constituerait le plus magnifique des fichiers mondiaux d’amateurs de montres ! Au-delà de la seule valeur historique de ces manuscrits, leur importance pour la culture horlogère est déterminante : deux siècles avant notre époque, et quoiqu’il n’ait pas connu les montres-bracelets, Abraham Louis Breguet a déjà à peu près tout compris et quasiment tout analysé. Ses réponses aux problèmes que nous nous posons et ses analyses constituent un fantastique fil conducteur pour repenser l’horlogerie. Ses écrits continuent à nous interpeller et à nous influencer...
• On ne pourra plus désormais prêter telle ou telle intention à Breguet : ses propres écrits, de sa main ou sous sa dictée, témoignent d’une immense culture technique et d’une capacité de réflexion dont on comprend qu’elle ait fasciné les plus grands savants de l’époque. Pour l’histoire de l’horlogerie, il y aura avant et après la (re)découverte de ces manuscrits : bon nombre de pages sont à réécrire et quelques grands maîtres des études horlogères y laisseront des plumes, Breguet ayant eu connaissance avant eux d’innovations décisives ou attribuant en toute connaissance de cause des créations à des horlogers négligés par la postérité.
••• NE RÊVONS CEPENDANT PAS : dans ses écrits sur les « montres perpétuelles » [on dirait aujourd’hui « automatiques », Breguet ne dit rien de l’« invention » du rotor par Perrelet ou par Sarton, cette solution technique ne l’ayant guère intéressé...
••• UN VOYAGE DANS LE TEMPS ET LES TECHNIQUES HORLOGÈRES
Il serait cependant idiot de réduire la vente à ces lots qui bouclent le catalogue. Au fil des pages, on y trouve beaucoup de passions et d’émotions, avec ce qui pourrait être une sorte de voyage dans le temps et dans les techniques de la montre, du XVIe siècle à nos jours : Osvaldo Patrizzi nous propose, en toute fantaisie didactique, un cours d’horlogerie qui révèle de nombreuses richesses du patrimoine des marques et des manufactures, passées ou présentes.
• Au hasard des différents lots les plus intéressants, on peut noter une forte proportion de pièces anciennes, sélectionnées par l’œil et l’expertise d’un homme libre de ses dilections, même si elles ne sont pas forcément commerciales (par ordre alphabétique, en se reportant pour les détails au catalogue en ligne de la vente) :
• JOHN ROGER ARNOLD : une superbe Arnold (horloger anglais ami de Breguet) datée de 1827, dotée d’un astucieux système de remontage sans clé [point très controversé de l’histoire des techniques horlogères] pour une estimation de 8 000-12 000 CHF, c’est presque donné pour une pièce de cet intérêt (lot n° 185)...
• AUDEMARS PIGUET : une Equation du temps Jules Audemars de toute beauté, sans doute sous-estimée (30 000-36 000 CHF) pour la somme d’ingéniosité horlogère qu’elle représente, en même temps qu’une complication encore très exclusive pour une montre-bracelet (lot n° 14). Si vous manquez la première, la même en or gris, à peine plus cotée (lot n° 97)...
• CARTIER : quelques pendules (on en trouvera décidément beaucoup ce week-end, à Genève) et un calendrier perpétuel « manuel » dans le style Fabergé, qui semble être à peu près unique dans son genre (lot n° 152, inconnu au musée Cartier)...
• DANIEL ROTH : maintenant que Bvlgari a décidé d’« éteindre » la marque, peut-être est-ce le moment de racheter ces pièces de collection, soit un lot de sept chronos aux cadrans multicolores (lot n° 72)...
• GERMAIN GROVEL : c’est la pièce la plus ancienne de tout ce week-end de ventes horlogères et cette pendule de table, bien documentée dans les livres d’histoire, est un trésor historique, qui prouve que, en 1580, les horlogers aimaient déjà les complications, puisqu’elle sonne (lot n° 110)...
• HEURES DU MONDE : une pendule datée de 1860 avec sept cadrans (chacun pour une ville) et huit jours de réserve de marche, plus quelques astuces techniques de construction et de remontage, pour un prix inférieur à celui d’une montre contemporaine (lot n° 24 : 10 000-15 000 euros)...
• HEURES DU MONDE (2) : une pendule en globe terrestre signée JWB, avec un mouvement mécanique, un anneau circulaire des heures et une sphère terrestre en émail de toute beauté (lot n° 32)...
