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Vingt mètres de file d’attente sur un trottoir parisien : soldes exceptionnelles ?
Pénurie de sucre ?
Nouvelle initiative des Restos du Cœur ?
Non : mise en vente d’une série limitée Panerai-Chronopassion...
Un succès qui réunit tous les ingrédients de ce qui mobilise les amateurs...
1)
••• PANERAI SUBMERSIBLE PAM 358 « TOUT À GAUCHE »
Il n’y en avait que 100, numérotées, allouées sans passe-droit selon le principe du « Premier arrivé-premier servi » (pratique assez rare dans l’univers du luxe horloger) : il aura suffi du mail d’alerte lancé par Laurent Piccioto (Chronopassion Paris) pour déclencher un attroupement comme on n’en n’avait plus vu rue Saint-Honoré depuis les pénuries de l’Occupation allemande...
• L’annonce a été faite en deux vagues, avec un lot réservé pour les clients parisiens (la veille, en fin d’après-midi), et les premiers passionnés en poste devant la porte de la boutique dans les vingt minutes qui suivaient : le deux-roues reste le meilleur ami de l’amateur parisien !
• Une deuxième alerte diffusait ensuite l’information auprès des clients du monde entier : un amateur japonais qui partait pour le bureau s’est dérouté vers l’aéroport pour y prendre le premier avion pour l’Europe et, faute de vol direct pour Paris, atterrir à Londres avant de sauter dans l’Eurostar pour faire l’ouverture de la boutique rue Saint-Honoré dès 10 heures du matin. Manque de chance pour lui, de nombreux passionnés avaient commencé la queue dès l’aube ! Ce client japonais est tout de même reparti chez lui, par le premier avion, avec son précieux coffret sous le bras...
• Vingt mètres de file d’attention rue Saint-Honoré, ça étonne toujours, surtout devant une boutique de montres. Parmi ceux qui attendaient d’entrer dans le « saint des saints » (où Chronopassion ne dispose que de trois tables de vente), beaucoup d’amateurs, assez passionnés pour « poster » immédiatement sur les forums spécialisés des paneristi du monde entier leur wristshot – ce qui a immanquablement déclenché une nouvelle vague de curiosité. En quelques heures, la PAM 358 était sold out. Définitivement ! Pas facile de répondre « sold out » aux bons clients de Chronopassion qui n’ont pas pu venir à temps (Laurent Piccioto n’a pris aucune réservation téléphonique) ou qui n’imaginaient pas une telle folie... La seule PAM 358 qui reste est celle de la collection personnelle/musée privé de Laurent Piccioto : elle porte le n° 1 !
2)
••• TROIS CHIFFRES ARABES POUR « PANÉRISER » UN PEU PLUS LE CADRAN
Quelques spéculateurs ont fait la queue pour cette montre collector ultra-désirable, qui commence déjà s’échanger autour des 12 000 euros alors qu’elle était facturée 8 900 euros en boutique. Estimation pour sa valeur aux enchères dans quelques années : au minimum le double ! De quoi rembourser l’aller-retour Singapour-Paris de ces spéculateurs...
• Et la montre ? La PAM 358 est une Submersible étanche à 2 500 mqu’on pourrait juger « classique » si cette édition limitée Chronopassion n’avait pas quelques détails intéressants, comme une « conduite à gauche » (on sait que Laurent Piccioto adore les couronnes à gauche pour ses séries limitées) ou une absence de date à 9 h, ce qui permet au cadran d’afficher trois des chiffres arabes typiques des Panerai (6,9,12, la place du 3 étant occupée par la petite seconde. Pour le reste, boîtier titane et lunette acier (on se demande pourquoi) sur bracelet en cuir « patinable » (image ci-dessus : au poignet et, pour faire saliver les frustrés, le lot des 50 premières pièces au laboratoire de contrôle de Chronopassion)...
3)
••• LES TROIS INGRÉDIENTS DE TOUT SUCCÈS D’APRÈS-CRISE
Moralité : en dépit de la crise économique mondiale, les clients sont là, prêts à sortir leur carte de crédit, pour peu que soient réunis les nouveaux ingrédients du succès en boutique : une marque forte et (vraie identité), un vendeur de référence (vraie exclusivité) et une valeur intelligible (vraie rapport qualité-prix). Ensuite, à partir de cette masse critique, on voit s’enclencher la réaction en chaîne : le marché répond bien quand les clients sont motivés par ce qui leur donne des raisons de s’enthousiasmer à des prix décents (notion qui ne relève pas d’un décompte quantitatif, mais d’une perception qualitative déconnecté du montant de l'étiquette)...
