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Codex : Une (grosse) faim qui justifie des (gros) moyens
 
Le 06-09-2010
de Business Montres & Joaillerie

L’équipe biennoise de SwissChronometric a un très gros appétit en s’attaquant d’emblée au marché suisse de la moyenne gamme.

La blitzkrieg lancée au pays des montres par Codex garantirait-elle une percée rapide en Asie ?

Codex : retenez le nom, il va faire l’actualité des prochaines semaines !


1)
••• L’IMPERTINENCE JOUISSIVE D’OUVRIR UNE PREMIÈRE BOUTIQUE À LUCERNE...

Des nouvelles marques, on en voit passer beaucoup : une bonne cinquantaine tous les ans dans le monde entier, ce qui est finalement bon signe ! Mais des ambitieuses comme Codex, c’est nettement plus rare, parole de Business Montres : il y a plusieurs années qu’on ne nous avait pas proposé un tel nouveau concept de marque, avec de tels objectifs et, en face, les moyens d’y parvenir...

••• L’ouverture d’une boutique Codex à Lucerne (Suisse), au cœur de l’été, avait de quoi surprendre : pourquoi couper un ruban début août, en pleines vacances horlogères, quasiment sans journalistes locaux ? Tout simplement parce qu’il s’agissait d’envoyer un message fort à une cible précise, celle des Asiatiques présents dans le centre de la Suisse à cette période – et ils sont (très) nombreux, Lucerne étant la première place commerciale horlogère suisse [eh oui ! devant Genève ou Zurich !]. Les journalistes étaient là, mais c’étaient des... Chinois – et pas des moindres (magazines horlogers, télévisions, presse fashion, etc.)...

••• Egalement présents à Lucerne, mais plus discrètement : les actionnaires principaux de SwissChronométric, la société biennoise chargée de mettre en musique Codex. Actionnaires chinois, comme le savent déjà les lecteurs de Business Montres (révélation du 21 juin, info n° 3), les plus attentifs d’entre eux ayant noté quelques indiscrétions supplémentaires le 26 juillet et de nouvelles précisions sur le « culot » de Codex le 20 août. Inutile, donc, de revenir sur ces capitaux chinois : après tout, ce n’est pas plus choquant que des capitaux sud-africains, américains ou français...

••• Avec une pincée de sensibilité romanesque, on ne peut s’empêcher de songer au plaisir que ces investisseurs chinois (le groupe China Haidian Holdings, qui ne joue pas les petits bras dans le sillon industriel de Shenzhen) ont dû se donner en s’offrant une telle vue sur le cœur battant du commerce horloger suisse, face à Bucherer : c’est autrement plus rigolo et jouissif que les mornes alignements de boutiques (vides) auxquels sont condamnés les marques suisses dans les malls chinois...




2)
••• AU CŒUR DE BIENNE, UNE NANO-MULTINATIONALE DONT LA MATURITÉ IMPRESSIONNE...

Le premier coup de gong ayant été donné à Lucerne, il devenait urgent de rencontrer cette équipe de SwissChronometric : René Kohli (ex-Dior) et Laurence Courtois (ex-Zenith et ex-Dior), qui ont ouvert leurs bureaux au centre de Bienne pour y loger un premier commando de dix personnes. La marque vient de naître, mais les locaux témoignent d’une sorte de maturité anticipée, à la sérénité très frappante. Ce n’est pas la ruche classique des star-ups horlogères, mais une sorte d’état-major pour nano-multinationale, avec l’espace merchandising bien en place, un mobilier contemporain sans ostentation, des espaces lumineux où rien ne manque.

••• Deux « pros » – passés par l’école LVMH, en survivant à la tornade Thierry Nataf pour Laurence Courtois – qui connaissent leur métier, et surtout le métier de l’horlogerie, ses coulisses et ses coups bas : René Kohli est tombé dans la marmite horlogère dès son enfance et tous ses copains y baignent toujours. Ce qui permet de trouver les bons fournisseurs pour respecter la charte Swiss Made que Codex s’impose, à la demande même de ses investisseurs et de ses dirigeants. Ce qui permet aussi de gagner du temps en évitant les impasses classiques que sont la mise en place d’une distribution cohérente ou la faiblesse de la communication [voir ci-dessous].

