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Hublot, Rando, Horlo : Jean-Claude Biver invente l’évergétisme du XXIe siècle
 
Le 13-09-2010
de Business Montres & Joaillerie

Que demande le peuple ?

« Du pain et des jeux » (Panem et Circenses), répondait-on sous l’empire romain.

« Du luxe et du spectacle », exigent les citoyens du nouvel empire globalisé.

Ce qui tombe bien pour Jean-Claude Biver, pourvoyeur d’émotions, qui a tout compris de ce que devait une marque de luxe dans les années dix...


1)
••• DANS LE VACARME DES TOUPINS D’UNE DÉSALPE ENSOLEILLÉE...

« Désalpe » (en français : transhumance) : quand Jean-Claude Biver ne s’en mêle pas, c’est le retour du troupeau de l’alpage, éventuellement suivi d’un buffet néo-paysan s’il y a quelques « bobos » dans les environs. Avec Jean-Claude Biver, c’est tout de suite le grand cirque agresto-mondain, avec une mobilisation médiatique qui fait accourir les télévisions devant une ruralité romande qui se surprend à redécouvrir ses racines.

••• Hier, dans les cités de l’empire romain et de la Grèce antique, tout membre de l’aristocratie se sentait tenu de donner du plaisir au peuple et de le faire profiter de libéralités qui pouvaient aller jusqu’à la construction de thermes ou d’amphithéâtres, mais qui consistaient aussi à offrir des spectacles à la plèbe – d’où la fameuse expression Panem et Circenses (« du pain et des jeux »). Cette générosité sociale avait un nom : l’évergétisme, phénomène dont l’historien Paul Veyne, référence en la matière (Le Pain et le Cirque), nous dit qu’il était « beaucoup plus contraignant qu’une simple coutume et beaucoup plus subtil qu’une simple institution ».

••• A l‘âge de la télé-réalité, plus question de construire des cirques ou d’offrir des spectacles de gladiateurs : la télévision s’en charge ! En revanche, la demande sociale n’a pas changé en intensité, elle s’est seulement transformée en devoir d’offrir à la collectivité de ses réseaux du luxe et du spectacle, c’est-à-dire de l’art de vivre habilement mis en scène. C’est le « devoir social » des nouveaux aristocrates que sont les marques et ceux/celles qui les portent : c’est même leur nouvelle mission – et Jean-Claude Biver l’a parfaitement compris, comme en témoigne sa désalpe de ce week-end...



2)
••• UN DÉTONNANT COCKTAIL DE MINETTES EN SHORT ET DE PAYSANS ROUGIS PAR LES DÉCIS DE CHASSELAS...

Indice de cette demande sociale : la mobilisation d’une grosse centaine de marcheurs de toutes conditions (physique et sociale) pour une petite vingtaine de kilomètres « au cul des vaches » qui refluaient de leurs pâturages estivaux le long d’une petite route vaudoise qui déroulait ses lacets entre bois d’épicéas et prairies toujours vertes. Ils partirent à cent, mais par un prompt renfort, ils se virent cinq cents en arrivant au port – en partie à cause du buzz médiatique anticipateur (ainsi que du beau temps), mais surtout de la promesse d’une vraie réjouissance rurale à l’ancienne, au son des toupins et des orchestres à corde, dans la paille fouettée par les batteurs et dans le sable collé aux cuisses des lutteurs, dans l’affolement du bétail couronné de fleurs, avec un incroyable cocktail de jolies citadines en short et de rustiques vachers dont les fronts rutilants prouvaient qu’ils n’avaient pas lésiné sur le chasselas...

••• Au-delà du rendez-vous mondain retrempé dans d’inattendues (mais très prégnantes) racines paysannes européennes, une certitude : Jean-Claude Biver est un des nouveaux évergètes du nouveau luxe des années dix. Il le prouve en associant sa marque (Hublot, qui est un peu la maison d’une gens dont il serait le pater familias, au sens romain élargi du terme) et son réseau professionnel (le gratin des fournisseurs, quelques journalistes, ses nombreux amis et admirateurs) à une désalpe (événement exclusif pour quelques privilégiés) qui justifie son luxe personnel (sa production privée de fromages dans son domaine vaudois) par une inflexion idéologique précise (l’éloge d’une nouvelle ruralité incantatoire, comme référent identitaire d’une hyper-tradition suisse qui englobe à la fois l’horlogerie et le fromage et le vin et le folklore et même la culture populaire : « Arrêtez avec les chansons américaines ! »). Agitez le tout à la mode Biver, et cette désalpe à grand spectacle prend tout son sens néo-évergétique...



