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La piraterie évolue très rapidement, ne cesse de se transformer, de s’approprier de nouveaux canaux de distribution inédits
Jean-Louis*, teint hâlé, revient de trois semaines de vacances en Asie. Rencontré vendredi à l’aéroport de Genève, il arborait une tenue de circonstance. Estivale, avec des manches courtes. Au poignet, une fausse montre, copie assez réussie d’une célèbre marque suisse. «Elle est belle, non?» Quelques minutes plus tard, après avoir récupéré ses bagages, ce trentenaire passe la douane, sans encombre.
Ironie de cette rencontre fortuite, deux étages plus haut, Stop Piracy inaugurait au même moment, dans la zone de départ, un stand destiné à sensibiliser les voyageurs aux conséquences économiques et sociales (parfois létales aussi) engendrées par l’achat et la consommation de produits contrefaits. Le cas de ce touriste suisse démontre, à l’image de Sisyphe, qu’il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier dans cette lutte apparemment sans fin. Mondialement, la fraude à la propriété intellectuelle coûterait à l’économie près de 440 milliards d’euros, selon le cabinet d’étude Kroll. L’OCDE quant à elle avance le chiffre de 250 milliards. Ces valeurs, qui seraient nettement surestimées selon un rapport interne de l’OCDE elle-même, ne cessent cependant de progresser. «On ne voit pas de différence significative d’une année sur l’autre. Mais en une décennie on peut clairement parler d’explosion», selon Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération horlogère. Très affecté, ce secteur perdrait quelque 800 millions de francs par an en raison des faussaires.
Au-delà des chiffres, la contrefaçon évolue très rapidement, ne cesse de se transformer, de s’approprier de nouveaux produits ou des canaux de distribution inédits, alors qu’elle était auparavant exclusivement cantonnée à l’univers du luxe. Les faux médicaments, DVD, CD, logiciels ou composants électroniques pullulent à travers la planète. Même pour les objets les plus saugrenus. «Il se fabrique dorénavant de fausses brosses à dents», explique Anastasia Li-Treyer, présidente de Stop Piracy. «Absolument tout peut faire l’objet de contrefaçons!».
La Suisse fait toutefois plutôt partie des bons élèves en comparaison internationale. Bruno Schild, directeur au niveau européen de l’intégrité de la marque Philip Morris, estime que les cigarettes issues de la contrebande ne représentent pour l’heure que 0,02% de la consommation helvétique. Des données qui sont nettement plus élevées dans les pays limitrophes. Par contre, l’origine géographique de la production a changé en à peine deux ans. «Auparavant, 100% venaient de Chine. Depuis deux ans, la République tchèque, la Pologne et même la Grèce ont pris le relais.»
A l’inverse, le préjudice s’avère plus élevé pour le secteur des logiciels, soit de 340 millions de dollars pour l’ensemble des fabricants, d’après Elke Schäfer, membre de la cellule anti-contrefaçon auprès de Microsoft Suisse. Environ un quart des programmes informatiques seraient piratés. Et pas seulement par les particuliers. Même des PME s’y adonnent. Swissmedic estime pour sa part que 50% des médicaments achetés sur Internet seraient des faux. Le rocher du mythe grec risque encore longtemps de redescendre la pente.
* Nom connu de la rédaction.
Bastien Buss - Le Temps |