|
Coup de tonnerre inattendu dans le ciel des enchères horlogères : Osvaldo Patrizzi (ci-contre, au centre), co-fondateur d’Antiquorum dont il avait fait la référence mondiale avant d’en être éjecté, abandonne la partie à Genève, Milan et New York pour se replier sur Hong Kong.
Cible : le marché chinois des enchères de montres de collection. Ex Oriente Lux...
Explications sur cette décision et perspectives pour l'avenir.
1)
••• LES PREMIÈRES VRAIES ENCHÈRES DE MONTRES EN CHINE POPULAIRE...
Fermeture pure et simple du bureau de New York : « Au moins jusqu’à ce que le marché américain soit revenu sain et actif ». Repositionnement administratif et redimensionnement à la baisse des bureaux de Genève et de Milan : « Seulement pour les affaires courantes, en arrêtant les ventes régulières, mais avec la possibilité de ventes ponctuelles ». Renforcement du bureau de Hong Kong : « Ce sera la base opérationnelle pour nos prochaines ventes en Chine continentale, dont la première aura lieu le 10 octobre à Shenyang ». Un programme de ventes ultérieures a été établi (Dalian, Harbin, etc.), avec une dizaine d’échéances envisagées.
••• Cette vente de montres au cœur de la République populaire de Chine, à Shenyang, est une première mondiale pour l’horlogerie de collection. Elle est organisée, sous l’autorité morale de Patrizzi & Co Hong Kong, par la maison chinoise Yian Du (Liaoning International Commodity Auction). Le concept en est tout-à-fait classique : expositions préalables dans différentes villes, catalogues, commissions selon les normes chinoises et règlements en monnaie locale, les vendeurs étant compensés en dollars par le bureau de Hong Kong. Ces ventes bénéficient de garanties qu’on peut estimer plus contraignantes que celles qui s’imposent lors des enchères genevoises...
2)
••• LES COLLECTIONNEURS TRADITIONNELS RECHIGNAIENT À ENCHÉRIR EN LIGNE...
Pour Patrizzi & Co, ce coup d’arrêt à la partie la plus visible des activités sur les marchés européen et américain intervient après deux ans d’existence mouvementée. On se souvient – les lecteurs de Business Montres en sont très souvent eu la primeur – du concept « zéro commission » annoncé par Osvaldo Patrizzi, qui souhaitait tout miser sur des enchères en ligne (sans catalogue imprimé), avec des ventes multi-écrans simultanées.
••• Trahi par la technique (de graves incidents informatiques n’ont cessé de paralyser ses ventes) et sans doute victime de la réticence des collectionneurs à enchérir en ligne et à anticiper l’absence de commission d’acheteur, Osvaldo Patrizzi préfère jeter l’éponge provisoirement pour se reconcentrer sur un marché au potentiel explosif où il n’a pour l’instant pas le moindre concurrent. Ces problèmes informatiques ont par ailleurs privé Patrizzi & Co de revenus substantiels. Ajoutons la crise à ces difficultés. Le retour aux méthodes habituelles (notamment l’édition du catalogue et les expositions) faisant exploser les coûts par rapport au modèle économique visé, l’« effet de ciseau » s’est avéré ravageur pour la trésorerie...
••• Pour ne pas en arriver à une issue fatale, il fallait réagir en redéployant l’activité sur un terrain plus facile, le temps d’honorer les échéances en cours (catalogues, notamment) et de retrouver un peu d’oxygène. Ce sera donc la Chine, où Osvaldo Patrizzi peut faire valoir ses qualités d’expert pour conseiller les maisons chinoises d’enchères (qui sont les seules à pouvoir organiser des ventes en RPC) : il interviendra, avec son équipe, comme « expert horloger international » (en relation avec les collectionneurs du monde entier) et comme « support technique » pour la création de catalogues attractifs et bien documentés.
3)
••• « IL FAUT SE BATTRE À LA FOIS CONTRE LES VENDEURS ET CONTRE LES ACHETEURS »...
Rebond inattendu donc, pour celui qui avait « inventé » de toutes pièces le marché des montres de collection, les premières enchères de montres-bracelets, les premiers catalogues de référence, les premières ventes thématiques et les premières enchères horlogères en ligne.
••• Pourquoi arrêter les enchères en Europe ?
Osvaldo Patrizzi : Question de professionnalisme : nous avons prouvé avec Patrizzi & Co que de nouveaux concepts étaient possibles, qu’il s’agisse de ventes sans commission ) (tout le monde sait maintenant que c’est l’avenir et nos concurrents s’y préparent), ventes multi-écrans (l’idée a été retrouvé pour les enchères automobiles aux Etats-Unis ou ventes en ligne sans catalogue (déjà imitées par nos concurrents).
