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A deux siècles de distance, la main de Breguet a toujours autant d'influencesur l’univers des montres.
Les manuscrits inédits de ses mémoires– un des documents les plus importants de l’histoire horlogère – viennent de réintégrer le patrimoine de Breguet.
Moyennant 2,3 millions de francs suisses : merci, Monsieur Hayek !
• EXCLUSIVITÉ : « Osvaldo Patrizzi raconte la vente », une vidéo en direct à découvrir en caméra d’ambiance, dans la salle d'enchères » (02:42), sur la nouvelle chaîne images de Business Montres)...
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••• LES HACKERS ATTAQUENT !
Définitivement, le pire ennemi des auctioneers contemporains est l’informatique ! Quand le système lâche, tout s’arrête, ou presque. Il est vrai que c’est souvent le cas dans les ventes Patrizzi & Co, où la panne informatique semble élevée au rang d’une tradition : Osvaldo Patrizzi a beau s’offrir les mêmes prestataires techniques que ses concurrents, il finit toujours par être trahi par une poignée d’électrons libres. A tel point qu’on peut se demander si cette série noire relève de la malchance absolue ou de la malveillance insidieuse d’un hacker fou : hypothèse conspirationniste qui n’est en rien endossée par Business Montres, mais...
• Parce qu’il y a un mais... La loi des probabilités excluant une aussi belle série de coïncidences que celle de la fatalité digitale qui semble s’acharner sur les ventes Patrizzi & Co, il est tentant d’aller chercher plus loin. C’est ce qu’a fait, tout l’après-midi, le prestataire de services défaillant de Patrizzi & Co, Live Auctioneers, qui gère apparemment sans problèmes chaque année, dans le monde entier, des millions d’enchères pour plus de 800 auctioneers spécialisés dans tous les domaines, avec une débauche de moyens technologiques qu’on ne peut même pas imaginer...
• Avec l’aide des « flics » de la Toile, Live Auctioneers a retrouvé la trace de quatre hackers dont l’intrusion pourrait expliquer les déboires vespéraux du système informatique de Patrizzi & Co. Plusieurs plaintes ont déjà été déposées contre cette attaque virale : affaire à suivre !
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••• LES MEILLEURES AFFAIRES DE L’ANNÉE AUX ENCHÈRES
Reste, en fin de compte, ce joyeux chaos d’une première session de vente où, face à une salle clairsemée (l’habitude aidant, et puisqu’on n’était pas encore le week-end, de nombreux enchérisseurs lointains se reposaient sur Internet et sur le téléphone), un Osvaldo Patrizzi impavide bravait l’inutilité des écrans vides pour tenter d’animer ce qui pouvait l’être. Et les lots défilaient sans la moindre pression des amateurs du monde entier, avec un pourcentage hallucinant de lots « ravalés » faute de preneur : une Bérézina sous le marteau...
• Pour les amateurs, cette vente aurait pu la meilleure affaire de ces dernières années, en plus sans la moindre commission à verser à la maison d’enchères (« zéro commission » chez Patrizzi & Co, contre pas loin de 30 % chez les autres). Quel amateur ne rêverait des Calatrava Patek Philippe qui ont été « ravalées » à 6 000 euros, du QP Patek Philippe 3940 scotché sans enchérisseur à 18 000 euros, de la rarissime Patek Philippe Gondolo de 1928 orpheline d’un nouveau poignet à 10 000 euros, des Rolex Explorer 1 de 1956 qui n’ont pas trouvé preneur à 2 200 euros (la même, en version Explorer II aiguille orange invendue à 10 000 euros) ou du coffret des 7 chronos Daniel Roth resté sur le tapis à 18 000 euros ?
• Heureusement que les enchérisseurs chinois connaissent mieux le téléphone qu’Internet : ils se sont goinfrés – à des prix ultra-intéressants – de Patek Philippe et de Breguet de poche, ainsi que de pièces vintage qu’on ne reverra pas de sitôt en Europe. C’est la loi des enchères : faute de pouvoir enchérir en ligne et faute de lignes téléphoniques en nombre suffisant (il n’y en avait guère que sept dans la salle), Patrizzi & Co a laissé filer beaucoup de belle marchandise (relire la série des article de Business Montres au sujet de cette vente et de ses concurrentes)...
