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Dix ans d’Opus : dix ans de défis, d’audaces hors limites et de réécritures non-conformistes de la mécanique horlogère.
Sans cet ensemblede dix montres, l’actuel paysage horloger ne serait pas ce qu’il est.
Grâce à ces dix montres, il ne sera plus jamais ce qu'il était.
1)
••• DIX ÉCRITURES D’UNE PARTITION SUR LAQUELLE TOUT LE MONDE VA DANSER…
Le « plateau » était exceptionnel, sinon unique dans l’histoire de l’horlogerie : quelle autre marque, hormis Harry Winston, aurait pu regrouper ainsi François-Paul Journe, Vianney Halter, Christophe Claret, Felix Baumgartner, Robert Greubel et Stephen Forsey, Andreas Strehler, Frédéric Garinaud, Jean-Marc Wiederrecht et le designer Eric Giroud, avec Jean-François Maujon et son Opus X pour clore la file ? Aucune maison n’avait évidemment rassemblé une telle dream team créative et on peut prendre les paris qu’aucune ne le pourra jamais : ne serait-ce que pour cette image finale de la soirée des dix ans de l’Opus, merci à Harry Winston !
••• Le plus amusant est sans doute que ces dix horlogers de référence (un peu plus de dix, en fait, du fait des duos) ne se connaissaient pas tous et que beaucoup ne s’étaient jamais vraiment rencontré. Créateurs solitaires pour la plupart, ils n’avaient d’ailleurs le sentiment de former ensemble un puissant commando de pionniers : ils n’avaient pas conscience que les pionniers, sur le plan militaire, sont les hommes du… Génie ! Ils n’avaient sans doute pas non qu’à eux tous, ils avaient allumé la mèche d’une révolution horlogère – celle du XXIe siècle – qui ne fait que commencer et qu’ils avaient écrit la partition sur laquelle danseront leurs disciples de la nouvelle génération (image ci-dessus : les douze apôtres de la collection Opus, soit, en haut, en partant de la gauche, Felix Baumgartner, Christophe Claret, Vianney Halter, Antoine Preziuso et François-Paul Journe ; au centre, de gauche à droite : Andreas Strehler, Stephen Forsey, Frédéric de Narp, CEO d’Harry Winston, et Robert Greubel ; en bas, à partir de la gauche, Jean-François Mojon, Jean-Marc Wiederrecht, Eric Giroud et Frédéric Garinaud)…
••• Un seul regret face à tous ces refondateurs : il ne manquait au tableau que le sale gosse qui en avait entamé la peinture, Max Busser, le conspirateur téméraire et assez suicidaire pour s’imaginer capable d’imposer ce concept opusien d’ultra-mécanique à un haut joaillier américain…
2)
••• UNE BIO-DIVERSITÉ CRÉATIVE DOMINÉE PAR DES GÈNES FRANÇAIS…
••• Un rapide survol de ces Opus avant de tenter de mieux comprendre le phénomène Opus : bonne surprise, qui ne fait que confirmer une tendance lourde de l’horlogerie créative en Suisse, sur ces dix montres, cinq ont été conçues et réalisées par des Français (François-Paul Journe-Opus 1, Vianney Halter-Opus 3, Christophe Claret-Opus 4, Robert Greubel-Opus 6 et Frédéric Garinaud-Opus 8). Que serait la haute horlogerie sans l’apport français ? On décompte dans cette liste un Britannique (Stephen Forsey-Opus 6), trois Suisses romands (Antoine Preziuso-Opus 2, Jean-Marc Wiederrecht-Opus 9 et Jean-François Maujon-Opus X) et deux Suisses alémaniques (Felix Baumgartner-Opus 5 et Andreas Strehler-Opus 7).
••• Un mot de l’évolution stylistique, de la très sage (pour nos yeux d’aujourd’hui) Opus 1 à la planétaire Opus X : ébranlés par les deux premières Opus, les codes horlogers explosent à partir de l’Opus 3, concept méca-digital resté singulièrement « moderne », et ne vont plus jamais avoir la paix, que ces créateurs réinventent l’affichage de l’heure (Opus 5, Opus 8), le tourbillon (Opus 6) ou la joaillerie horlogère (Opus 9). Tout est permis dans les Opus, sauf de faire comme le monde et de regarder timidement dans le rétroviseur : même avec le recul, le cocktail créatif est resté explosif…
••• Un dernier sourire pour balayer l’argument classique des frustrés anti-Opus : « Les mouvements de ces montres ne fonctionnent pas ». Désolé pour les esprits chagrins, mais il faut seulement avoir la patience d’attendre qu’elles digèrent leurs pêchés de jeunesse : on aura attendu sept ans la livraison des premières Opus 3, mais une dizaine sont en vitrine ou chez les collectionneurs. Certaines pièces, comme l’Opus 9, ont été livrées avant la fin de leur année de naissance (on bon millésime !). Certains modèles – pourtant bien allumés – ont parfois du retard à l’allumage, mais la collection ne compte aucun « plantage » réel...
