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LES 10 x 10 DE L’ÉTÉ 2010 (# 2/1) : Les 10 changements majeurs de l’après-Hayek (première partie)
 
Le 21-07-2010
de Business Montres & Joaillerie

Le 28 juin dernier, nous sommes entrés dans l’ère post-hayekienne : nous sommes en l'an 1 après N.-H...

Qu’est-ce qui va changer dans un paysage horloger privé de son « Grand Timonier » ?

Pour toute l’industrie des montres, qui avait grandi, puis appris à vivre dans son ombre tutélaire, l’heure de vérité a sonné...


••• « NI DIEU, NI MAÎTRE »...

La célèbre devise anarchiste rend très bien compte de la situation dans laquelle se trouve l’industrie horlogère après la disparition de Nicolas Hayek : plus de « dieu » siégeant dans son Olympe biennois et plus de « maître » capable de faire régner l’ordre d’un froncement de sourcils. Ce qui place l’ensemble de la branche dans une situation inédite : un monde qui n’est plus « tenu » par celui qui en avait relevé les ruines, une création sans son (re)créateur, une boussole sans pôle qui en ordonne l’alignement...

• Quels sont les dix changements principaux qu’il faut attendre d’une horlogerie sans Nicolas Hayek ? Et quels sont les risques prévisibles, sachant que chaque risque peut se révéler une chance s’il est bien compris et habilement affronté (classement de ces changements par ordre logique et non par indice de dangerosité)...





(risque n° 1)
••• LA DÉSTABILISATION INÉVITABLE D’UN SYSTÈME UNIPOLAIRE...
La clé de voûte du système horloger a sauté : Nicolas Hayek était le pilier central d’un édifice bâti en trente ans dont il faut à présent repenser toute l’architecture. Sans son influence personnelle et sans son autorité tutélaire, les relations entre les marques et les groupes ne seront plus jamais ce qu’elles ont pu être. Au-delà de l’empire industriel et commercial de l’entité Swatch Group, il y avait un empire moral capable de pacifier l’espace horloger. Il va falloir réapprendre à vivre dans une industrie multi-polaire, en attendant que se dessine un nouveau leadership reconnu comme légitime.
• Dans l’immédiat, évidemment, rien ne bouge, mais le paysage est celui d’une banquise avant le dégel : on peut évaluer les lignes de fracture [c’est un des objets de cet article] sans pouvoir pour autant évaluer les nouveaux horizons nés de ce changement climatique, dont on perçoit cependant les prémisses.
• Evolution prévisible : rien ne devrait évoluer de façon spectaculaire avant le début 2011, le Swatch Group ayant tout fait pour apaiser les inquiétudes, avec le signal « business as usual » lancé à la profession par l’élection de Nayla Hayek à la présidence du groupe. Impossible également d’anticiper le profil de la reconfiguration du paysage...


(risque n° 2)
••• LA DÉSINTERMÉDIATION DE LA PAROLE HORLOGÈRE...
Si la branche a perdu son « parrain » (dans tous les sens du terme) et son « juge de paix » (voir ci-dessous), elle a surtout perdu son porte-parole international : Nicolas Hayek était le seul à pouvoir parler d’une voix respectée au nom de toute l’horlogerie suisse, dont il avait fini par incarner le panache autant que la percée mondiale après une opération de sauvetage à laquelle très peu croyaient. Qui peut désormais parler avec une telle autorité, assise sur une branche armée industrielle redoutable autant que sur un impressionnant portefeuille de marques et de boutiques ? Vers qui se tendront les micros et qui sera capable de créer l’événement par sa seule prise de parole ? Il ne suffira pas d’être un grand sorcier de la communication pour s’emparer du leadership : encore faudra-t-il avoir la force de frappe économique (un quelconque pouvoir de rétorsion industrielle) additionnée d’un charisme visionnaire certain...
• Evolution prévisible : impossible de tabler sur l’émergence d’un nouveau « patron » (moral et médiatique) avant le milieu de 2011, sachant que ce « porte-parole » ne sera certainement pas auto-proclamé, et encore moins auto-désigné par tel ou tel groupe de pression. En attendant, l’horlogerie est privée de relais médiatique fort et reconnu pour taper du poing sur la table, à Berne comme à Bruxelles ou à Beijing...


(risque n° 3)
••• LA CRÉATION DE RAPPORTS DE FORCE BEAUCOUP PLUS TENDUS AU SEIN DE L’INDUSTRIE...
Autocrate sentimental et empereur souvent débonnaire, Nicolas Hayek régnait d’une main d’acier adoucie par un rayon de miel où beaucoup d’abeilles sont venues s’engluer. Sans lui, les rapports de force entre les managers, les marques et les groupes vont rapidement se teinter d’une rationalité inévitablement dénuée de l’affectivité qui prévalait, du fait de l’histoire autant que du caractère finalement magnanime du (re)fondateur de l’horlogerie suisse. Le durcissement est inévitable, du fait même de l’absence d’un « juge de paix » capable de modérer les ardeurs des uns et des autres. C’est moins une question de caractère personnel [encore que la rugosité soit la règle dans la nouvelle hiérarchie du Swatch Group] que de froide logique économique, voire de constante éthologique : dans toute l’industrie, chacun va s’efforcer, dans les mois à venir, de « marquer son territoire », avec une agressivité plus ou moins naturelle ou calculée...
• Evolution prévisible : passé l’été, les premiers court-circuits devraient lancer quelques étincelles avant la fin de l’année 2010, avec des « incidents de frontière » qui révéleront quelques schémas stratégiques appliqués sans états d’âme. Il faudra plusieurs années pour que cette nouvelle opacité polémogène sédimente : ce ne sera sans doute clair qu’avec l’avènement d’un nouveau « pape »...


