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Recette communiquée par un spécialiste pour expliquer l’explosion de certains prix pour des références rares qui font les montres de collection les plus recherchées...
••• PRENONS LE CAS DE CERTAINES PATEK PHILIPPE
ABONNÉES AUX RECORDS SOUS LE MARTEAU...
Dans les années 1970-1980, il était possible d’acheter à des prix qui semblent aujourd’hui ridicules : les plus célèbres Patek Philippe de la grande légende horlogère (chronographe quantième perpétuel réf. 1518 ou réf. 2499, chronographe simple réf. 130, réf. 1463 réf. 1563 ou réf. 1579, etc.) n’étaient disputés que par une poignée d’amateurs – presque tous italiens – qui achetaient par passion, et sans esprit de spéculation. Ces montres de collection [on aurait pu ajouter quelques Rolex, des Cartier ou des Breguet à cette liste] n’étaient pas très appréciées, ni par les marques, ni par les détaillants, et les ventes aux enchères étaient balbutiantes. On ne connaissait rien ou presque de leur production, de leurs différences ou même de leur histoire : certains ont pu accumuler alors des dizaines de ces montres, qui valent aujourd’hui leur pesant de millions...
••• AU FIL DES ANNÉES, on a appris ce qu’était la valeur de ces montres. On a établi les chiffres de leur production. On a écrit leur histoire et décrit leurs multiples variantes. Le marché s’est structuré, la cote s’est établie et les amateurs ont fait correctement le tri entre les vraies raretés et les montres douteuses [du moins à peu près !]. Avec le temps, on sait à peu près quelles sont les meilleures collections et les pièces détenues par les grands collectionneurs. Reste à expliquer certains comportements un peu bizarres : comment décoder ce qui se passe (parfois) dans une salle des ventes ?
••• IMAGINONS UN AMATEUR qui aurait déjà dix montres d’une référence relativement rare cotée un million pièce. Il est fortuné et il n’a pas besoin d’argent. Son capital se monte donc à dix millions. Arrive sur le marché, dans un catalogue d’enchères, une montre de cette même référence, pas forcément mieux que les siennes, et peut-être même moins bien, ce qui fait que le commissaire-priseur ne l’estime pas au million, mais à 500 000. Ce collectionneur peut-il laisser retomber la valeur globale de sa collection ? En fait, il va avoir tout intérêt – même si la montre ne l’intéresse pas – à la pousser sous le marteau, au-delà de ce qui serait raisonnable. Si cette montre lui est adjugée à un 1,5 million, on peut considérer qu’il l’a payée un million de trop. En revanche, sa collection vaut à présent et globalement 11 x 1,5 million, soit 16,5 millions, alors qu’elle n’aurait été comptabilisée qu’à 10-11 millions avant la vente : le million de trop sous le marteau lui a rapporté un peu plus de cinq millions...
••• ET C’EST UN JEU À SOMMES GAGNANTES : même si le collectionneur qui « protège » ainsi ses dix montres ne remporte pas la dernière enchère, le fait d’être under bidder peut flatter son égo et élargir sa surface, de même que le fait d’avoir contribué à faire exploser l’adjudication ne peut que profiter à la valeur cumulée de sa collection. Tout le monde y gagne : le vendeur, l’acheteur qui aura calculé cette revalorisation et l’auctioneer qui empoche commissions et records (image ci-dessus : un exemple de ces Patek Philippe réf. 1518 ultra-stratégiques sous le marteau – lot n° 291 du prochain catalogue Christie’s, qui le fait bénéficier d’une estimation très « défensive » à 400 000-600 000 francs suisses, alors que cette pièce peut facilement faire le double dans cet état)...
••• CAS D’ÉCOLE THÉORIQUE ? On peut déjà parier que non ! Ces enchères « stratégiques » à visée purement « défensive » – toujours utiles en vue de réaliser une succession, un partage, un nantissement, une transaction de gré à gré avec un fonds d’investissement, etc. – peuvent expliquer quelques emballements qui ne sont irrationnels qu’en apparence. Il est certain que quelques marchands procèdent ainsi pour revaloriser leur stock : on perd sur une pièce pour réassurer la cote de toutes les autres pièces de l’inventaire ! Les vieux renards des salles d’enchères connaissent la combine et ils affichent dans ce cas – s’ils connaissent la pièce, le vendeur et l’enchérisseur – le calme des grognardsà la veille des grandes batailles. Il n’est pas certain que les néo-collectionneurs asiatiques, enflammés par le goût du jeu et excités par la pression téléphonique des assistantes de l’auctioneer, aient déjà intégré ce type de raisonnement...
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