• Nous avons sans doute été trop en avance, avec une technique qui n’était pas à la hauteur. Les défaillance de notre système en ligne nous ont « plombé » dès la première vente : nous ne savions même plus qui avait acheté à quel prix ! Heureusement, nous avons pu reconstituer les enchères grâce à la vidéo, mais nous n’avions qu’une alternative : continuer sur cette voie (avec tous les risques d’échec inhérents à la technologie) ou revenir aux enchères classiques et tout recommencer à zéro, avec de nouveaux investisseurs.
• J’ai considéré qu’il valait mieux prendre le temps de réfléchir. J'ai choisi d’exprimer notre expertise sur un autre terrain, en donnant aux nouvelles technologies le temps de rattraper leur retard sur nos propositions...
••• Et la guerre avec Antiquorum ?
Osvaldo Patrizzi : Notre bataille judiciaire avec Antiquorum, dont j’ai la conviction – étayée par les documents fournis au juge de Genève – que nous la gagnerons, a de toute évidence été un facteur aggravant. Psychologiquement, ça mine ! Economiquement, une telle affaire en cours n’est pas un signal d’encouragement adressé aux investisseurs qui s’intéresseraient à nous, mais qui prennent peur. On est en guerre sur tous les fronts à la fois, c’est épuisant...
••• Comment s’organise le retrait du marché ?
Osvaldo Patrizzi : J’ai voulu que ce soit le plus proprement du monde. Nous avons engagé un spécialiste de ce genre d’opérations pour faire les choses dans les règles avec nos fournisseurs et avec nos clients, mais aussi avec notre équipe, qui a prouvé sa motivation et qui restera mon plus grand regret : celui de la voir se disperser, alors qu’elle était la plus qualifiée et la plus performante du marché [il fallait une sacrée force de caractère pour endurer tout ce que nous avons supporté, avant, pendant et après les ventes]. Tout sera réglé : nous avons pour cela une trésorerie et un inventaire suffisant...
••• N’est-ce pas une désertion ?
Osvaldo Patrizzi : Non pour les multiples raisons de responsabilité professionnelle et personne que je viens d’invoquer. C’est un réflexe de prudence, même si je reste particulièrement conscient des évolutions – à mes yeux négatives – du marché des enchères en Europe, et à plus forte raisons aux Etats-Unis.
• La crise a exacerbé la mutation des comportements. Les mentalités ont changé et nous, auctioneers, sommes aujourd’hui pris entre l’arbre et l’écorce, alors qu’il y a moins de cash qui circule et que les investisseurs deviennent ultra-prudents. Il faut maintenant se battre avec les vendeurs – irréalistes et souvent trop gourmands. Il faut se battre avec les acheteurs – imprudents et souvent mauvais payeurs, plus par inconscience que par malhonnêteté, encore que...
• Nous sommes devenus des comptables en guerre pour accélérer le règlement des factures au lieu de faire notre métier d’expert, de créateurs de rêves et de « dénicheurs de trésors ». Chez beaucoup, la passion et l’amitié restent des valeurs fortes, mais même notre petit monde de la collection a évolué, avec des effets domino non maîtrisables [la défaillance de l’un provoquant la méfiance de l’autre, et ainsi de suite !]. Les fortunes semblent moins installées, la prospérité est toujours plus précaire mais les voyous, même riches, se comportent toujours en voyous...
• Impossible, dans ces conditions, de mener à bien la révolution des enchères telle que je la souhaitais. Autant en prendre acte, avec réalisme et détermination, pour repartir nous battre, dans de meilleurs conditions, sur des marchés où apparaît une nouvelle génération de collectionneurs et d’investisseurs, avec des fortunes plus fluides qui cherchent à s’instituer en patrimoine durable. Là-bas, le potentiel est énorme et les mentalités y évoluent très vite : savez-vous que 6 des 8 plus grandes maisons d’enchères du monde sont chinoises ?
••• Ex Oriente Lux, donc ! Mais que restera-t-il de Patrizzi en Occident ?
Osvaldo Patrizzi : Il reste... nous, notre expertise, notre carnet d’adresses, notre connaissance des collectionneurs et des collections à constituer ou à disperser, et nos livres, bien sûr. La collection des Pocket Books va continuer, à la demande générale, ainsi que les livres de référence sur les grandes marques.
• On va plus que jamais avoir besoin d’éclairages sur l’histoire et les traditions de l’horlogerie. C’est en Europe (et aux Etats-Unis) qu’est née et que se ressource en permanence la culture du luxe en général, et la culture horlogère en particulier. Je crois plus que jamais, ici comme en Asie, à ce marché de la belle montre mécanique dont nous avons fait ce qu’il est aujourd’hui et que nous avons élevé au rang d’un des nouveaux beaux-arts du XXe siècle.
• Si c’est en Chine qu’il faut être, c’est en Europe qu’il faut revenir, sans cesse, pour tout expliquer et tout comprendre. Pas d’inquiétude : Patrizzi sera toujours Patrizzi...
|