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Franck Muller : Dix questions directes à Vartan Sirmakes sur la situation de son groupe
 
Le 16-09-2010
de Business Montres & Joaillerie

Seul maître à bord du groupe Franck Muller (une des rares maisonsindépendantes parmi les leaders mondiaux de la branche horlogère), Vartan Sirmakes, 54 ans, est aussi un des plus fulgurants tycoons de la montre suisse.

A quinze jours de son grand rendez-vous international de Monaco, il fait le point sur sa sortie de crise...


••• « RALENTISSEMENT – TRAVAUX – VITESSE LIMITÉE »

Sur l’autoroute des marques, il semble évident que le groupe Franck Muller a levé le pied, mais sans sortir de la route. Une crise économique internationale succédant à une grave crise interne n’ont pas aidé à retrouver la vitesse de croisière atteinte il y a quelques années. Peu importe : les marques semblent s’être reprises, la direction a dessiné des perspectives mobilisatrices et les marchés paraissent reprendre goût à la dernière-née des « grandes » manufactures [activité 2010 estimée par Business Montres : 290 millions de francs suisses, pour 32 000 montres]. Comme on dit dans les industries du spectacle : « Show must go on », même si la maison a besoin de temps pour reprendre définitivement son souffle.

••• Ce qui n’empêche pas Vartan Sirmakes (image ci-dessus) et son groupe de multiplier les initiatives. Comme, dans quinze jours, un grand salon international à Monaco [le futur Eldorado horloger dont rêvent toutes les marques, auxquelles Franck Muller vient de griller la politesse], où la marque annonce la production prochaine de montres joaillières : un salon sur le succès duquel le groupe joue la crédibilité de son retour en force... Comme la réorientation commerciale des « petites marques », réarmées pour une offensive commerciale de grande ampleur [offensive qui sera, pour la plupart, celle de la dernière chance au sein du groupe]... Comme un effort de rationalisation managériale qui pourrait conduire le groupe à se présenter en Bourse... Pour l’instant, affirme Vartan Sirmakes, « laissez-nous travailler et revenir sur le devant de la scène, parce que vous serez étonnés par notre nouvelle dynamique ».

••• Un nouvelle maturité pour ce groupe aussi controversé qu'atypique ? Raison de plus pour poser à celui qui la dirige d'une main de fer dix questions qui vont droit au but...



1)
••• OÙ EN EST LE GROUPE FRANCK MULLER AU DÉBUT DE CES ANNÉES DIX ?
Vartan Sirmakes : On a beaucoup avancé depuis notre création, en 1991, et beaucoup créé. Depuis, le monde a changé. Nous aussi. Il a connu des crises. Nous aussi. Depuis deux ans, nous avons consolidé notre structure en la simplifiant et en optimisant son potentiel créatif pour permettre à chaque marque de donner le meilleur d’elle-même. Nous avons un extraordinaire ambassadeur international : Franck Muller lui-même et chacune de ses « tournées » à travers le monde est un succès incroyable. Nous agissons et nous travaillons, certes avec plus de discrétion que d'autres, mais non sans une certaine efficacité...



2)
••• OÙ EN EST LE GROUPE AVEC SES PETITES MARQUES SATELLITES ?
Vartan Sirmakes : C’était un de nos axes de consolidation. Il fallait leur donner à la fois une vraie direction, des objectifs concrets et davantage de rigueur dans la création, pour qu’elles ne partent pas dans tous les sens. Aujourd’hui, les équipes sont plus resserrées, donc plus soudées, et mieux arrimées à Watchland [siège du groupe, à Genthod], qui met toute sa puissance à leur disposition. Chacune de nos marques (autres que Franck Muller) doit désormais posséder ses lignes phares et affirmer son identité propre, sans marcher sur les pieds de ses cousines au sein du groupe. Nous aurons une symphonie là où régnait une certaine cacophonie, mais si l’importance économique de ces petites marques doit être relativisée : elles ne représentent que 5 % de l’activité du groupe...
La priorité est industrielle et commerciale : produire pour vendre. Lancer des collections qui soient dans les vitrines. Chacune de nos marques a sa mission et son territoire d’expression, avec, désormais, les moyens d’agir efficacement sans s’éparpiller sur les marchés, ni se perdre dans les querelles d’égos des créateurs. A chaque marque sa niche et ses marchés, avec des opportunités différentes selon les cas : elles ont conservé un potentiel créatif et commercial considérable. Pour toutes, une direction restreinte et un cadrage stratégique assuré par la direction du groupe, qui leur donne les moyens d’être et de durer.
Un bon exemple de ce positionnement de « niche » reste Golay, marqué dédiée à une des maîtres-horlogers les plus brillants de son temps : des tourbillons et des répétitions minutes, dans un esprit de haute horlogerie superlative, n’est-ce pas une magnifique ambition ? Autre exemple : on a gardé la marque Barthelay, mais on va changer l’image en raccourcissant les collections – avec des prix d’accès plus raisonnables – et en renforçant le côté « luxe parisien » de sa communication. Barthelay Paris, avec les nouveautés que nous sortons et le style de cette communication, nous allons faire un malheur en Asie !



