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La semaine prochaine, les enchères de Christie’s et Sotheby’s vont reprendre possession de Genève.
Des bijoux et des montres seront mis en vente pour plusieurs dizaines de millions de francs. Qui sont les familles qui mettent en vente ces parures de reines? Beaucoup résident entre Cologny et Montreux.
«J’ai rencontré Marie Vergottis en 1991, lors d’un dîner chez des amis, sur la Riviera vaudoise. Elle avait 77 ans, mais n’avait rien perdu de sa passion pour les arts, la littérature et la musique.» Ainsi commence l’histoire extraordinaire de David Bennett, président du département de haute joaillerie pour l’Europe et le Moyen-Orient chez Sotheby’s, et de Marie, née Marinidis, de Smyrne, richissime Grecque et résidente de Montreux.
«On ne se sépare pas d’un bijou sans états d’âme»
En 2000, Sotheby’s lance sa saison genevoise de ventes aux enchères de montres et de haute joaillerie. Les parures de Marie Vergottis, alliant saphirs, émeraudes et diamants, sont exposées. Les 130 pièces seront vendues pour 11,6 millions de francs. Certes, il y a, là, le prestige de l’achat. Mais les destins, les ombres et les mythes féminins ne sont jamais loin. «Un bijou, explique David Bennett, féru d’histoire, de philosophie et d’astrologie, n’est jamais un objet comme un autre. On ne s’en sépare jamais sans perdre ou donner une partie de son âme.»
Si, en 2000, les colliers, bracelets, bagues ou boucles d’oreilles de Marie Vergottis se sont arrachés à Genève, c’est que la femme, d’une immense beauté, a fasciné plus d’un acquéreur. Le bijou est magique, hypnotique. «Après cette première rencontre, raconte encore David Bennett, je me suis rendu à son appartement de Lausanne. J’ai eu la chance de pénétrer son intimité, où j’ai découvert tout l’univers de cette femme d’exception: sa collection de peintures, dont une œuvre majeure de Toulouse-Lautrec (Hélène V.), des tissus fins de France ou une collection unique de porcelaines chinoises.»
Le siècle passé revient en force; ce début du XXe siècle où les élites grecques, égyptiennes, turques ou sud-américaines offraient à leurs enfants une éducation des plus raffinées, où les jeunes filles de bonne famille excellaient au piano, à la peinture, à l’art de recevoir et à l’intelligence de discourir, de Buenos Aires à Athènes, d’Alexandrie à Istanbul.
Marie Vergottis et son mari Georges, armateur grec, sont venAus s’établir à Lausanne, où ils ont créé une fondation pour les jeunes désargentés, afin de leur donner accès aux meilleures universités anglaises, et où, à l’avenue du Théâtre, ils ont décidé d’exposer leur collection de porcelaines chinoises.
«Chaque année et cette année encore, confie l’expert en haute joaillerie de Sotheby’s, une partie des bijoux nobles qui sont mis en vente à Genève provient de Suisse. Et tout particulièrement de l’arc lémanique. Il y a ici des trésors insoupçonnables.»
Chez Christie’s, le constat est le même: «Parmi les 220 lots que nous allons présenter, confirme Cristiano de Lorenzo, porte-parole de Christie’s, il y a bien sûr des bijoux d’Europe et d’ailleurs. Mais nous en comptons également une partie provenant de Suisse.»
Las! La plupart du temps, les «vendeurs» préfèrent garder l’anonymat, même parfois envers les acquéreurs: «Les familles, les héritiers préfèrent souvent que l’on ne sache pas qu’ils mettent les bijoux de leur mère ou de leur grand-mère aux enchères.» Ce n’était pas le cas de Marie Vergottis, dont les héritiers ont choisi David Bennett pour vendre, après sa mort survenue en 1999, ses parures les plus belles. Ce n’est pas le cas non plus, en cette année 2010 comme en 2008, pour une autre femme mythique, Lily Marinho, Anglo-Française d’origine, qui a épousé l’un des hommes les plus influents du Brésil, Horacio de Carvalho, avec lequel elle vivra trente-neuf ans. Veuve, Lily se remariera avec le magnat de la presse brésilienne, Roberto Marinho, qui l’aimait en secret depuis cinquante ans…
Lily Marinho, 87 ans, est toujours en vie et habite toujours au Brésil. Ses parures seront en vente, le 11 mai prochain, à Genève. Pourquoi vend-elle ce que ses deux maris millionnaires brésiliens lui ont offert? La question est vulgaire… Renflouer les caisses familiales pour payer une succession; dégager du cash pour acquérir une villa, un jet privé; financer des dettes de jeu; surmonter une crise économique? Tous les cas de figure apparaissent. Mais chut! Pourquoi, alors, ont-elles choisi plutôt Sotheby’s que Christie’s qui ouvre, elle aussi, ses enchères genevoises (lire ci-dessous)?
Le culte de l’anonymat
«C’est avant tout une question de relations personnelles, confie David Bennett. Je voyage beaucoup pour cela. Je rencontre beaucoup de monde; fonctionne alors le bouche à oreille.» Le responsable de la haute joaillerie de Sotheby’s a d’ailleurs quitté l’Angleterre pour s’établir sur la Côte lémanique, afin de se rapprocher de tous ses clients, présents et à venir.
Oui, au bord du Léman – «de Cologny à Montreux», affirme encore David Bennett – il y a des trésors cachés. Qu’on les vende comme l’on a vécu. En secret. Seuls les dîners privés dans les palaces de la Riviera ou les hôtels particuliers genevois, dont on ne verra jamais les photos ni dans Paris Match ni dans les pages people romandes, auront l’honneur de voir ces somptueuses parures portées par ces muses de milliardaires. C’est tout cela que le public pourra contempler la semaine prochaine à Genève: une âme, une histoire, une culture si loin du bling-bling. Si proche de cette Europe rétro à jamais disparue.
Élisabeth Eckert
Tribune de Genève
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