••• Une nouvelle marque, c’est aussi un environnement marketing et une collection qui doit tenir la route. Avec un projet pertinent, qui est ici de se poser d’emblée dans le peloton de tête des marques de moyenne gamme suisses, quelque part au-dessus de Tissot, dans les parages de Longines et pas très loin de TAG Heuer ou d’Omega, voire même des premières Breitling. Un segment peu spectaculaire, bien délaissé par les marques, mais qui fait l'objet d’une vraie demande chez les amateurs européens, américains ou asiatiques. Encore faut-il l’aborder comme il convient...




3)
••• UN CONCEPT DE MARQUE FIGNOLÉ DANS SES MOINDRES DÉTAILS...

On a l’impression que l’équipe de SwissChronometric, qui annonce d’autres marques sous cette « ombrelle », a systématiquement coché tous les bonnes cases pour se donner les moyens de réussir. Moyens considérables en termes de budget puisque, si on audite grosso modo l’ensemble des dépenses visibles et programmées de SwissChronometric, on parvient vite à une fourchette située entre 12 et 15 millions de francs suisses. Codex ayant pour ambition d’écouler 10 000 montres autour de 2 500 francs suisses au cours de son premier exercice, on réalise qu’il faut des investisseurs particulièrement blindés et opiniâtres pour espérer devenir profitable dans un délai raisonnable...

••• Quelles bonnes cases ont donc été cochées pour ce Loto qu’est tout lancement ? L’exercice est toujours périlleux et il manque souvent aux néo-marques l’essence pour faire les 100 derniers mètres ou les bouts de ficelles qui feraient tenir le tout. Pas ici...

••• NOM DE MARQUE : il fallait un fil conducteur, une grammaire, un code de base pour le concept de cette nouvelle marque. Code = code génétique = chromosome X (masculin) = code X = codex (« livre » pour les Romains, qui en faisaient des recueils de lois) = Codex. Tant mieux si ça sonne comme Rolex [ça ne peut pas faire de mal !] et tant mieux si ça se prononce bien dans toutes les langues, notamment en chinois, où la traduction littérale de codex fait passer l’idée de puissance et même de virilité...

••• TOUR DE TABLE : on a vu plus haut que le groupe China Haidian Holdings (coté à Hong Kong) ne jouait pas, en Chine, dans la cour des maternelles. Le signal fort est que, pour progresser sur la voie de la sagesse horlogère, Haidian a accepté de reconnaître qu’ils ne savaient pas travailler dans le qualitatif, et qu’ils avaient besoin du savoir-faire (branding, marketing, merchandising) suisse. Le signal faible, mais stratégique pour le long terme, c’est qu’ils ont envie d’apprendre, donc de prendre des parts sur ce marché de l’horlogerie de qualité...

••• SWISS MADE : les fournisseurs (mouvements exclusivement mécaniques, ateliers de montage, sertissage, notamment) sont traçables, seuls quelques composants d’habillage ne venant pas de Suisse – ni plus, ni moins que les autres marques suisses. On peut même se demander si, se sachant dans l’œil du cyclone et du fait de son actionnariat exotique, Codex n’en rajoute pas un peu dans l'intégrisme, histoire d’être en plus insoupçonnable...

••• MARKETING/MERCHANDISING : zéro faute, rien qui dépasse, la bonne PLV et les bonnes photos aux bonnes dimensions, les catalogues soignés, un environnement de marque calculé et réalisé au millimètre, avec les gants et les mini-tournevis griffés Codex, pour une image de qualité qui sonne luxe abordable, sans bling-bling, mais sans fausse modestie...