3)
••• UNE MARQUE EST DÉSORMAIS UNE POURVOYEUSE D’ÉMOTIONS ASPIRATIONNELLES...

C’est que Jean-Claude Biver a tout compris de ce que doit être une marque dans les années 2010... Une marque n’est plus un simple nom apposé sur un produit (c’était bon hier, mais le monde a changé). Une marque est à présent la clé qui ouvre à ceux qui la pratiquent de nouveaux univers de rêves et d’aspirations – ce qui crée des relations qu’on ne peut plus limiter au seul échange marchand et à la prise en compte du seul « client ». Une marque qui se respecte est désormais une pourvoyeuse d’émotions pour des publics en demande de nouvelles expériences. Qu’on soit urbain, rurbain ou rural, quel plus beau souvenir de fin d’été que cette désalpe entre vignes aux grains gonflés et vaches laitières couronnées par la main de Miss Paysanne suisse (image ci-dessus, avec... « Bibi Imperator » et Bergère, qui a donné 2 727 litres de lait) ?

••• « Du luxe et du spectacle » : le luxe comme spectacle et le spectacle comme luxe... On reste dans les limites de l’épure horlogère, avec de subliminales allusions au temps, au Swiss Made et aux beaux-arts de la montre. Très fort, parce que spectacle total, habilement calé et assumé dans le moindre détail, jusqu’à l’apparition de Mme Biver pour servir la fondue à la foule des invités, pendant que son fils Pierre gambadait avec les chèvres que les petits citadins étaient ravis de pouvoir caresser « en vrai » !

••• Jean-Claude Biver exhume, recrée, malaxe et reconstruit en permanence les traditions pour bâtir une nouvelle mémoire du futur : il compose une nouvelle liturgie, avec des rendez-vous annuels (cette désalpe) avec de nouveaux symboles théologiques [le loyi en bandoulière va-t-il devenir le nouvel it bag des années dix et faire mieux que le Kelly d'Hermès ?] et des codes culturels qui fouettent à la double crème les violons de l'orchestre Adler.

••• Fonction tribunicienne assuméée en souriant par le nouvel évergète : les envolées lyriques mêlent l'art et l'alpage, l'hommage aux femmes et au vin blanc, les vaches et les montres, le tout sous les applaudissements sincères et béats d'un peuple dont les « tribus » qui s'ignoraient l'instant d'avant se découvrent de nouvelles solidarités, au-delà du bronzage très travaillé de ces dames si on le compare au cuir tanné des paysans en bredzon...



4)
••• L'ART DE CAPTER LES SIGNAUX FAIBLES D'UNE PROFONDE MUTATION SOCIÉTALE...

Un peu intello, ce débriefing d’une désalpe que certains estiment très (trop) marketing ? Ce serait méconnaître la valeur des « signaux faibles » et des mutations sociétales en cours : si Jean-Claude Biver a réussi la mise en orbite de sa désalpe [on peut déjà parier sur un grand format 2011], c’est qu’il a une vista des plus affûtées pour percevoir les recompositions en cours. Son évident charisme entrepreneurial n’est que l’instrument de transformation en succès marchand d’une intuition socio-culturelle plus fondamentale. Du coup, qu’il piétine dans les bouses de ses vaches ou qu’il vante son fromage, qu’il s’impose au premier rang dans le football ou la Formule 1, qu’il ose une King Power paroxystique ou une One Million Dollar post-bling-bling, tout semble lui réussir. Sans doute a-t-il le bon logiciel...

••• Si Hublot capte mieux que tant d’autres marques ces indices de reconfiguration sociétale et parvient à se maintenir au sommet de la vague depuis cinq ans, vous croyez vraiment que ce n’est que du marketing – mot qu’il convient de prononcer ici avec une moue de dédain ? S’en persuader serait une démission de l’intelligence...

 



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