• Une question quand même : pourquoi Panerai ? Entre initiés, on parle de la diagonale PPR pour expliquer la collectionnite hystérique qui saisit les amateurs dès qu’on parle d’une des trois marques fétiches des enchères : Patek Philippe, Panerai, Rolex (soit PPR pour les initiales)...
• Difficile d’expliquer rationnellement cet engouement plutôt irrationnel qui polarise enchères, spéculations et passions autour de ces trois marques. On peut cependant souligner quelques facteurs-clés qui cumulent leurs effets :
• Le poids de l’histoire : Patek Philippe (1839), Rolex (1908) ou Panerai (1936) ont une « vraie » histoire, pas trop bricolée, ni trop rafistolée à la colle marketing. Mais d’autres marques ont, elles aussi, des passés qui parlent pour elles, sans déclencher autant de passions...
• La tradition de qualité : pas facile de prendre en défaut ces trois marques au cours de leur histoire, sachant que, de toute façon, elles ont su transformer en succès et en stars des enchères leurs gaffes commerciales (moins un modèle s’est bien vendu en boutique, plus il pèse lourd sous le marteau) ! Ces marques se sont probablement moins trompées que les autres, moins souvent, et elles ont moins erré que leurs concurrentes au gré des modes horlogères...
• L’instinct de collection : c’est un facteur très peu exploré, étudié et encore moins élucidé (tant sociologiquement que techniquement), si bien qu’on ne comprend pas ce qui focalise aussi nettement (mais de façon inexorable) l’attention des amateurs sur certaines marques ou modèles.
4)
••• LES RACINES DU « PANÉRISME » AIGU
Le cas Panerai est encore plus révélateur des « facteurs déclenchants » de toute pulsion chez les collectionneurs ! Le cas Rolex et le cas Patek Philippe peuvent s’expliquer par l’histoire et le succès commercial planétaire. Très contemporain et encore très récent (guère plus d’une quinzaine d’années), l'exemple Panerai résume les deux autres en soulignant leurs lignes de force en quelques mots :
• Pérennité des modèles : Patek Phlippe sait « faire durer » ses collections (la Calatrava a 70 ans) et ses icônes sont généralement restées sur le marché quinze ou vingt ans ; il est bien connu (même si c’est faux) que Rolex ne sort un nouveau modèle que tous les dix ans : Panerai n’a jamais fait que deux boîtiers au cours de sa vie et produit guère plus de 300 montres entre 1936 et 1996, soit cinquante montres par an relativement faciles à tracer. Cette pérennité tranche avec la saisonnalité des collections horlogères entre 1995 et 2010 (sous l’influence des marques de mode) et elle s’oppose à la néophilie des marques qui s’épuisent dans la « course à la nouveauté »...
• Simplicité de l’offre : Panerai est une des marques les plus lisibles qui soient (deux boîtiers en tout et pour tout, peu de références, des vraies séries limitées), tandis que Rolex capitalise sur ses piliers emblématiques, quand Patek Philippe retrempe en permanente sa légitimité dans ses racines, à travers les enchères comme à travers ses catalogues. Quelques références bien suivies aident à comprendre un positionnement de marque qu’on voit trop souvent dilué dans les multiples déclinaisons incohérentes des autres marques...
• Réaffirmation identitaire : même sans être un expert, on identifie très vite une Panerai, une Rolex ou une Patek Philippe, marques qui ne communiquent que sur leur patrimoine et qui focalisent en permanence l’attention sur leurs icônes. Le reste est périphérique : les champions, les ambassadeurs et les contextes changent, pas les piliers emblématiques. Ce qui crée un socle sur lequel on peut bâtir une image de marque. A force, ça sédimente et ça finit par payer !
• Perception instinctive de la valeur collectionnable : on collectionne... les marques qui se collectionnent ! C’est encore plus vrai pour Panerai, marque qui a toujours été une marque de collectionneurs. Avant 1997 (date du rachat par le groupe Richemont), la marque était déjà recherchée par les amateurs de montres militaires, mais ils n’étaient qu’une centaine en Europe [pour ceux qui ont connu l’époque, les « Egyptiennes » ne valaient pas grand-chose, les « Allemandes » sentaient encore le soufre et personne ne voulait des « SlyTech »]. Aujourd’hui, la communauté de ces initiés a été multipliée par mille : c’est une miracle que les prix ne l’aient été que par dix, voire cent dans le meilleur des cas ! Peut-être que certaines marques naissent avec le gène de la collection...
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