3)
••• UNE COLLECTION QUI A RECONFIGURÉ TOUT LE LOGICIEL DE L’HORLOGERIE D’AVANT-GARDE...
Fondamentalement, toute cette nouvelle génération a un inspirateur : ici, c'est Vianney Halter, dont les Antiqua ont, dès la fin des années quatre-vingt-dix, impressionné la rétine de Max Busser. Une fois ce virus mental inoculé, il prenait corps grâce à François-Paul Journe, qui devait, à l’origine, réaliser son Opus 1 avec Antoine Preziuso, ce dernier se réservant finalement l’Opus 2. Ensuite, la pente devenait irréversible et l’Opus 3 de Vianney Halter (2003) sonnait l’avènement d’une nouvelle génération, encouragée par son exemple [il faut dire qu’il avait mis la barre très haut, tant sur le plan esthétique que mécanique] et par les premiers succès de Richard Mille.
••• Très rapidement, dans le sillage des Opus, qui envoyaient un « signal fort » à tous les jeunes créateurs, et dans la mouvance de leurs auteurs, on voyait apparaître des maisons indépendantes et audacieuses comme Urwerk, Hautlence, Cabestan, MB&F, dans un feu d’artifices de formes, de concepts et de styles qui permettent aujourd’hui de parler de la révolution horlogère du XXIe siècle.
••• Révolution qui a d’emblée contaminé les grandes manufactures : sans la Cabestan, aurait-on imaginé une collection Tradition chez Breguet ? Sans l’Opus 8 de Frédéric Garinaud, aurait-on tenté la Retrograde Mystérieuse de Chanel ? C’est l’aiguillon de ces créateurs infatigables qui osaient tout en ne s’interdisant rien qui a poussé Thierry Nataf à réinventer Zenith d’un baiser créatif capable de réveiller la Belle au bois dormant. La Monaco V4 de TAG Heuer s’enracine elle aussi dans le terreau fertile de la nouvelle génération. Et ainsi de suite...
4)
••• L’ENJEU INDUSTRIEL RESTE DE TROUVER DES VOLUMES EN CRÉANT DES OPUS ACCESSIBLES...
••• Les codes de la nouvelle horlogère infusent lentement dans l’horlogerie traditionnelle [même Rolex et Patek Philippe ont entamé leur mue stylistique, prélude à une mutation génétique plus décisive]. La translation de ces codes s’est opérée beaucoup plus rapidement, en revanche, pour les marques plus accessibles, qui ont compris que les montres et les marques d’hier ne faisaient plus vraiment rêver les décideurs de demain [le travail de maisons comme Louis Erard, RSW ou Hamilton est à mettre dans cette perspective].
••• Le vrai défi commercial, industriel et marketing est sans doute, à présent, de doter de ces codes révolutionnaires des collections d’entrée de gamme, capables de générer des volumes importants, pour des amateurs qui rêvent d’accéder au paradis de la nouvelle horlogerie, sans avoir les moyens de s’offrir ces ovnis. Rêve un peu fou d’une série d’Opus like chez Swatch, l’utopie d’une Opus accessible chez Harry Winston relevant de la poésie métagalactique : la tentation des ces « post-Opus » accessibles est pressante chez des marques comme TechnoMarine...
••• C’est pour toutes ces raisons qu’on peut aujourd’hui considérer la collection des Opus comme la colonne vertébrale de la nouvelle horlogerie des années dix, vingt et trente : grâce aux Opus, pendant au moins une génération, on ne regardera plus les montres de même manière, et on ne lira plus l’heure sur les mêmes cadrans. Il y aura des évolutions, c’est certain, notamment vers moins d’épaisseur et vers une meilleure ergonomie (lisibilité, porté, fiabilité), mais on imagine d’autant moins un retour aux codes précédents que, sur les marcheurs porteurs, les progrès de la culture horlogère font aimer ces nouveaux paramètres de l’horlogerie contemporain : Singapour (le plus avancé des marchés périphériques de la Chine intérieure) et, dans une moindre mesure, Hong Kong jouent ici le rôle de sas d’accoutumance et de dissémination...
••• L’esprit Opus, le style Opus, l’audace Opus ou l’ambition Opus restent à définir plus précisément, Harry Winston n’ayant jamais vraiment livré son cahier des charges – quoique les prochaines Opus soient déjà planifiées, avec beaucoup d’opportunisme, sur les trois prochaines années. On ne sait donc pas exactement ce qu’est une Opus, ou du moins on voit mieux ce qu’elles ont été que ce qu’elles pourraient être. Reste cette évidence : c’est dans ce creuset créatif qu’ont été fusionnés les marqueurs identaires décisifs des montres pour les années deux mille. Et cette ambition : l'aventure va continuer...
••• Dix grands « jeunes » horlogers étaient là pour nous rappeler que l’horlogerie reste, plus que jamais, une affaire d’hommes, de vision et de passion. Plus que de comptabilité ou d’héritage âprement revisité. Pourvu que ça dure et que la logique des marchands ne prenne pas le pas sur la logique des nouveaux aristocrates du temps...
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