• HORLOGERIE JAPONAISE : une curieuse montre de carrosse de la fin du XVIIIe siècle, avec ses « heures irrégulières » côté cadran, mais un mouvement fusée-chaîne sans doute d’origine européenne (lot n° 178)...
• JAPY FRÈRES : un oiseau chanteur de 1880, dont le sifflement très étrange – une pie ? – devait ravir les clients chinois (lot n° 28)...
• JUVENIA : l’horlogerie a toujours adoré les chemins de traverse, comme le prouve cette Protactor de Juvenia, dont l’affichage des heures se fait par une espèce de rapporteur (protractor), celui des minutes par une grosse flèche et celui des secondes par une aiguille de compas (lot n° 235 : original et pas cher !)...
• PATEK PHILIPPE : une 5004 plutôt rare, qui est entrée dans l’histoire comme le premier chronographe à rattrapante accolé à un quantième perpétuel de série, pour un modèle qui n’a été en production que de 1995 à 2009 (lot n° 100)...
• PATEK PHILIPPE (2) : encore une pièce unique de ce week-end, puisque le cadran de cette 3940 de 1999 présente un original jour/nuit bicolore, jamais vu chez Patek Philippe (lot n° 246)...
• PATEK PHILIPPE (3) : totalement unique et jamais vu aux enchères, un briquet Patek Philippe en émail, qui doit être le seul briquet « manufacture » jamais construit avec une telle précision (lot n° 279, estimé à 15 000-20 000 CHF)...
• ROLEX : que ne ferait-on pas pour une Prince « brancard » en platine, qui était dans les années trente la montre la plus chère du catalogue Rolex (lot n° 84) ? Pour les autres Rolex (une grosse cinquantaine), on trouve les classiques séries de Submariner, de Daytona (dont une 6364 chocolat de toute beauté : lot n° 191), d'Explorer et des autres icônes de la marque...
• TSCHETOUNOFF : tiens, un tourbillon Tschetounoff, cousin de la Victorin Piguet en couverture du catalogue Antiquorum (Business Montres du 1er mai), c’est le grand retour de la Sainte Russie (lot n° 197)...
• ULYSSE NARDIN : si vous vous demandiez où Ulysse Nardin avait trouvé l’idée de sa Freak, ne cherchez plus, c’est avec ce carrousel daté de 1899, qui devait être une des « concept watches » les plus radicales du moment avec son mouvement en rotation autour du boîtier pendant 52 minutes (lot n° 198 : pièce unique estimée 50 000-70 000 CHF)...
• J. WELDON : un mini-cabinet horloger (24 cm de haut) fait pour abriter une montre et un nécessaire de manucure, commandé vers 1763 par le margrave de Baden-Baden et toujours muni de son écrin d’origine (image ci-dessus). On reste stupéfait par la qualité d’exécution de ces « pièces de cour », qui témoignent d’un raffinement perdu dans l’art de vivre (lot n° 124 : 150 000-200 000 CHF pour ce chef-d’œuvre d’horlogerie aristocratique). De nombreux lots suivants illustrent le goût exquis des amateurs du XVIIIe siècle, qui faisaient appel à tous les métiers d’art (micro-mécaniciens compris) pour les montres de leur quotidien (voir notamment les lots n° 128, 130, 133, 136, 137, 142), ainsi que la Jaquet-Droz (lot n° 144) ou la montre Ilbery (lot n° 145), qui démontre que les élites horlogères de l’époque adoraient jouer avec des concepts de rupture, par la forme comme par les matières...
• ZENITH : un chronographe trois compteurs surdimensionné (46 mm) qui a peut-être inspiré Thierry Nataf et qui demeure très expressif au poignet (lot n° 88)...
L’ÉVÉNEMENT / ENCHÈRES GENÈVE MAI 2010 : RELIRE ÉGALEMENT...
• # 1 – PATRIZZI & Co : « Un manuscrit inédit de Breguet sort de l’ombre » (Business Montres du 31 mars et information n° 9 du 2 avril)...
• # 2 – CHRISTIE’S : « La stratégie d’excellence d’Aurel Bacs » (Business Montres du 8 avril)...
• # 3 – ANTIQUORUM : « Une promenade dans un catalogue de 500 lots » (Business Montres du 1er mai)...
• # 4 – SOTHEBY’S : « Un regard sur un catalogue très conformiste » (Business Montres du 4 mai)...
• # 5 – PATRIZZI & CO : « Un voyage dans le temps avec Osvaldo Patrizzi » (Business Montres du 5 mai)...
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