• Bilan rapide de la vente, sous réserves de précisions ultérieures qu’on trouvera dès lundi dans la presse karaoké – celle qui reprend la communication des autres en nous faisant croire que c’est de l’information : 5,8 millions de francs suisses sous le marteau, soit, en valeur, près de 110 % de la valeur estimée du catalogue. Ce qui est un résultat global inespéré, compte tenu des galères informatiques éprouvées, mais les 2,3 millions des sept lots Breguet changent la perspective ! En volume, on n’a guère dû dépasser les 68 % de lots vendus, ce qui signifie qu'un petit tiers des montres ont repris le chemin des coffre-forts de Patrizzi & Co : le bug n'explique sans doute pas tout...
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••• LA BIZARRERIE TRÈS SUISSE DES ENCHÈRES « PROVISOIRES »...
Le bouquet final de ce catalogue était tout de même la dispersion des sept cahiers manuscrits annotés par Abraham Louis Breguet avant sa mort (révélation Business Montres du 31 mars) : cet ensemble aussi inconnu qu’inédit – une série exceptionnelle, comme on n’en voit qu’une fois dans une vie de commissaire-priseur – était très attendu, avec une liste de donneurs d’ordre en forme de Bottin mondain des grands collectionneurs internationaux.
• On se demandait comment Osvaldo Patrizzi, légèrement sonné par la trahison technologique, allait aborder la fin de cette session qui n’en finissait plus de s’étirer entre les enchères infructueuses. Vers 19 heures, on passait malgré tout aux choses sérieuses et l’énergie électrique propre aux salles de vente reprenait le dessus. Dès qu’on parle de pièces aussi fantastiques que ces cahiers de la main de Breguet (une main de maître !), l’électronique s’efface au profit du facteur humain : les vrais enchérisseurs – ceux qui n’ouvrent un oeil qu’à partir des deux ou trois centaines de milliers de dollars – étaient au téléphone pour vivre l’événement en direct...
• Il suffisait de voir s’installer au premier rang une partie de la direction de Breguet, emmenée par Emmanuel Breguet en personne, pour comprendre qu’on allait assister à un spectacle mémorable. D’autant qu’Emmanuel Breguet restait pendu au téléphone, avec un correspondant qui ne pouvait évidemment qu’être Nicolas Hayek en personne : pas besoin d’être devin pour deviner que le musée Breguet s’intéressait de près à ces manuscrits du grand ancêtre (image ci-dessus). Le patron du Swatch Group tenait à marquer son territoire !
• Prudence d’Osvaldo Patrizzi avant ces sept lots d’exception : il devait être légèrement déprimé par les avanies informatiques de l’après-midi, mais il devait également expliquer cette particularité suisse qu’est l’enchère provisoire en cas de « suite » de lots à peu près identiques (Business Montres du 2 avril, info n° 9). En effet, à la suite de l’adjudication des sept lots des manuscrits, il était possible de tout remettre sous le marteau en proposant une enchère collective, cette fois définitive. Bizarre, mais très suisse...
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••• UNE BATAILLE ENTRE GRANDES FORTUNES POUR LA MAIN D’UN GÉANT
La bataille entre poids lourds de la collection horlogère pouvait commencer : au téléphone, un Américain de la côte Est, deux grandes fortunes du Proche-Orient, de discrets milliardaires slaves ou asiatiques (ils adorent « Blé-guette »), un célèbre musée (qui n’est pas celui de Breguet) et, bien sûr, Nicolas Hayek via son fidèle et loyal Emmanuel Breguet, lointain descendant du « maître »...
