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C'est au 6 de la place Vendôme : une boutique au rez-de-chaussée et, à l'entresol, un musée. La bonne idée architecturale a été de "casser" le plafond de la boutique pour créer une circulation de lumière entre la boutique et le musée : on peut désormais apercevoir la place Vendôme des deux niveaux, sur une double hauteur, alors que la plupart des boutiques voisines abandonnent aux bureaux cet entresol, sombre et bas de plafond malgré les fenêtres basses en demi-lune.
Breguet peut donc se déployer sur 500 mètres carrés, dans ce qui est la plus grande boutique Breguet du monde. L'architecture extérieure est signée Mansart : on peut faire pire. Le clin d'oeil historique est assurée par la porte de l'espace Breguet, du même bleu que les portes historiques du bâtiment (le "bleu Monuments historiques" est un exercice obligé dans tous les secteurs protégés de la capitale). On n'en saura pas plus sur l'architecture qui a signé l'intérieur...
Ce qui surprend dans la boutique, c'est l'impression d'espace, renforcé par un jeu d'ellipses dessinées entre sol et plafond pour suggérer des cloisons sans les imposer : la fluidité de ce découpage des volumes est très bien pensée pour créer des "salons de vente" sans limiter les perspectives visuelles. Les différentes collections sont présentées de façon thématique (Marine, Tradition, complications, joaillerie), sans exagérer dans la décoration alllusive.
Le choix de la couleur dominante de la boutique, un "bleu émaillé", surprend. Ce bleu, rendu lumineux par le verre qu'il habille, est cependant légitime : il rappelle les montres de poche émaillées que vendait Breguet.
Seul problème : c'est, à une nuance Pantone près, le bleu indigo de la boutique Chaumet voisine (une sorte de bleu Klein choisi pour Chaumet par Bernard Arnault en personne et décliné dans toutes les boutiques Chaumet de la planète)...
Beaucoup de bois pour les tons chauds, du cuir pour le mobilier et de l'or par petites touches fondées dans le sol en noyer : on reste dans la logique de l'écrin. Avec, tout de même, assez de dorures pour rappeler que le luxe à la française est né du baroque, dans les dorures versaillaises.
L'espace historique du premier étage (ci-dessus : ne plus dire entresol, ça fait concierge) est plus une esquisse de musée qu'un vrai musée didactique : 120 pièces anciennes sélectionnées pour leur importance culturelle plus que pour leur intérêt horloger, sobrement présentées, avec de généreux espaces de circulation pour rendre la promenade légère.
Quelques portraits, des vieux documents, des notices succintes. On est ici dans l'allusion muséographique : on note au passage que les livres de compte qui tapissaient l'ancien sous-sol de la boutique Breguet première manière ont été relégués hors de portée des visiteurs. Dommage : ils démontraient visuellement une continuité historique à laquelle la maison Breguet semble très attachée.
Evidemment, aucun chiffre n'est donné, mais chacun connaît les loyers pratiqués sur la place. Entre le rachat du pas-de-porte à Armani, le droit au bail, les aménagemnts intérieurs et les travaux de restauration, on atteint allègrement les quinze millions d'euros, qui ne seront certainement pas faciles à amortir en vendant des montres et des bijoux.
Peu importe, puisque la logique des groupes est ailleurs : on y disjoint en plusieurs structures étanches l'immobilier commercial (rentable à long terme ou déficitaire selon les cas, très souvent off-shore pour des raisons fiscales) et l'exploitation des marques, forcément bénéficiaire puisqu'ainsi allégée de lourdes charges immobilières.
Comme tous les comptes sont consolidés, les profits torrentiels des uns gomment les pertes en goutte d'eau des autres : les actionnaires adorent !
De toute façon, la place Vendôme coûte au Swatch Group infiniment moins cher que le nouveau "Hayek Building" de Ginza (Tokyo), édifié pour une enveloppe totale d'à peu près 170 millions d'euros.
Et la place Vendôme, au coeur de Paris, est autrement plus luxueuse et plus porteuse d'image que quatorze étages au coeur de la capitale japonaise.
La place Vendôme est aujourd'hui le ring où se dispute une intéressante partie de catch entre les groupes de luxe qui y possèdent des vitines : Swatch Group (Breguet, Léon Hatot, Swatch), LVMH (Chaumet, Dior, Fred), Richemont (Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, Jaeger-LeCoultre), PPR (Boucheron), Chanel ou Bulgari (nord et sud). Les indépendants comptent les points : Mauboussin,Patek Philippe, Mikimoto, Repossi, bientôt Roger Dubuis, mais sans doute pas Rolex, qui aurait renoncé à investir l'espace qui lui était réservé, au 9 de la place)...
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