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Signé Ridel, un joli régulateur de la Révolution, avec un double affichage de l’heure légale : décimal pour le temps « révolutionnaire » et duodécimal pour l’heure traditionnelle.
Sans parler du double calendrier (lunaire et républicain)...
••• TROIS LOGIQUES DE LA MESURE DU TEMPS QUI PASSE
SUR UN MÊME CHEF-D’ŒUVRE HORLOGER...
C’est le lot n° 467 du prochain catalogue genevois d’Antiquorum (13-14 novembre) : une pendule de table (régulateur) signée Ridel et datée de 1794. Le mouvement, très horloger est très soigné : échappement à chevilles, réserve de marche quinze jours, balancier bi-métallique, sonnerie des heures et des quarts (image ci-dessus). Il intègre trois logiques de computation du temps rarement associées dans un même mécanisme : le temps traditionnel (les heures de nos montres), le temps révolutionnaire (calendrier et heures décimales) et le temps lunaire (phases de lune)...
••• INUTILE DE S’APESANTIR SUR LE TEMPS CLASSIQUE : douze heures, soixante minutes et soixante secondes (au centre), c’est la moindre des politesses pour une pendule très soignée au cadran émaillé, logée dans un élégant cabinet d’acajou et dotée d’une sonnerie. Les phases de lune sont également traditionnelles, sauf par la taille de la Lune émaillée sur un champ de ciel bleu piqué d’étoiles en or : c’était un des spécialités de Ridel, qui travaillait avec les meilleurs artistes émailleurs de son temps...
••• LA TROISIÈME HEURE, celle de la République et de la Révolution, est plus amusante : elle est décomptée sur dix heures et 100 minutes grâce au compteur annexe à 6 h, l’intégration de l’engrenage décimal et de l’engrenage duodécimal relevant de l’exploit micro-mécanique. Une aiguille au centre affiche les trente jours du calendrier révolutionnaire autour du cadran (marquage en bleu). Pour être complète, l’heure révolutionnaire aurait également dû décompter les 100 secondes de toute minute républicaine qui se respecte...
••• L’HEURE RÉVOLUTIONNAIRE n’est devenue légale qu’entre novembre 1793 et avril 1795, soit moins de deux ans, au cours desquels très peu d’horlogers ont eu le temps de réaliser des pendules à double mécanisme – d’où leur rareté, certaines ayant été rapidement reconverties dès 1795. Il s’agissait d’ajuster la logique des heures à la nouvelle logique décimale des poids et mesures (le mètre, le kilogramme, etc.). Le calendrier républicain est resté légal pendant 12 ans (1793-1805) et il a été à nouveau utilisé pendant 18 jours au cours de la Commune de Paris (1871). Après la révolution bolchevique de 1917, l’idée de revenir au calendrier et à l’heure « républicaines » – en hommage aux Grands anciens français – a effleuré l’esprit des nouveaux gouvernants russes, mais ils n’ont pas insisté...
••• RESTE LE SOUFFLE DE L’HISTOIRE qui crée l’émotion dans une telle pièce, dont on imagine qu’elle a été conçue dans la hâte : moins de dix-huit mois entre la promulgation de l’heure révolutionnaire et son abolition, c’est peu pour calculer de nouveaux rapports d’engrenage et mettre au point un tel mouvement ! La conservation de cette heure révolutionnaire – alors que la plupart de ces pendules ont été « rectifiées » – est un autre sujet d’étonnement, de même que la préservation des 30 jours du calendrier républicain, jamais réellement adopté par les Français quoiqu’en vigueur dans la France « légale ». C’est la grande magie des enchères : nous faire rêver sur cette époque où les heures n’étaient soudain plus dans les temps...
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