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Fin de partie: L’actionnaire hongkongais euthanasie (provisoirement) Universal Genève
 
Le 01-07-2010
de Business Montres & Joaillerie

Game Over et mise sous le boisseau (provisoire) pour Universal Genève, marque dont Vincent Lapaire aura tenté en vain le sauvetage.

Il rend les armes dans l’honneur, sans pouvoir éviter les questions qui fâchent sur ses propres choix stratégiques...


1)
••• « LA (VAINE) GLOIRE DE NOS AIEUX »...

Universal Genève est une maison dont l’histoire court (courait) sur trois siècles : fondée en 1894, la marque était une manufacture réputée qui n’avais pas vraiment survécu à la révolution du quartz. Sa montre la plus fameuse restera la Polerouter, lancée en 1958 (Polarouter) et redessinée ensuite par Gérald Genta : on y logeait alors un des rares mouvements micro-rotor réellement efficaces, le révolutionnaire calibre 215.

• Relancée à plusieurs reprises depuis les années 1980, mais sans jamais réellement convaincre, la marque Universal Genève avait trouvé en Vincent Lapaire, son CEO depuis 2004, un ardent défenseur, capable de mettre en place une stratégie qui tenait la route, au moins sur le papier, lors de sa présentation à Baselworld 2006 : refonte du catalogue produits, lancement d’un mouvement « manufacture » digne de ce nom (Microrotor UG 100 : ci-dessus), nouvelle collection dessinée par Eric Giroud et sélection d’un réseau de détaillants de premier choix. Sauf que...

• Sauf que les meilleurs ingrédients du monde ne sont rien sans le double souffle capable de donner une âme à une marque en plein redéploiement : un actionnaire qui comprenne de quoi il est question et un CEO un tant soit peu visionnaire, un tant soit peu charismatique et un tant soit peu porté sur la rupture (ce qui n’était pas le cas d’un Vincent Lapaire, manager rigoureux et conséquent, probablement trop honnête et sans doute trop gentil pour jouer des coudes dans cet univers impitoyable)...

• Peut-on échapper à son destin ou demeure-t-on condamné à le subir ? Faute d’oser et faute de confiance dans le potentiel à venir de la marque, Vincent Lapaire s’est attaché à réparer le passé au lieu de préparer l’avenir. On le sentait investi d’une mission à vocation patrimoniale : faire honneur aux traditions d’Universal. Un héritage écrasant par sa splendeur révolue : un handicap plutôt qu’un accélérateur ! A force de cultiver ses racines, Vincent Lapaire en a oublié de regarder vers le ciel, qui appartient aux audacieux. Victime du rétroviseur dans lequel il tentait de reconstruire le développement de sa marque, Vincent Lapaire a fini par lasser son actionnaire asiatique, qui a jeté l’éponge...

• Propriétaire de la marque depuis 1988, le groupe hongkongais Stelux tentait depuis deux ans de la revendre : trop cher sans doute pour des repreneurs potentiels un peu lucides, mais jamais assez cher aux yeux d’un investisseur assez riche pour ne pas avoir réellement besoin de vendre. Poussé par ses actionnaires, Vincent Lapaire entendait valoriser l’héritage du passé au prix (fort) d’un hypothétique avenir et d’un développement plus que jamais problématique pour une « petite marque » indépendante sur les nouveaux marchés du luxe...

• Plutôt prospère (environ 260 millions d’euros de chiffre d’affaires) et très actif dans la distribution en Asie de marques d’entrée de gamme, Universal Genève est la « danseuse » de Stelux : 3,7 millions d’euros de perte pour le dernier exercice. Ce qui n’a sans doute pas contribué à donner aux Hongkongais une bonne impression du marché de la haute horlogerie qu’ils ne connaissent pas et qu’ils comprennent encore moins...




2)
••• « PAS DE QUOI ÊTRE FIER » !...

