|
Un classement subjectif des avantages et des inconvénients des trois maisons qui viennent de disperser 1 300 montres aux enchères à Genève : trois conceptions de l’adjudication, trois cultures d’entreprise...
••• LE CLASSEMENT (PROVISOIRE)
DES MAISONS D’ENCHÈRES PAR LEURS « BONNES MANIÈRES »...
Tout est à prendre en compte dans la « qualité » d’une maison d’enchères, qu’on parle de son catalogue aussi bien que de son sens de l’hospitalité. Puisque les enchères horlogères tournent à présent à l’événement, autant soigner la mise en scène totale...
CATALOGUE
• CHRISTIE’S ♥♥♥♥ : désormais, les catalogues d’Aurel Bacs font référence. Remarquablement documentés, bien illustrés, ils se posent en « encyclopédies » horlogères saisonnières. Ils fourmillent d’anecdotes puisées aux meilleures sources et ils témoignent toujours de recherches avancées dans l’art de mieux faire comprendre et aimer les belles montres. Bonne composition et bon séquençage des numéros, qui sait alterner lots forts et lots plus faibles, séquences logiques et coups de poing. On peut apprécier la hiérarchie des informations à leur mise en page : simple notice, demi-page, pleine page, double page, etc. C’est à cause de ce niveau global de qualité qu’on leur pardonnera moins qu’aux autres leurs rares erreurs factuelles...
• ANTIQUORUM ♥♥ : la tradition du catalogue horloger a été fondée par Antiquorum, du temps d’Osvaldo Patrizzi, qui en avait fait de véritables manuels d’apprentissage de l’histoire horlogère. Cette tradition s’est un peu perdue avec la reprise d’informations de deuxième main, sans réel effort d’investigation ou de hiérarchisation de l’information sur des pièces qui le mériteraient. Bon séquençage des lots, avec des regroupements logiques. Faute de moyens humains, sinon de compétence, ces catalogues restent informatifs, mais ils ont perdu de la substance et – surtout – de l’autorité...
• SOTHEBY’S ♥ : plus minces que leurs concurrents, les catalogues de Geoffroy Ader devraient être plus soignés, ce qui n’est pas le cas. On peut leur reprocher des sérieuses lacunes documentaires (pointées par Business Montres le 3 novembre, à propos de la « chenille » devenue « ver à soie), une mise en page déficiente qui ne se soucie pas de l’échelle des illustrations (ce qui transforme des petites montres en grosses pièces) et une qualité générale assez faible d’informations utiles. La composition ne ménage guère d’effets spectaculaires, ce qui nuit au spectacle final...
EXPOSITION DES MONTRES
• CHRISTIE’S ♥♥♥ : circulation périphérique aux vitrines, avec un espace connaisseur d’une quinzaine de places au centre, mise à disposition d’un maître-horloger pour les pièces anciennes, lampes de table dignes d’un laboratoire de joaillerie, nombreuses hôtesses, papiers, crayons et catalogues, en plus de verres d’eau mis à disposition par les jeunes hôtesses. Une qualité d’exposition qui tranche avec une hospitalité assez minable pendant la vente...
• SOTHEBY’S ♥ : vitrines vastes et bien aérées pour présenter les lots, mais espace connaisseur très étroit pour examiner les montres, lumières tout juste suffisantes, papiers et crayons, service d’hôtesses très diligent, jolie vue sur le lac pour se reposer les yeux. Sotheby’s pourrait mieux faire, mais fait bien le peu qui est fait...
• ANTIQUORUM ✖ : réception debout autour des vitrines (on peut cependant s’asseoir à des tables voisines), pas d’espace réservé pour les amateurs, éclairage indigent, montres entassées sans vraie logique dans des vitrines qui semblent remplies à la hâte, sans considération de valeur ou d’intérêt. On est là au degré zéro de la présentation, juste au-dessus du « déballage » d’une enchère successorale...
ACCUEIL EN SALLE
• ANTIQUORUM ♥♥♥♥ : deux grands salons à l’hôtel du Rhône, un bar à café et des boissons à la disposition des bidders, qui ont également droit à quelques amuse-bouches, des tables, du papier et des crayons pour les habitués, des chaises largement espcées, des hôtesses au calme dans un couloir spacieux, le vestiaire de l’hôtel, etc. Antiquorum a le sens de la réception pour ses clients et se soucie de leur simplifier la vie, en salle comme dans l’espace de repos vidéo-sonorisé voisin de cette salle...
• SOTHEBY’S ♥♥ : une salle étroite de l’hôtel Beau-Rivage, avec une antichambre spacieuse, mais sans confort, un fond de salle encore plus spartiate, des chaises relativement inconfortables et trop serrées, ni machine à café, ni vestiaire. Sotheby’s n’offre à ses clients qu’un accueil spartiate, pauvre mais tout juste digne...
