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Tout n’est pas forcément aussi rose que l’avouent les comptes des groupes et les statistiques d’exportation.
Et si la réalité du nouveau boom horloger était beaucoup plus nuancée ?
Et si on était en train de revivre les grandes illusions de 2008 ?
1)
••• UN PETIT COUP D’ŒIL DANS LE RÉTROVISEUR DE 2008...
Exercice difficile que tenter d’y voir clair dans la fantasmagorie des chiffres invérifiables lancés par les uns et les autres, surtout quand ils s’appuient sur les indicateurs mensuels d’un appareil statistique (les exportations officielles diffusées par la FH suisse) dont on a pu mesurer les faiblesses et les limites en 2008.
••• PETIT RAFRAÎCHISSEMENT de la mémoire collective : les vraies difficultés ont commencé pour l’horlogerie suisse au printemps 2008, alors que tout le monde se flattait de voler de record en record et que la profession s’installait confortablement sur un petit nuage d’auto-satisfaction. Le vrai décrochage s’est produit à l’été 2008. A la rentrée 2008, ne voyant personne s’inquiéter [en apparence, parce que tout le monde serrait déjà les fesses en secret], Business Montres lançait un cri d’alarme qui devait scandaliser les bien-pensants : « Et si on arrêtait de se raconter des craques ? ». On percevrait déjà une inquiétante petite musique de crise, mais tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes horlogers – comme en témoignaient les statistiques flatteuses de la FH, qui empilaient les records alors que les plans sociaux étaient déjà à l’étude dans les manufactures...
••• LE LENDEMAIN OU LE SURLENDEMAIN de la publication de cet article, la banque Lehman Brothers sautait, créant une réaction en chaîne qui allait mettre les économies déceloppées de la planète à genoux. Business Montres n’en restait pas moins le seul média horloger à oser dire une vérité que beaucoup contestaient, soit en niant tout simplement la réalité même de la crise, soit en la minimisant à quelques incidents de paiement aux Etats-Unis, soit en affectant de croire que le luxe était crisis proof. Dangereuses illusions qui ont conduit au limogeage d’une petite cinquantaine de CEO et à la disparition d’un quinzaine de petites marques ! Vérité qui n’était sans doute pas bonne à dire, au point de générer une « amicale pression » des marques pour éliminer le fauteur de troubles (Grégory Pons, l’éditeur de Business Montres, qui a dû alors quitter sa direction de la rédaction de Worldtempus, où il avait osé relayer ses interrogations sur la conjoncture horlogère)...
••• LE DIAGNOSTIC était posé avant la fin 2008 par Business Montres : « Après cette crise, plus rien ne sera comme avant, ni les marques, ni les montres, ni le prix, ni les motivations des amateurs, ni sans doute le mental des horlogers ». Pétition de principe en partie vérifiée dans les faits, mais entachée à son tour d’une grave illusion : celle de croire l’industrie horlogère capable de comprendre par où elle avait pêché et de l'imaginer capable de tirer profit de cette crise pour réformer ses procédures...
2)
••• EST-CE QU’ON NE SERAIT PAS EN TRAIN DE REMETTRE LE COUVERT DE NOS ILLUSIONS ?
Deux ans après le déclenchement de la Première Crise mondiale, qui a mis fin à ce que Business Montres a pu appeler la Bulle Epoque, tout semble redevenu idyllique. Mêmes petits nuages roses [un rose primaire très chinois] semées sur un paysage horloger où soufflent les plus doux zéphyrs, mêmes pluies bienfaisantes de records dans les progressions statistiques, mêmes communiqués lyriques et ensoleillés pour les résultats trimestriels des groupes et même emballement panurgique sur une reprise qui effacerait, dit-on, les avanies de deux ans de vaches maigres...
••• PARFAIT, MAIS ON PEUT DOUTER de la réalité de cette reprise en V (après le plongeon, le rebond). Certes, on ne peut nier que certaines marques surperforment sur certains marchés : le score d’Omega (en chiffres plus qu’en volume), de Longines (en volume) ou de Rado en Chine est tout simplement phénoménal. Les Chinois (ceux de l’intérieur, de l’extérieur ou les touristes) engouffrent des quantités extravagantes de montres Cartier. Disons qu’une ou deux poignées de grandes marques monopolisent l’essentiel de la croissance chinoise : c’est la classique « prime au leader » déjà pointée du doigt par Business Montres, avec des « gros » qui grossissent encore et des « maigres » qui deviennent transparents à force de diète...
••• PLUSIEURS COUPS DE SONDE sur les marchés semblent démontrer que les horlogers n’ont globalement pas compris la nature de la crise et qu’ils n’en ont pas tiré les leçons qui s’imposaient. « C’est reparti comme avant », entend-on dans les filiales. Comprenez par là que les groupes et les marques puissantes bourrent les stocks de leurs filiales [elles en ont partout, à présent], lesquelles bourrent les stocks de leurs détaillants, lesquels bourrent à leur tour les stocks des parallélistes. Bref, on refait le plein dans les tuyaux qui débordaient en 2008, sans que le sell-out – le seul juge de paix des ventes de montres – corresponde au niveau affiché par les exportations hors Suisse. Pire : alors que s’approche la fin de l’année, on recommence même à stocker dans les Ports-Francs de Genève des lots de montres théoriquement « exportées », mais toujours physiquement présentes en Suisse, sous douane, dans l’attente d’hypothétiques mais discrets déstockeurs exotiques...
••• EXPLICATION POSSIBLE de la prospérité financière affichée par les comptes officiels des groupes cotés : en 2009, les marques ont relativement peu produit, les détaillants fonctionnant sur la base de leurs stocks. Effet bénéfique du déstockage, compte tenu des décalages de paiement : on voit cette année revenir vers les maisons mères suisses des recettes commerciales supérieures aux dépenses de production effectuées en 2010. Formidable, on gagne de l'argent sans en faire trop ! Ce qui peut expliquer, au passage, la décorrélation entre les commandes passées par les marques (ou leurs embauches) et les résultats financiers dont elles se flattent...
••• UNE OPULENCE TROMPEUSE et piégeuse, qui s’ajoute à la perversité du restockage excessif en cours pour faire croire que la crise est définitivement derrière nous et qu’on est revenu dans les années les plus folles de la Bulle Epoque. Ce qui n’est certainement pas le cas si on examine le vrai niveau des ventes et le vrai niveau des stocks, au niveau des filiales et des détaillants. Et ce sera encore moins vrai s’il se lève le moindre tempête financière internationale – celle qui est attendue par tous les bearish dont nous sommes (par tempérament autant que par déduction)....
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