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Remarquablement gérée, la disparition de Nicolas Hayek n’a pas laissé à l’empire le temps de trembler : business as usual ! Reste que plus rien ne sera comme avant et qu’on peut donc se poser des questions sur le destin du groupe de référence pour les métiers de la montre.
•••C’est la fin de l’été : les filles quittent la plage et elles commencent à se rhabiller...
Image ci-contre : Sun Bath 2, de l'artiste hyperréaliste new-yorkais Hilo Chen (détail)..
1)
••• MAIS QUI VA ÊTRE LE NOUVEAU PATER FAMILIAS DU CLAN HAYEK ?
La haute direction du Swatch Group a toujours été verrouillée par la famille Hayek : aucun changement à attendre de ce côté-là, sinon un renforcement de ce contrôle si Marc Hayek « monte » dans l’instance suprême de commandement du groupe (déjà présidé par sa mère et dirigée par son oncle). Moralement, l’autorité tutélaire est aujourd’hui assurée par Marianne, la fidèle et influence épouse de Nicolas Hayek, qui avait une souveraineté féodale et incontestée sur son clan familial. Sa disparition appelle de nouveaux équilibres entre les membres de ce clan, avec des conséquences directes sur la direction du groupe...
••• Réponse : il est sans doute encore trop tôt pour spéculer sur l’exercice du futur pouvoir clanique, surtout tant que Marianne Hayek reste dépositaire de la légitimité familiale...
2)
••• MAIS QUI EST DONC NICK HAYEK ?
Malgré près de sept ans aux commandes directes du groupe, sa personnalité reste une énigme et sa biographie tient en quelques lignes, dont émergent des repères plutôt ésotériques (le cinéma, l’hélicoptère, le cigare, le drapeau des pirates à la fenêtre, etc.). On ne sait à peu près rien de sa conception du business, ni même de la température de son intérêt pour les montres. Les ressorts de sa psychologie demeurent inexpliqués. On lui connaît très peu d’amis, dans le groupe comme en dehors, et sa vie privée est un profond mystère. Bref, pour être resté longtemps dans l’ombre portée de son père, il est aujourd’hui mal connu, imprévisible et volontiers impénétrable...
••• Réponse : faute de comprendre qui il est, essayons de décoder ce qu’il fait. On peut alors remarquer que son comportement relève jusqu’ici d’une froide rationalité managériale, qui ne s’embarrasse pas de circonlocutions dans la gestion des relations humaines. Faut-il le déplorer ou s’en féliciter ?
3)
••• MAIS QUE PEUVENT ET QUE VONT FAIRE LES « GRANDS » ACTIONNAIRES DU GROUPE ?
Soigneusement modelé par Nicolas Hayek, le conseil d’administration du Swatch Group représente ses « grands » actionnaires, familiaux et privés, ces derniers ayant toujours témoigné une imparable fidélité personnelle au fondateur charismatique du groupe. Au fil des années, l’investissement initial de ces actionnaires s’est mué en véritable « trésor de guerre », qu’il serait tenter de liquider (au sens de « rendre liquide », c’est-à-dire de vendre) soit pour des questions d’âge et de succession, soit pour des questions de mauvaises relations avec les héritiers de l’empire. Bien entendu, il existe des pactes d’actionnaires, mais, en Suisse et avec les subtilités du droit fédéral des entreprises, aucun entreprise n’est réellement verrouillable et interdite aux raiders, amicaux ou hostiles [qu’on se souvienne ici de l’affaire Oerlikon, cas typique d’une entreprise familiale imprenable, mais finalement arrachée à ses propriétaires par des raiders]. Donc, rien n’interdit de penser qu’une équipe très motivée – milliardaire chinois ou européen, spéculateur suisse ou américain – ne soit pas déjà en train d’étudier les moyens de faire basculer à son profit la majorité des actions, à la faveur d’une brouille entre actionnaires de référence ou d’une querelle familiale...
••• Réponse : l’affichage permanent des meilleurs résultats possibles a sans doute un effet dissuasif sur la gourmandise des uns et la tentation de vendre des autres. Il y a cependant trop de facteurs (endogènes ou exogènes) de déstabilisation possible pour qu’on soit totalement rasséréné par la stabilité actuelle de l’actionnariat...
4)
••• MAIS LE SWATCH GROUP, PILIER DE L’INDUSTRIE, EN EST-IL ENCORE LE MOTEUR ?
Groupe central de la branche horlogère par le poids de son dispositif industriel et commercial, le conglomérat biennois a des marques tellement fortes qu’elles peuvent se dispenser d’innover et des usines tellement puissantes qu’elles n’ont plus de vraie concurrence. Situation idéale (et très profitable) sur le plan du bilan à court terme, mais plus contestable dans ses perspectives à moyen et à long terme. Depuis quand le groupe Swatch n’a-t-il pas procédé à une avancée significative dans le domaine du concept horloger, du design, de la mécanique, du merchandising, de la communication ou même de l’ingéniérie de production ? Le Swatch Group a suivi les dernières révolutions technologiques et esthétiques (nouveaux matériaux, nouveaux codes graphiques, nouvelles lectures de l’heure, etc.) sans vraiment les initier, et encore moins les diffuser dans toute l’industrie. Sur quels segments du marché de la montre le Swatch Group est-il pionnier, avec un effet d’entraînement qui légitime sa revendication d’être le « premier horloger du monde » ?
••• Réponse : il semble évident que le conservatisme est un confort, mais c’est aussi un engourdissement créatif qui finit par gripper les machines les mieux rôdées et les plus florissantes...
4)
••• MAIS LE GROUPE A-T-IL UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE COHÉRENTE ?
L’autarcie est une idéal stratégique, mais il paraît aujourd’hui plus cosmétique que volontariste (notamment dans le domaine des mouvements) : on a du mal à en saisir la cohérence quand ETA – la principale manufacture de mouvements du groupe met en place un service marketing destiné à développer ses ventes auprès des marques tierces ! L’ambition affichée de consolider les marques d’entrée et de moyenne gamme se heurte aux réalités industrielles d’une Suisse horlogère totalement incapable de se passer de la transfusion asiatique pour la production de ses composants de base (boîtiers, bracelets, pièces de mouvements). La question du Swiss Made sera traitée ci-dessous, mais d’autres questions se posent sur les métiers réellement stratégiques, tant pour ce qui concerne les investissements stratégiques (R&D, notamment) que pour le positionnement de l’offre (mouvements et composants). Mêmes questions sur le périmètre actuel d’un groupe qui mise officiellement sur la croissance interne et qui n’a guère racheté que ses fournisseurs, en refusant beaucoup de belles marques passées à la concurrence – alors que les marques développées en interne sont loin de donner satisfaction (Léon Hatot, Jaquet Droz, Glashütte Original, Balmain, notamment)...
••• Réponse : si stratégie industrielle il y a, elle demanderait à être clarifiée et séquencée de façon crédible. Pour l’instant, on se pose plus de questions qu’on ne trouve de réponses dans les discours en « langue de papier » à usage médiatique...
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