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Etrange : il ne faut pas moins d’un réseau mondial d’horloges atomiques pour s’assurer de la précision d’un tourbillon mécanique.
Laurent Ferrier est allé décrocher à l’Observatoire de Besançon (France) son premier certificat de chronométrie...
1)
••• DU CADRAN SOLAIRE ANALEMMATIQUE À L’HEURE ATOMIQUE DIGITALE...
C’était ce week-end les Journées du patrimoine et, sur le campus de Besançon, les amateurs de curiosa scientifiques ont eu à cœur de visiter les différents bâtiments d’un Observatoire construit à la fin du XIXe siècle (1883-1884), à une époque où les « savants » ne doutaient de rien, et surtout pas de leurs certitudes concernant le temps telles que devaient les vérifier cet « observatoire astronomique, météorologique et chronométrique »...
••• En levant la main, en se plaçant au centre du cadran solaire analemmatique et en posant les pieds au bon endroit (variable selon les saisons et le mois de l’année : tous les amateurs de montres à équation du temps le savent bien), on obtient une heure solaire précise à deux ou trois minutes près. En corrigeant ce temps solaire de l’équation du temps, de la longitude et de l’heure d’été, on parviendra (peut-être) à l’heure légale. Pour vérifier celle-ci, les Bisontons sont des petits malins qui ont une combine : à trente mètres de ce cadran analemmatique, on trouve le panneau lumineux qui décompte en chiffres l’heure mesurée au millième de seconde près par l’horloge atomique de l’Observatoire. Il suffit de lire du coin de l’œil en faisant croire qu’on maîtrise parfaitement la complexité physico-astronomique de ce cadran analemmatique...
••• Un peu à l’écart, le mystère de la chambre noire nous attend : au fond d’un puits où on ne peut plus accéder que par un escalier plus rouillé qu’une machinerie gothique, deux horloges mécaniques oubliées par l’histoire. A une quinzaine de mètres sous terre, dans le noir absolu et sans le moindre écart de température, ni la moindre vibration, ces deux pièces mécaniques – signées Leroy et confinées dans un container étanche sous atmosphère contrôlée – marquaient l’heure avec précision, un signal électrique leur ayant été adjoint par la suite : ces chefs-d’œuvre de l’horlogerie mécanique de haute précision ont été en service tout au long du XXe siècle, jusqu’à l’adoption des horloges atomiques.
••• La précision de ces horloges était recalée en permanence par une des meilleurs « lunettes astronomiques » du monde, qui se composait de quatre autres chef-d’œuvre des beaux-arts de la mécanique appliquée au temps : une « lunette méridienne » qui traquait avec une précision inouïe l’apparition des astres dans la nuit [c’est ce qui définissait l’heure] grâce à des rouages géants dont les repères ultra-fins devaient être positionnés par une batterie de microscopes, un « altazimut », un « équatorial coudé » et une « machine à retournement » montée sur rail. Un régal pour les amateurs d’horlogerie ancienne, l’Observatoire de Besançon ayant joué par sa quête de la précision métrologique un rôle-clé dans le destin d’une ville devenue « capitale française » de l’horlogerie...
2)
••• UNE VIPÈRE QUI NE FRAPPE QU’AU MILLIARDIÈME DE SECONDE SI TOUT VA BIEN...
A quelques pas de ces fantastiques rouages mécaniques, de non moins fantastiques alignements d’engrenages électroniques, capables de donner l’heure atomique au milliardième de seconde, et même au-delà. Cette horloge de l’Observatoire est reliée à un réseau mondial – une « boucle métrologique » – qui s’auto-ausculte et qui s’auto-corrige en permanence, sur Terre comme dans l’espace grâce aux satellites GPS. Besançon est devenu un centre de compétences de réputation mondiale. C’est en tout cas, en France, le seul observatoire habilité à délivrer les certificats de précision dont les entreprises ont besoin : on reconnaît cette précision aux pièces frappées du sceau à la tête de vipère...
••• En juin 2007, Business Montres (n° 2007) avait révélé le lancement d’un « certificat de chronométrie à la française », qui avait à l’époque soulevé un certain espoir pour l'attention que les marques devraient porter à la précision de leurs montres. La Première Crise mondiale devait très vite refroidir les enthousiasmes des marques suisses intéressées par un « poinçon d’observatoire » plus déontologique que celui du COSC suisse, qui ne certifie que des mouvements nus, et non des montres complètes. On peut estimer que, depuis 2007, moins d’une centaine de pièces ont été certifiées [on sait aujourd’hui que la « certification de Besançon » longtemps revendiquée par la manufacture Roger Dubuis, relevait de la cosmétique marketing plus que d’une scrupuleuse rigueur métrologique]...
••• Après les rouages mécaniques de la vénérable méridienne, où il fallait viser juste la bonne étoile, la quête de l’ultra-précision reste d’actualité à Besançon, mais on travaille cette fois à des échelles vertigineuses (10 -14, voire 10 -15 ou 10 -17 secondes, soit des milliardièmes de milliardièmes de secondes, ce qui ne veut rien dire pour un cerveau humain standard tellement il y a de zéros après l’unité). Autant dire que l’environnement scientifique de l’Observatoire de Besançon, pôle d’excellence scientifique français, sinon européen (c’est un des rares designated institutes à travers le monde), est absolument incontestable et indiscutable sur le plan de l’autorité métrologique : l’étalonnage de l’ultra-précision était, reste et sera sa mission prioritaire. Son poinçon « à la tête de vipère » est donc un des plus prestigieux du monde...