Sans dépôt de bilan officiel, c’est donc la fin de la partie pour Universal Genève, qui tente un atterrissage en douceur et une entrée en hibernation, avec une survie de la marque (en tant qu’entité économique) réduite à un seule cellule SAV. C’est presque de la cryogénisation : on gèle tout (sans « éteindre » la marque) en attendant retour à meilleure fortune. Pas de quoi être fier ! Les équipes sont dispersées, mais ce n’est pas une surprise pour elles. Vincent Lapaire tire sa révérence, un peu lassé par ces actionnaires hermétiques à la culture alto-horlogère. Seule consolation pour la place suisse : soucieux de leur réputation, les Hongkongais entendent régler tous les fournisseurs en épongeant toutes les dettes – ils en ont les moyens...

• Universal Genève, ou les illusions perdues d’une nouvelle génération horlogère engluée dans les timidités de son honnêteté et dans le respect de règles qui n’existent en réalité que pour être détournées. Une à une, les « nouvelles » marques lancées ou relancées depuis 2004 agonisent quand elles n’ont plus rien à dire de fort, de vrai ou de neuf : celles qui ont du culot s’en tirent en réduisant la voilure et en se gardant de rêver au retour de la Bulle Epoque. Les autres voient leurs ambitions fracassées et ne se survivent qu’au prix d’un acharnement thérapeutique qui a toujours ses limites. Universal Genève a trouvé les siennes...

• Comment en vouloir à un actionnaire qui passe la main faute de nouvelles perspectives ? Demain ou après-demain, il se trouvera toujours un repreneur intéressé par la marque, avec un tout autre projet et – on l’espère – une vraie vision : tout ce qu’on peut souhaiter à ce futur entrepreneur kamikaze, c’est de relire les œuvres complètes de Jean-Claude Biver et de comprendre que ce n’est pas en avançant à reculons qu’on entre dans la carrière. C’est en prenant à bras-le-corps l’héritage et en le jetant dans le brasier de la modernité, voire en violant l’héritière (hors de tout poliquement correct), qu’on fait des enfants à l’histoire horlogère ! Pour prendre un exemple tiré de l’actualité immédiate, Nicolas Hayek n’a pas réanimé l’industrie suisse en squelettant des tourbillons pièces uniques : il a lancé la production d’un million de Swatch fantastiquement disruptives par leur concept de plastique bariolé Swiss Made !



••• Image ci-dessus : un vrai mouvement manufacture contemporain et une vraie histoire de marque ne sont rien sans une vraie volonté de rupture et une vraie culture de la haute horlogerie chez l'investisseur...




••• LES LECTEURS DE BUSINESS MONTRES S’ÉTONNERONT PEUT-ÊTRE du peu de place consenti dans ces colonnes à une marque comme Universal Genève, qui relevait pourtant d’une « nouvelle génération » généralement défendue bec et ongles ici même. C’est que ceci explique cela !

• A quoi bon s’acharner contre une marque respectable et une équipe sympathique quand elles ont décidé d’aller droit dans le mur avec un sourire ravi ? Pourquoi tenter de convaincre des stratèges façonnés au moule que l’avenir est au non-conformisme et que l’horlogerie progresse par phases de rupture (logique de disruption) ? La rébellion est un état d’esprit et une conception du monde, pas un supplément d’âme optionnel...

• L’autisme est décidément une maladie horlogère très répandue, surtout dans un contexte de crise, et l’épidémie n’épargne ni les petites, ni les grandes marques. Vincent Lapaire avait le sentiment d’avoir tout juste, d’avoir la bonne stratégie, les bons produits, la bonne communication et les bons partenaires. Sans oublier les bons sentiments...

• Il avait évidemment tout faux et le principe de réalité l’oblige à mettre la clé sous la porte. Et c’est d’autant plus pathétique que, sur le papier, ça se tenait – sauf que le monde avait changé sans qu’il ait lui-même changé sa manière d’être au monde. Il s’est seulement trompé de match, il s’est trompé de génération et il s’est sans doute trompé d’époque. Les lois de l’horlogerie sont impitoyables : Vae Victis, disaient les Gaulois...


 



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