3)
••• OÙ EN EST EUROPEAN COMPANY WATCH, LA « MARQUE FANTÔME » DU GROUPE ?
Vartan Sirmakes : Cette marque a eu le malheur de perdre trop vite son créateur, mais nous avons décidé de la relancer, avec sa propre équipe de création, de design et de développement. Nous avons conservé le style initial, mais en l’actualisant pour le rendre encore plus contemporain. Nous misons sur un nouveau rapport qualité/prix pour attaquer le marché, en nous appuyant sur le réseau des détaillants Franck Muller – sur lesquels nous comptons et qui attendent de nous une marque et des collections « sport chic » plus accessibles qu’Audemars Piguet ou même Hublot. Nos objectifs sont modestes, mais la force du produit fera la différence auprès du consommateur...



4)
••• OÙ EN EST LA MARQUE FRANCK MULLER, VAISSEAU AMIRAL DU GROUPE ?
Vartan Sirmakes : Nous avons prouvé tout au long de ces années, et surtout très récemment notre créativité. L’Aeternitas reste la montre la plus compliquée du monde. Nous avons deux mouvements « manufacture » entièrement réalisés chez nous (Liberty et Freedom). Nous employons aujourd’hui 480 personnes et je considère que, compte tenu des épreuves que nous avons subies et de la crise économique que nous venons de vivre, nous nous en tirons plutôt bien, avec un retour à nos chiffres de 2005 qui étaient excellents. Sur une base 2008, nous avons constaté une baisse d’activités de l’ordre de 25 %, ce qui nous a contraint à procéder à un amaigrissement dont nous sortons plus toniques, alors que les signes de reprise se multiplient sur nos meilleurs marchés. Nous redémarrons donc avec une structure allégée et de nouvelles ambitions, avec déjà une cinquantaine de boutiques à travers le monde...



5)
••• OÙ EN EST LE GROUPE SUR LES MARCHÉS ASIATIQUES QUI TIRENT AUJOURD’HUI LA CROISSANCE HORLOGÈRE ?
Vartan Sirmakes : On s’attaque à la Chine (continentale et marchés extérieurs) et ça se passe très bien, dans nos nouvelles boutiques (déjà quatre !) et chez nos détaillants. L’offre intelligemment diversifiée de Franck Muller correspond à la demande plus « classique » du marché intérieur (Mainland China) aussi bien qu’à l’exigence de montres plus créatives de marchés comme Singapour ou Hong Kong, qui sont plus sensibles au design et à la qualité « manufacturière » de nos montres. Deux chiffres pour situer l’enjeu : alors que le groupe réalise en Asie plus de la moitié de son chiffre, nous ne faisons pas plus de 0,5 % de notre activité en Chine même. C’est dire le potentiel ! Nous nous appuyons sur le réseau Sincere, qui est le meilleur du monde, mais il ne faut pas négliger, en Asie, le rôle moteur joué par le Japon pour Franck Muller.