••• PROMOTION/COMMUNICATION : la vidéo d’ambiance respecte les codes du luxe non ostentatoire et le choix du mannequin témoigne d’un sens très sûr du casting (juste sexy comme il faut, ni trop macho, ni trop gay). Le plan média pour le lancemen en Suisse est fastueux : dès la mi-octobre, 88 spots TV de 30 secondes sur les chaînes suisses pendant quatre semaines, pile avant le journal du soir, plus l’annonce des grandes émissions de référence, plus les radios (annonce de l’heure), plus 1 400 affiches, plus un poster géant à Lucerne, plus d’autres vagues à la mi-novembre (15 secondes), plus un événement international à Lausanne début décembre (exclusif Codex, avec un concentré de place Rouge moscovite sur les bords du lac, histoire de préparer le terrain avant l’ouverture d’une boutique à Moscou, le premier jour du Nouvel An russe), plus le kit « événement personnalisé » offert aux détaillants, plus, plus... Ceci pour ne rien dire de l’actuel lancement en Chine [énormes retombées médias] et du programme européen pour 2011.
••• Si cela vous amuse, à Beijing, c’est sous le parrainage de Codex que Franco Cologni et Fabienne Lupo seront récompensés pour leurs initiatives au sein de la Fondation de la haute horlogerie : clin d’œil ou pied de nez ?

••• SPONSORING : Business Montres (20 août, info n° 4) avait signalé le parrainage exclusif du HC Bienne (club mythique du hockey suisse), mais Codex a des vues sur le futur grand stade de Bienne, qui sera une sorte d’arène multi-sports : on pourrait y voir à la fois la (future) manufacture Codex et, dans les loges, les événements Codex. Un tel appétit laisse pantois...

••• DISTRIBUTION : en plus de sa propre boutique de Lucerne, Codex s’offre d’emblée de superbes vitrines en Suisse, avec près de 20 points de vente, dont Chimento à Genève [ce qui situe l’ambition]. Viendront ensuite, pour l’Europe, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, développés parallèlement à l’Asie...

••• COLLECTIONS : l’esthétique est signée Studio Design, qui n’a pas hésité à travailler un boîtier relativement complexe (une cinquantaine de pièces) pour garantir à ces montres viriles une identité marquée. Tous les détails qui font le succès d’une montre contemporaine y sont, notamment le cadran étagé et texturé (ici, en forme de X), avec une multitude de mini-attentions qui attestent du soin apporté à ces montres (aiguilles spéciales, boucles, etc.). Positionnées dès 2 400 CHF, 5 400 CHF pour les chronos et jusqu’à 69 000 CHF pour les pièces serties, les trois lignes (18 références) ne manquent pas d’atouts séduisants. Les codes sont en tout cas posés...




4)
••• UN DÉPLOIEMENT STRATÉGIQUE POUR S’INSTALLER DANS LA COUR DES GRANDS AU PREMIER COUP DE CANON...

Une fois toutes les cases bien cochées, reste cette inconnue qu’est la réaction du public et sa capacité à se ruer vers Codex pour les fêtes de fin d’année. La pression promotionnelle sera forte, mais rien n’est jamais garanti dans ce domaine, surtout dans un climat économique pétri d’incertitudes internationales...

••• Seule certitude : une attaque aussi massive sur un segment relativement tranquille jusqu’ici peut clairement déstabiliser quelques marques renommées, notamment celles qui ont oublié de verrouiller leurs parts sur ce marché du néo-luxe accessible. Si Codex venait à s’établir durablement dans ces eaux, ses concurrents devraient soit monter en gamme, soit réagir aussi fort et avec autant d’opportunisme dans la communication [ce qui n’est pas gagné quand on a tout misé sur la construction d’une image beaucoup plus haut de gamme]...

••• Feu de paille ou feu continu ? S’il faut bien se garder de pronostiquer quoi que ce soit dans ce domaine, on va bien s’amuser pour cette rentrée 2010, d’autant qu’il y a d’autres nouvelles marques suisses qui se bousculent au portillon...

 



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