(risque n° 4)
••• LES INFLEXIONS DANS L’ÉPINEUX DOSSIER DU « SWISS MADE »...
Survivant de la révolution du quartz fomentée par les Asiatiques, Nicolas Hayek avait fait de cette « suissitude horlogère » un axiome de sa nouvelle politique industrielle. Ce qui ne l’empêchait pas s’accorder des indulgences territoriales qui accommodaient discrètement à la sauce helvétique des brouets aux relents asiatiques. La première entorse à cette règle non écrite avait été révélée par Nick Hayek lui-même à Business Montres (n° 26, 2 décembre 2005) : le Swatch Group venait de décider une guerre contre les marques de mode grâce à des composants faits en Asie. Cette première transgression de l’orthodoxie hayekienne avait fait un certain bruit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe.
• La disparition de Nicolas Hayek lève l’hypothèque éthique qui verrouillait le sujet. La question est désormais un problème tactique purement opportuniste, mêlé de considérations financières et dénué de tout dogmatisme helvéto-défensif. Ce sera un simple et rigoureux calcul de gains et de pertes, pesés au trébuchet d’un impératif élémentaire de profitabilité. Encore un recul de la sentimentalité au profit de la rentabilité ! Il va manquer à l’industrie horlogère un élément moteur capable d’entraîner tout le monde et d’intimider les hésitants, surtout dans l’entrée ou la moyenne gamme...
• Evolution prévisible : le Swiss Made en général a d’autant plus de soucis à se faire que la crise a accéléré le transfert vers l’Asie de nombreuses commandes lancées par des donneurs d’ordre moins regardants qu’auparavant pour leur sous-traitance. Le plus grand flou régnant parmi les autorités de la branche sur la réforme [nécessaire, mais pas forcément bien emmanchée] de l’actuel Swiss Made, tout signal de fléchissement envoyé – officiellement ou non – par le Swatch Group sera interprété comme une sorte de feu vert implicite par les différents acteurs de l’horlogerie, qui n’attendent que cela. S.O.S. Swiss Made : Nicolas, reviens, tes vieux ennemis les tricheurs sont devenus fous !


(risque n° 5)
••• LA RÉVOLUTION DE L’INÉLUCTABLE AUTONOMIE INDUSTRIELLE DU SWATCH GROUP...
Tout va se jouer sur le détermination de Nick et de Nayla Hayek à mener à bien une stratégie d’autonomie industrielle (cessation des livraisons aux marques tierces) qui est dans les dossiers stratégiques récurrents de la direction du groupe depuis près de dix ans. Néanmoins, l’accélération du processus semble inéluctable et la volonté du groupe – industriellement on ne peut plus logique – parfaitement inébranlable. D’autant que l’appel aux bons sentiments – qui était sans doute le péché mignon d’un grand affectif comme Nicolas Hayek – ne pourra plus jouer : on peut estimer que toutes les marques, « clients historiques » ou manufactures récentes, grandes ou petites maisons, marques intégrées ou indépendantes, ont du souci à se faire pour leurs mouvements et pour leurs composants. Quand on songe que le groupe Richemont dépend du Swatch Group pour 50 % de ses approvisionnements, on devine le risque d’affaiblissement de toute l’industrie, soudain obligée de consacrer à l’investissement industriel des budgets autrement plus directement générateurs de parts de marché dans le marketing et la communication...
• Seul espoir, mais il est mince et purement psychologique : Nick et Nayla Hayek n’ont pas besoin d’engager tout de suite le bras de fer avec leurs concurrents. Ils pourraient donc, dans la lignée stratégique dessinée par leur père, se servir avec finesse et intelligence de cette épée de Damoclès pour se gagner des amitiés nouvelles, intéressées certes mais toujours utiles, et pour reformater à leur main les actuels rapports de force entre leur groupe et les marques tierces.
• Evolution prévisible : on travaille là dans une logique de fer, mais avec un calendrier de velours. Ne rien escompter avant trois à cinq ans côté Swatch Group, ce qui ne laisse aucun délai aux autres marques pour s’organiser. On peut même estimer que c’est insuffisant – quoique, dans une économie libre, la demande finit toujours par susciter une offre, surtout si le Swiss Made n’est plus qu’un épouvantail à moineaux ! Avec un terme de dix ans, on peut estimer que l’autonomie industrielle du Swatch Group sera quasi-totale

 



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