• CHRISTIE’S ✖✖ : une climatisation déficiente des Bergues qui anticipe sur le réchauffement planétaire, pas d’antichambre de décompression (mais un simple couloir), ni de vestiaire, un distributeur de gobelets d’eau bien caché entre deux portes, pas de machine à café, des hôtesses perdues derrière un comptoir confiné, un vestiaire bien dissimulé dans le lointain d’un couloir, un portail de sécurité plus symbolique qu’utile ou efficace. Quelle radinerie mesquine de la part d’une maison qui tient à délester ses clients de quelques millions sans leur offrir un minimum d’agrément !
INFORMATIONS DANS LA SALLE
• ANTIQUORUM ♥♥♥ : un écran très complet face à la salle (visibilité maximum), qui affiche l’objet en vente, le cours des devises tout au long de l’adjudication, les enchères Internet et leur provenance, avec un relais vidéo dans la salle de détente. Disposition des enchères téléphoniques sur un seul côté, ce qui facilite la « lisibilité » du cours des enchères. L’information des personnes présentes est aussi pertinente que satisfaisante.
• SOTHEBY’S ♥ : un double écran de part et d’autre du pupitre, avec la photo de l’objet et le cours des devises, mais l’accès aux enchères Internet est réservée au seul commissaire-priseur, qui est le seul à pouvoir embrasser d’un regard les deux tables d’enchères téléphoniques, ce qui nuit à la qualité du « spectacle ». Heureusement, l’étroitesse de la salle crée un accès immédiat à des informations tout juste suffisantes...
• CHRISTIE’S ✖ : un seul écran, avec photo de l’objet vendu et des devises, mais l’écran des enchères Internet, non content d’être invisible de la salle, s’impose comme un obstacle visuel pour les rangs du fond, alors que la double table des enchères téléphoniques empêche une vraie mise en scène de l'enchère en cours. Du haut de son pupitre, Aurel Bacs domine la salle comme un prédicateur, mais il l’empêche aussi de vibrer à l’unisson des adjudications...
MISE EN SCÈNE ET SHOW
• CHRISTIE’S ♥♥♥ : la chaire Christie’s sur fond rouge fait beaucoup d’effet, tout comme la gestuelle théâtrale d’un Aurel Bacs qui domine physiquement et mentalement une salle à ses pieds. Le spectacle est au pupitre autant que dans la salle et, surtout, en fond de salle, quand les clients italiens ajoutent au show leur propre mise en scène tragico-comique, façon commedia dell’arte horlogère. Un bon point : le commentaire rapide qui accompagne l’image de la montre présentée. Un spectacle total, qui ne laisse personne indifférent, même s’il est éminemment perfectible...
• SOTHEBY’S ♥♥ : Geoffroy Ader a fait beaucoup de progrès et il est infiniment moins guindé derrière son marteau, mais son décor est pauvre, sa prestation éteinte par la présence de trois personnes à ses côtés et sa mise en scène un peu chiche, alors qu’il pourrait faire beaucoup mieux (ne serait-ce qu’en nous parlant un peu de la montre qu’il vend et qui n’est pas qu’un numéro). Le jour où il se lâchera, Genève tremblera (ou presque)...
• ANTIQUORUM ♥ : ce serait parfait s’il n’y avait que Julien Schaerer (de mieux en mieux au fil des mois), un peu moins de lots à évacuer du catalogue et, sans doute, des montres un peu plus passionnantes à disperser. L’homme au marteau est bien mis en scène, mais les dimensions de la salle l’écrasent un peu, alors que c’est lui – et lui seul – qui peut transcender le contexte marchand en liturgie passionnelle.
PRÉCONISATIONS
Tant qu’à « monter un spectacle » [puisque nous sommes tous immergés dans une société de communication], autant y aller à fond en redonnant un peu de chair au rituel compassé de ces enchères horlogères, qui gagneraient à être un peu mieux scénarisées, avec une « dramaturgie » pensée dès la composition du catalogue.
• En salle, l’animation visuelle n’est pas à la hauteur de ce qu’elle pourrait être (pourquoi ne passer qu’une seule image de la montre ?) et des moyens modernes de communication (pourquoi pas des duplex ou des enchères lointaines qui ne seraient pas médiatisées par les demoiselles du téléphone ?). Sans entrer dans les détails dès à présent, les enchères horlogères auraient intérêt à renouveler leurs procédures compassées pour surprendre et remotiver leurs habitués...
•Image ci-dessus : la Chimère de Rolex, lot n° 380 de la vente Christies, adjugé pour 171 000 francs suisses, frais compris (128 000 euros)...
|