• « J’ai preneur à 80 000 CHF », annonce presque timidement Osvaldo Patrizzi pour le premier cahier de manuscrit (lot n° 311), qui va finir à 250 000 CHF du côté de l’Asie. Nicolas Hayek se rattrape sur le second à 220 000 CHF, puis sur le troisième à 280 000 CHF. C’est le sujet abordé par Breguet et l’intérêt horloger du cahier qui créent sa valeur : il n’y a aucune référence de prix pour des manuscrits totalement « vierges » de tout passage sous le marteau ; on imagine que les grands thèmes de chaque cahier ont été longuement soupesés...
• Quatrième lot pour Breguet à 210 000 CHF, de même que le cinquième à 400 000 CHF, puis le sixième à 390 000 CHF. On pourrait croire que le front des rebelles se fissure, mais une enchère venue du Proche-Orient arrache le septième et dernier lot à 400 000 CHF. 5-2 pour Breguet, mais ces enchères n’étaient que provisoires...
• Remise en jeu des sept lots, à une enchère supérieure à leur montant total (2,09 millions de francs suisses) : la barre est posée par Osvaldo Patrizzi à 2,2 millions. Ses assistants se sont levés pour signaler l’intérêt du collectionneur qu'ils ont au bout du fil. Le combat restera bref : à 2,3 millions, Nicolas Hayek assomme la compétition et désarme ses adversaires. Victoire pour Breguet, qui reprend possession – non sans une nette légitimité historique – d’une partie de son patrimoine dispersé au fil des siècles (détails racontés par Business Montres, le 5 mai dernier)...
• Bonne nouvelle : non seulement ce manuscrit revient dans le giron de Breguet, mais il ne manquera sans doute pas d’être édité. Ce qui permettra à tous les amateurs de lire les mémoires d’Abraham Louis Breguet et aux techniciens de l’horlogerie de leur expliquer les fulgurantes visions du plus grand horloger de l’histoire. Ne serait-ce que pour cette future publication, merci, Nicolas Hayek !
••• AU-DELÀ DE CETTE VICTOIRE DE BREGUET PAR BREGUET, quelques enseignements à tirer de ces deux premières sessions de l’événement Enchères Genève Mai 2010 :
• Pas une institution française ne s'est mobilisée pour un manuscrit de cette importance, qui relevait pourtant du patrimoine national français et qui est sans doute plus important pour l'histoire des sciences – et de l'horlogerie française – que bien des oeuvres d'art contemporain acquises à grands frais par les fonctionnaires culturels de l'Etat...
• Il est incroyable qu’il n’y ait pas, pour ce genre de ventes, une sécurité avec des systèmes parallèles de secours pour assurer une redondance capable de sauver la vente du naufrage. L’informatique est tellement intégrée à nos vies qu’on ne sait plus faire sans elle : on espère que les concurrents de Patrizzi & Co vont passer la nuit à vérifier la sécurité de leurs procédures et allumer des cierges contre les hackers...
• Les acheteurs sont là, mais ils sont devenus, comme tous les clients du luxe, très exigeants sur la marchandise qu’on leur propose : les pièces qui ont explosé l’estimation n’étaient pas forcément les plus chères, mais souvent les plus extra-ordinaires (la Juvénia n° 235, à laquelle Osvaldo Patrizzi ne croyait pas, mais que Business Montres avait bien repérée, ou la Bovet n° 265)...
• Les grands collectionneurs répondent d’autant plus présents qu’on leur propose des grandes aventures : les 50 000 CHF du passeport Breguet procèdent de la même logique que les manuscrits. Ces grands amateurs sont simplement (comme les plus petits) plus soucieux d’en avoir pour leur argent et de ne pas se laisser influencer par le marché, le milieu ou les experts...
• Vu le nombre des acheteurs américains présents dans la salle avec leur iPad, la partie d'échecs qui se joue aux enchères devient encore plus compliquée : d’un index fébrile, on peut désormais retrouver discrètement, pendant les enchères, toutes les références de prix de telle ou telle pièce. Ce qui change radicalement la règle du jeu...
• Rendez-vous demain pour la première session de la vente Antiquorum (Business Montres du 1er mai)...
Vidéo Business Montres - Osvaldo Patrizzi a le sourire après la vente Breguet |