3)
••• LE PARADOXE D’UNE PRÉCISION MÉCANIQUE ATOMIQUEMENT CERTIFIÉE...
Eh oui, pour certifier la précision chronométrique d’un tourbillon mécanique, il faut une horloge atomique ! Laurent Ferrier a tenté l’expérience, à la fois pour être le tout-premier tourbillon jamais certifié par l’Observatoire de Besançon, montre qui sera aussi la tout-première pièce de la production Laurent Ferrier à être certifiée par une marque qui a décidé de faire de la précision étalonnée de toutes ses montres un de ses meilleurs arguments auprès des collectionneurs.
••• Laurent Ferrier : on ne présente plus la marque aux lecteurs de Business Montres, qui ont eu le privilège de la découvrir en avant-première dès le 11 décembre dernier, avant qu’elle ne devienne une des « future star de la profession » du début de l’année et une des « nouvelles marques à ne pas manquer » de Baselworld. Rumeur positive reprise par les médias du monde entier, et validée depuis par les collectionneurs. Le jury du Grand Prix d’Horlogerie de Genève a d’ailleurs ratifié ce succès en présélectionnant le tourbillon Laurent Ferrier pour la compétition finale...
••• Soumis à l’impitoyable batterie de tests chronométriques de l’Observatoire de Besançon, le tourbillon Laurent Ferrier n’a pas trahi ses concepteurs (La Fabrique du Temps) : + 3,24 s de précision quotidienne (norme européenne : -4+6 s/j), avec une variation de 0,9 s/j (norme : 2 s/j), la plus grande variation de marche étant de 3,34 s/j (norme : 5 s/j). Variation de marche du plat au pendu : - 5,22 s (norme : -6+ 8), avec 0,05 s pour la variation de marche en fonction de la température (8 et 38 °C, la norme étant + 6 s). Pour résumer : une belle performance chronométrique pour un calibre totalement « manufacture », développé exclusivement par et pour Laurent Ferrier. Ce mouvement n’est encore qu’un prototype de pré-série, l’équipe de La Fabrique du Temps ayant déjà compris quels profils d’axes il fallait modifier pour gagner de la précision au plat-pendu et comment optimiser l’échappement pour parvenir à descendre sous la seconde par jour de précision en longue durée (rappelons que la norme COSC est de -4+6 s/j).
4)
••• UNE CERTIFICATION TECHNIQUE PLUS AUTHENTIQUEMENT CHRONOMÉTRIQUE QUE CELLE DES POINÇONS SUISSES...
Avec Laurent Ferrier, qui a choisi l’Observatoire de Besançon – un certificat français ! – alors que la marque est intrinsèquement genevoise, les métrologues bisontins s’offrent un balcon sur la haute horlogerie suisse. Et ils ne comptent pas s’arrêter là... Indiscrétion Business Montres : toutes les complications de la nouvelle collection L. Leroy (présentées à Bâle et bientôt visibles en vitrine) devraient bénéficier du fameux poinçon à la tête de vipère. Quelques jeunes marques suisses sont également tentées de trouver à Besançon une certification plus authentiquement chronométrique que celles des poinçons suisses, même si l’immobilisation de la montre pendant quinze jours et le coût unitaire de cette certification (450 euros) peuvent s’avérer gênants.
••• Il existe quelques projets à Besançon : le poinçon d’observatoire purement chronométrique pourrait évoluer, demain, vers un « Poinçon de Besançon » élargi (non géographique), qui validerait à la fois la bienfacture horlogère et la précision mécanique [un peu comme l’actuel « poinçon Patek Philippe », auto-certifié par la manufacture de Genève]. Une course est donc ouverte entre la « capitale française de l’horlogerie » et la « capitale suisse de l’horlogerie », où on sait qu’une réflexion est en cours à propos des mutations du COSC et du Poinçon de Genève, labels aujourd’hui en pleine mutation (Business Montres du 11 juin, info n° 1). Besançon est à présent un observatoire opérationnel, qui pourrait certifier jusqu'à 50 montres par mois, avec des certificats d'une immense valeur chronométrique doublés d'un parfum d'originalité marketing non négligeable...
••• Beaucoup de marques en ont rêvé : Laurent Ferrier l’a tenté, en pionnier, pour répondre aux nouvelles exigences des amateurs et des collectionneurs. Mûrie sous le soleil de trente années d’expérience [Laurent Ferrier, le « papy de la nouvelle génération », est un ancien de Patek Philippe], ce tourbillon – dont chaque pièce sera désormais poinçonnée à Besançon – donne l’exemple de la confiance qu’on peut accorder aux jeunes marques quand elles se donnent les moyens de jouer au meilleur niveau dans la cour des grandes marques. Développé en très peu de temps, ce calibre « 100 % in house » prouve également qu’un tourbillon bien conçu règle mieux que bien des montres trois-aiguilles certifiées chronomètre ! C'est aussi la preuve que la bataille de la chronométrie est un excellent moyen de départager les marques dans leurs prétentions marketing : il y a celles qui parlent et celles qui prouvent...
••• IMAGE CI-DESSUS : Laurent Ferrier, son tourbillon frappé de la tête de vipère et son premier certificat de chronométrie, sur fond d'horloge atomique...
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