6)
••• OÙ EN EST L’OUTIL INDUSTRIEL DU GROUPE ?
Vartan Sirmakes : Nous l’avons restructuré pour le rendre plus efficace. Le parc des machines a été récemment développé en récupérant certaines machines d’étampage chez Metalor (qui liquidait sa branche horlogère). Nous avons tout optimisé dans une double logique : faciliter l’expression mécanique de notre créativité (« Master of complications », ne l’oublions pas) et renforcer notre réactivité pour des séries courtes ultra-personnalisées, comme la montre que nous présenterons bientôt pour les vainqueurs espagnols de la Coupe du monde 2010.
Depuis près de vingt ans, notre montée en puissance industrielle a été menée en continu : avec les différentes entreprises liées au groupe, nous fournissons de nombreuses grandes marques en composants divers et nous sommes devenus incontournables pour bon nombre de marques plus petites de différents groupes. Bien sûr, nous nous fournissons toujours chez ETA pour la majorité de nos mouvements (7750, notamment), mais notre fierté est d’avoir mené à bien la production de nos deux mouvements « manufacture » : l’automatique Liberty [estimation Business Montres : 2 500 calibres par an] et le chronographe Freedom [estimation Business Montres : moins de 1 000 calibres par an]. Ceci posé, nous ne sommes pas des fétichistes de la verticalisation et, par réalisme, nous allons également sous-traiter certains métiers où d’autres ont fait preuve de leur excellence...



7)
••• OÙ EN EST LA STRATÉGIE DE DIVERSIFICATION INTERNATIONALE DU GROUPE ?
Vartan Sirmakes : Nous avons développé une unité de travail, une sorte de petite manufacture de joaillerie, dans la principauté de Monaco et je pense pouvoir annoncer bientôt que nous aurons une référence purement monégasque – 100 % « Made in Monaco » – dans notre portefeuille de marques. Les lecteurs de Business Montres ont pu suivre nos partenariats en Biélorussie [dernier article le 28 mai, info n° 17] ou dans la diversification vers le marché de la mode à travers Smalto [dernier article le 24 août, info n° 6]. D’autres « chantiers » sont ouverts en Europe et ailleurs, partout où nous pouvons mettre en valeur notre savoir-faire dans le domaine de la production de montres, de la haute joaillerie ou de la haute horlogerie.



8)
••• À PROPOS DE MONACO, OÙ EN EST VOTRE PROJET DE WPHH « ON THE ROCK » ?
Vartan Sirmakes : Ce n’est plus un projet, c’est un événement international qui aura lieu dans une quinzaine de jours, dans un des symboles les plus évidents du luxe international. Un salon international de présentation de montres qui rassemblera l’élite de la distribution mondiale au forum Grimaldi, sur 5 000 mètres carrés d’exposition à laquelle plusieurs marques de joaillerie extérieures au groupe ont été conviées. Plus d’un millier d’invités pour un salon horloger de luxe sur les bords de la Méditerranée, dans une principauté qui a toujours sur conjuguer luxe et art de vivre : tout le monde en rêvait, nous l’avons fait ! Le rendez-vous de 2011 est déjà fixé. Entre Monaco et les montres, entre le Rocher et le groupe Franck Muller, c’est le début d’une longue histoire d’amour, dont vous aurez souvent à reparler à vos lecteurs...



9)
••• OÙ EN EST CVSTOS PAR RAPPORT AU GROUPE ?
Vartan Sirmakes : La marque marche très fort. Ils sont indépendants, nous aussi, même s’ils peuvent profiter de certains de nos outils industriels, comme tout bon client du groupe. Le seul lien entre le groupe Franck Muller et Cvstos reste mon fils, Sassoun, qui se débrouille plutôt bien comme manager dans sa spécialité du « sport chic haut de gamme ». Cvstos a même profité de la crise ! Sassoun s’implique davantage dans la direction du groupe, de même que son petit frère, qui vient de commencer un stage chez nous. C’est une grande satisfaction de voir ses enfants s’apprêter à reprendre un jour le flambeau...



(10)
••• OÙ EN VOS RÊVES D’AVENIR EN TANT QU’ENTREPRENEUR ?
Vartan Sirmakes : Peut-être pourrons-nous demain reprendre notre ancien projet, notre rêve (qui est celui de tous les capitalistes) : accéder à la Bourse et partager nos succès avec nos actionnaires. Nous sommes totalement indépendants dans un univers dominé par les groupes : zéro dettes bancaires ! Ce qui nous laisse une liberté de manoeuvre totale. Nous travaillons dans un cadre extraordinaire (Watchland, à Genthod) et dans un pays de libertés économiques (la Suisse) : nous allons bien et nous ne pourrons qu’aller mieux. Surtout avec les évolutions du marché mondial et les adaptations auxquelles nous avons procédé – à temps – pour devenir meilleurs dans un environnement plus difficile.

 



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